La paix au Venezuela est une question de paix mondiale

jeudi 10 août 2017.
 

Sans la solidarité internationale, sans l’élan de ceux qui soutiennent des alternatives souveraines, d’ici peu, l’Union Européenne et les Etats Unis mettront leurs menaces à exécution, foulant au pied la volonté de paix de la majorité des vénézuéliens.

Depuis des mois, nous entendons quotidiennement parler du Venezuela comme un pays violent. Des manifestations anti-gouvernement sont réprimées dans la violence par les forces de l’ordre du Président Nicolas Maduro. Face à la crise politique actuelle, l’opposition de droite tente de trouver une issue aux dérives autoritaires du gouvernement chaviste. Voilà la lecture faite par nos médias « grand public » sur la crise actuelle au Venezuela.

Mais qu’en est-il réellement ? L’expérience chaviste serait-elle vraiment en train de sombrer dans une dictature qui affame son peuple et qui n’entend pas l’appel de la rue ? L’opposition est elle aussi pacifique que ce qu’on veut nous laisser croire ? Quel rôle peut jouer l’assemblée constituante dans cette crise politique ?

Pour bien comprendre la crise actuelle, on doit la contextualiser dans l’histoire récente du Venezuela.

Un peu d’histoire sociale

Hugo Chavez arrive au pouvoir en 1998 avec un programme social, dans le cadre de ce qui deviendra la « révolution bolivarienne » (d’après le libérateur Simon Bolívar). A son arrivée à la présidence, il dote le Venezuela d’une nouvelle constitution (via un référendum et une assemblée constituante). A partir de 2003, les rentrées des exportations de pétroles sont investies dans les programmes sociaux : alphabétisation, enseignement et soins de santé gratuits pour des millions de personnes vivant dans les quartiers périphériques des grandes villes vénézuéliennes, soit plus de la moitié de la population. Il entame une redistribution des richesses sans précédent et voit dans le socialisme la voie à suivre pour éradiquer la pauvreté et pour plus de justice sociale.

Au niveau de la politique internationale, le Venezuela développe une vision alternative du rôle des pays du Sud dans le monde ; ce qui va faire frémir les Etats-Unis. En 2005, le Venezuela lance le projet latino-américain de développement social et économique (l’ALBA), conclue des accords de collaboration avec Cuba, le Brésil, l’Iran, la Chine, etc. Il est question de sortir de l’extrême dépendance du Venezuela vis-à-vis des Etats-Unis et de créer un monde où des alternatives au néolibéralisme sont possibles. Il y a 10 ans, Hugo Chavez prononça ces quelques mots devant l’assemblée générale de l’ONU : « Hier, le président des Etats-Unis (George W. Bush, ndlr), que j’appelle le diable, est venu prendre la parole ici comme si le monde entier lui appartenait. En tant que porte-parole de l’impérialisme, il est venu défendre ses remèdes de charlatan afin d’essayer de maintenir en place le modèle actuel de domination, d’exploitation et de pillage des peuples du monde entier. » Ces propos ont été prononcés il y a 10 ANS mais l’addition se paye aujourd’hui. Et elle se paye très chère !

A la mort de Chavez en 2013, de nouvelles élections sont organisées. Nicolas Maduro est élu et continue depuis les « missions », les programmes sociaux du chavisme, construit des dizaines de milliers de logements populaires (359 000 en 2016), consacre 71,4% du budget national aux investissements sociaux. 90% des personnes en âge d’en jouir perçoivent une pension de retraite (19% seulement avant la révolution). Le Venezuela comptait 65% de pauvres en 1999. Ce taux a diminué depuis de plus de la moitié.

A la mort de Chavez, la droite vénézuélienne est bien décidée à mettre un terme à cette nouvelle voie. Le charisme de Chavez n’est plus et l’économie s’effondre avec la chute du cours du pétrole. Les ingrédients étaient réunis pour commencer la déstabilisation du pays jusqu’à la chute du gouvernement. Dès l’arrivée au pouvoir de Nicolas Maduro en 2013, des vagues de manifestations violentes sont organisées par l’opposition. Elles restent confinées à quelques quartiers mais la stratégie de déstabilisation du pays est bel et bien enclenchée. Les violences urbaines, les pénuries organisées, le blocage institutionnel et la violence importée via les paramilitaires colombiens sont les ingrédients clefs pour rendre le pays ingouvernable.

Une « insurrection populaire » sans soutien populaire, vous appelez ça comment ?

Une majorité de Vénézuéliens souffre sous une crise économique catastrophique : l’inflation galope à des taux inouïs, le prix très excessif des produits y compris de première nécessité et la pénurie organisée par les entrepreneurs, obligent à spéculer, à recourir au marché noir. Á cela s’ajoute une corruption endémique. Cette situation provoque de fortes tensions sociales. Mais malgré une baisse du soutien populaire au gouvernement, la majorité de la population ne se joint pas à l’opposition.

A partir de ce constat d’échec, l’opposition a dû passer à la vitesse supérieure. Progressivement, dominée par son aile d’extrême droite, l’opposition passe à une stratégie insurrectionnelle. Elle refuse tout dialogue avec le gouvernement et ne reconnaît pas la légitimité de Maduro. Les tables de négociations sont systématiquement boycottées par l’opposition.

En avril de cette année, une nouvelle vague d’insurrection des quartiers chics de la capital a commencé suite à l’appel du président de l’assemblée nationale, Jorge Borges, chef de l’opposition. Depuis, ces manifestations ont déjà fait plus de 110 morts dont 7 imputables aux forces de l’ordre, les responsables étant aujourd’hui détenus et en attente d’être jugés. Dans ces manifestations, le mépris des pauvres est tel qu’on brûle vif un jeune homme pour le simple fait d’être basané et donc pauvre. On y tue y compris ses compères dans le seul but de faire croitre le chaos régnant. Que ces manifestations ne touchent que les quartiers à l’est de Caracas sur l’ensemble des communes que comptent le pays n’a pas d’importance. Que le gouvernement ait gagné 17 élections sur les 19 organisés depuis Chavez non plus. La seule chose qui compte, c’est l’image de chaos et d’insurrection populaire que les médias relaient pour discréditer le gouvernement. Et ça marche ! Ces images permettent à la droite européenne et vénézuélienne de s’unir autour d’un même projet : faire germer l’idée qu’une intervention étrangère est nécessaire pour défendre des droits de l’Homme au Venezuela.

D’après les médias, Maduro empêcherait la tenue d’élection et neutraliserait l’Assemblée Nationale (parlement). Maduro n’a pas empêché les élections régionales de décembre 2016, il les a postposées à décembre 2017 sur base d’une décision du Conseil National Electoral. Ce dispositif est prévu par la constitution. Enfin, par rapport au discrédit de l’Assemblée Nationale, il s’agit d’un coup auto infligé par l’opposition. En effet, alors que l’opposition avait obtenu 109 votes sur 167 sièges (65%) de plein droit, ils ont investi 3 candidats dont l’élection était contestée pour fraude. Le Tribunal Suprême de Justice s’est prononcé en affirmant que tant que les 3 membres ne seront pas révoqués, la plupart des décisions de l’Assemblée National ne seraient pas valides.

Maduro tente par tous les moyens d’amener l’opposition à reconnaître les institutions du pays : il mise sur le dialogue et l’apaisement du Venezuela. Début juillet 2017, le Tribunal de Justice libère la figure de proue de l’opposition, Léopoldo Lopez, condamné en 2014 à 14 ans de prisons pour avoir organisé les violences de 2014 qui ont fait 43 morts.

Pour faire face à la paralysie du pays, Maduro convoque une assemblée constituante prévue par la Constitution. Le 30 juillet, les Vénézuéliens se sont mis en marche pour élire 537 des 545 membres de l’Assemblée Nationale Constituante – 364 au niveau municipal et 173 pour représenter les différents secteurs dans la société. Les 8 restants sont les représentants des peuples indigènes dont l’élection se fera lors d’assemblées de ces communautés conformément à leurs coutumes ancestrales. Cette assemblée constituante aura pour tâche de modifier les textes de la constitution actuelle soumis ensuite au vote populaire.

Mais la constituante est rejetée par l’opposition qui organise un referendum en un temps record le 16 juillet dernier. L’opposition n’atteint pas ses objectifs de mobilisation : ils seraient 7 millions sur 19 millions d’électeurs que comptent le Venezuela, selon leurs propres chiffres. Aucun registre d’électeurs ne permet de le confirmer car les bulletins de vote ont été brulés par l’opposition elle-même. Qu’à cela ne tienne, les médias en font un franc succès : l’assemblée constituante de Maduro serait largement rejetée par le référendum populaire, titrent Le Monde, El Pais, etc.

Les appels de l’opposition à la grève nationale jusqu’au finish s’inscrivent dans même registre. Nos médias en font un succès sans s’inquièter du taux de participation populaire : la droite insurgée devient alors révolte populaire aux yeux de l’opinion publique.

Les Etats-Unis et l’Union Européenne interviennent publiquement

L’objectif de ses manœuvres est de permettre à la « communauté internationale » de se prononcer contre l’assemblée constituante et d’augmenter le niveau de pression sur le gouvernement légitime du Venezuela. Quelques jours après le référendum « symbolique » organisé par l’opposition, les déclarations officielles des Etats-Unis et de l’Union Européenne ne se font pas attendre.

Le 18 juillet dernier, la chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini a appelé le gouvernement vénézuélien à suspendre la convocation prévue d’une assemblée constituante. Interrogée sur l’éventualité de sanctions européennes contre le Venezuela, Mme Mogherini a répondu que "toutes les options sont sur la table".

Dans une déclaration officielle, Trumps donne le ton : « Les États-Unis ne resteront pas inactifs pendant que le Venezuela s’effondre. Si le régime de Maduro impose son assemblée constituante le 30 juillet, les États-Unis prendront des mesures économiques fortes et rapides. »

Trump n’agit pas sur un coup de tête, il ne s’agit pas là d’un de ses innombrables tweets qui embarassent son gouvernement. La déclaration officielle du président de Etats-Unis est très réfléchie et rationnelle. Depuis 2003, le projet d’un vaste traité de libre-échange, l’ALCA, qui engloberait l’ensemble des pays du continent américain (d’Alaska aux Etats-Unis jusqu’à la Terre de Feu au Chili) a été mis au frigo depuis le rejet catégorique du Venezuela.

L’assemblée aura pour mission de modifier des textes de la constitution qui rendront définitivement impossible la réalisation d’un tel projet de libre-échange. En limitant les parts des compagnies étrangères et leurs investissements dans les entreprises publiques, en favorisant l’industrie nationale, la nouvelle constitution met définitivement fin au méga projet de libre échange des Etats-Unis. Or, dominer le marché latino-américain dans sa totalité est une question cruciale pour le géant étasunien face une Chine économiquement toujours plus puissante. On comprend mieux la position interventionniste des Etats-Unis.

A cela s’ajoute une donnée plus subjective, le Venezuela a représenté une alternative au modèle néo-libéral pour l’ensemble des peuples. Il est donc primordial d’achever publiquement cette expérience. En s’attaquant à la révolution bolivarienne, on veut tout simplement discréditer tout semblant d’alternative. Car si le projet vénézuélien venait à échouer, ce serait bien la preuve que toute alternative au néo-libéralisme est vouée à l’échec.

La polarisation du pays n’est pas seulement un enjeu vénézuélien. L’opposition d’extrême droite a fait appel aux paramilitaires venus de Colombie pour terroriser et paralyser les zones rurales restées placides aux appels insurrectionnels. Croire que ceci est le seul fait d’une opposition prête à tout pour reprendre le pouvoir serait aussi un leurre. Elle met en lumière l’enjeu géopolitique que représente le Venezuela pour tout le continent latino-américain. Le Venezuela cristallise les alliances continentales et internationales pour faire basculer le gouvernement sorti des rangs il y a 18 ans avec la venue au pouvoir d’Hugo Chavez. Et les déclarations interventionnistes fusent de tous côtés. L’ambassadrice états-unienne à l’ONU, Nikki Haley, a fait récemment une liste d’actions à mener pour « mettre la pression » sur le Gouvernement vénézuélien et le forcer à sortir du cadre institutionnel : « Nous devons maintenir la pression sur Maduro, il y a des signes qui indiquent que maintenant, il va commencer à utiliser son pouvoir militaire. C’est une situation terrible, c’est pourquoi nous devons mettre autant de pression que nous pouvons sur Maduro. » Dans ces récentes déclarations, le directeur de la CIA, Mike Pompeo, ne s’en cache même plus.

La souveraineté populaire et le principe de non-ingérence

Le Venezuela s’apprête à vivre les jours les plus décisifs de son histoire, entrainant avec elle l’avenir de tout un continent. Dans quelques heures, la violence sera à son comble. Peu importe aux yeux du monde que l’élection de l’assemblée constituante soit un succès avec une forte mobilisation populaire. Nos esprits ont été préparés pour soutenir l’intervention étrangère. Les menaces de sanctions économiques et le soutient à l’insurrection sont présentées par l’Union Européenne et les Etats-Unis comme la solution pour sauver le peuple vénézuélien.

Ce 30 juillet, la population vénézuélienne s’est mobilisée pour élire son assemblée constituante. Malgré les menaces, les entraves et la grève des transports organisée par l’opposition, le Venezuela a fait le choix de la paix. “Je suis venue voter pour dire aux « gringos « (américains) et à l’opposition que nous voulons la paix, pas la guerre », assure Ana Contreras devant le bureau de vote.

Mais, déjà, nos médias taclent la mobilisation populaire pour faire le jeu de l’opposition. La seule chose qui transparait de l’actualité vénézuélienne après ce jour historique, c’est le climat insurrectionnel sur lequel mise l’extrême droite du pays pour que la « communauté internationale » ne reconnaissent pas ce vote.

Ce n’est pas à nous, ni à nos dirigeants de se prononcer pour dire si la meilleure façon de résoudre la crise actuelle est la proposition d’Assemblée Nationale Constituante ou les négociations avec l’opposition. C’est aux vénézuéliens de décider. Mais il ne faut pas se leurrer sur la nature et les soutiens de cette opposition ayant fait le choix de l’insurrection.

Et nous ?

Une chose est claire, sans la solidarité internationale, sans l’élan de ceux qui soutiennent des alternatives souveraines, d’ici peu, l’Union Européenne et les Etats Unis mettront leurs menaces à exécution, foulant au pied la volonté de paix de la majorité des vénézuéliens.

Le rôle des mouvements de paix belges et internationaux est crucial pour forcer nos Etats à respecter le principe de non-intervention. Ce principe interdit à tout Etat ou groupe d’Etat d’intervenir directement ou indirectement dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre Etat et nous sommes en droit de l’exiger.

Paula Andréa Polanco


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