Université : contre la sélection, pour une autre réforme de l’Université !

jeudi 1er février 2018.
 

Le 22 novembre, Frédérique Vidal, Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche (ESR) et de l’Innovation a annoncé son « Plan Étudiants ». C’est une attaque sans précédent contre l’Université et nos droits qui est proposée : possibilité pour les facs de sélectionner à l’entrée de la 1ère année de Licence, encouragement des filières-couloirs dès 14-15 ans, sans droit à l’erreur ou réorientation !

Si une réforme de l’ESR est nécessaire, ce n’est certainement pas celle-ci dont nous avons besoin : cette réforme se place dans la stricte continuité des mouvements de libéralisation que nous connaissons depuis quelques dizaines d’années.

C’est ainsi la remise en cause de droits obtenus par la lutte sur nos facs (la compensation entre les matières, les rattrapages...) ; et la mise en place de pré-requis locaux et de capacités d’accueil différenciées est un nouveau pas dans le renforcement de la ségrégation sociale à l’Université. Entre d’une part des Facs de « seconde zone » ayant choisi, pour des raisons politiques ou par manque de moyens, d’accueillir tout le monde ; et d’autre part des Universités d’ « excellence », où les frais d’inscription, comme les exigences seront gonflés, de façon à concurrencer les Grandes Écoles, à l’image de la démarche de l’Université Paris Dauphine. Le Plan Étudiants va renforcer encore les dynamiques concurrentielles actuellement à l’œuvre dans le monde de l’ESR.

Pourtant des alternatives sont possibles !

Au delà de la lutte défensive immédiate contre le Plan Étudiants, des mesures d’urgences doivent être envisagées :

- Il y a un besoin urgent d’investissements majeurs dans les Universités. La mobilisation numérique #MaSalleDeCoursVaCraquer, impulsée par l’UNEF il y a 3 ans, avait montré l’état de délabrement de nombreuses Universités… Et rien n’a changé : les investissements ne sont toujours pas là, avec chaque année des effectifs étudiants qui augmentent, dans des locaux vieillissants, avec des chargé.e.s de cours payés au lance pierre, parfois avec des mois de retard. La FSU défend à juste titre la création de 6000 recrutements par an pendant 10 ans pour améliorer le taux d’encadrement des étudiant.e.s : c’est notamment par un meilleur encadrement des étudiants et des étudiantes que nous pourrons limiter les taux d’échecs et d’abandons importants en Licence 1 : non par la sélection !

- S’attaquer à la précarité étudiante est une urgence pour toute la société. L’échec est une conséquence logique de la précarité étudiante. Par la mise en place d’une « allocation d’autonomie », alors qu’un étudiant sur deux travaille pendant ses études, ce sont des milliers d’étudiants et d’étudiantes que l’on peut sortir de la galère financière, des temps partiels et de la précarité, tout en assurant en partie les conditions de leur émancipation. Son coût demeure réduit pour la société.

À partir du modèle assez prudent de la France Insoumise, c’est à dire d’une allocation de 800€ pour les jeunes de 18 à 25 ans (d’une durée de trois ans -soit moins que la durée des études de beaucoup de jeunes à l’Université- ), le chiffrage de la France Insoumise estimait son coût à 9,6 Md€ par an. Un somme largement finançable. Il s’agirait d’une réforme d’envergure, mais des expérimentations réussies (avec leurs limites bien-sûr) ont déjà eu lieu, notamment dans les pays scandinaves. Pour notre part, nous considérons que l’allocation doit être versée durant toutes les études, et que seuls les revenus des étudiant.e.s doivent être pris en compte, pas ceux de leurs parents, comme c’est le cas dans l’actuel système de bourses.

Ces mesures d’urgence pour l’Enseignement Supérieur et la Recherche seraient un premier pas en direction un projet alternatif pour une Université ouverte, formatrice et émancipatrice. Il faut bien-entendu revenir sur l’intégration des entreprises privées aux lieux de décisions dans les facs, et sortir du modèle d’autonomie et de regroupement des Universités.

Où en sommes nous de la mobilisation ?

Si les mobilisations de l’automne et de l’hiver ont été très peu suivies, nos espoirs se portent sur un printemps offensif. Les premiers signaux font état d’une mobilisation active des personnels, moins des étudiants.

Dans de nombreuses universités, parmi lesquelles Paris I, Paris III, Paris VIII, VSQ, Nanterre, Lille, Lyon 2, Lyon 3 Grenoble, Dijon, Perpignan, Montpellier 3, Strasbourg, Aix-Marseille, des motions ont été votés contre la sélection, et des UFR (Unité de Formation et de Recherche) ont refusé par la voie de leurs conseils la « remontée des attendus et critères locaux ».

A Bordeaux, Rennes 2, Clermont, Toulouse, Rouen, Reims, des rassemblements ont eu lieu poussés par l’UNEF, Solidaires Etudiant-e-s, et/ou des syndicats locaux (UET à Toulouse…), épaulés par les organisations politiques de gauche (sur tout l’arc de Générations Campus au NPA Jeunes, en passant par la FI) pour perturber et empêcher les votes de se tenir, avec des succès, parfois un vote reporté ou encore, comme ça a été le cas à Clermont, un verrouillage total de la faculté suivi d’un vote à huis-clos.

Mais la faiblesse numérique des organisations étudiantes et la crise durable que traverse l’UNEF, « premier » syndicat étudiant, empêche une action coordonnée, puissante et efficace sur tout le territoire comme par le passé (Devaquet, 95, CPE…). Surtout, les lycéen.n.es d’aujourd’hui n’ont pas connu de grandes mobilisations nationales, et en particulier pas de mobilisations concernant directement le lycée ou les études. De même pour beaucoup d’étudiant.e.s qui n’ont pas connu de mouvements massifs/majoritaires victorieux.

Pour autant, nous faisons le pari que la popularisation de la réalité du Plan : l’introduction de la sélection, qui est « officialisée », même à mots cachés, peut avoir un effet sur les consciences, si nous avançons les bons arguments. Cependant, il est difficile de déterminer où en est le niveau de conscience des étudiant.e.s et des lycéen.ne.s sur « à quoi sert l’université ? » et sur leur propre mise en concurrence vis à vis de leurs camarades. Il faut dire qu’en cela, les réformes successives et le dogme du libéralisme triomphant ont fait beaucoup de mal en peu de temps.

Une liaison effective entre personnels et étudiant.e.s est encore à construire, partout, bien qu’en beaucoup d’endroits il existe déjà une unité d’action entre organisations ou globalement entre étudiant.e.s, doctorant.e.s et personnels.

A cet effet, une initiative est à suivre : la coordination réunie à la Bourse du Travail de Paris le 20 janvier (comprenant entre autres les organisations suivantes : la CIDE, ANCMSP, ASES, APSES, ARESER, CGT, Comité de mobilisation de Paris 1, Copernic, SLU, SUD, SNESUP-FSU,SNASUB-FSU …) a appelé à la tenue d’une Coordination nationale de l’éducation (1) le samedi 27 janvier 2018.

Il nous faut participer à toutes les initiatives qui travaillent à la mise en place d’un front unique politique, associatif, syndical et citoyen face à cette Loi, et favoriser tout ce qui peux regrouper et mutualiser les expériences de luttes qui sont pour l’instant éparses, difficiles, et se mènent villes par villes. A ce titre, la grève du 1er février sera un premier indicateur de l’état de la mobilisation, de même que celle du 6 février dans le Secondaire contre la réforme à venir du bac et les manques de moyens : ce mouvement contre le Plan Étudiants pourrait en effet prendre un relief particulier s’il se construisait dans le regroupement de mobilisations étudiantes et universitaires, et de mobilisation dans les lycées, des personnels et des élèves, contre la réforme du bac qui en est le pendant.

C’est par une mobilisation large et unie que l’on pourra faire reculer le gouvernement !

Au-delà de l’enjeu sectoriel, de l’éducation et du supérieur, c’est à l’ensemble de la société qu’il s’agit de s’adresser : derrière le Plan Étudiants et la réforme du bac, il y a un projet de société. Qui n’est bien-sûr pas le notre, qui ira vers toujours plus de concurrence et d’inégalités et qui doit être mis en échec. Comme le souligne les chercheuses Leila Frouillou et Julie le Mazier (2) on se dirige droit vers le rêve des néolibéraux : un marché unifié de l’enseignement supérieur.

Nous avons à mener un vrai combat culturel : refuser la fausse alternative que formule Macron, son gouvernement et les néolibéraux, y compris la FAGE, « syndicat » étudiant puissant par ces associations implantées dans les facs (où face à la hausse démographique il est question soit de la sélection soit de tirage au sort pour « réguler les flux »), et dire qu’une autre voie pour une autre Université est possible, hors du statu quo, pour une sortie par le haut de cette situation de crise prolongée que connaît l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Cyril Escoffier (Secrétariat Jeunes d’Ensemble ! - Lyon)

NOTES

(1) http://www.sociologuesdusuperieur.o...

(2) Tribune dans Libération : « Sélection à l’université : de la reproduction sociale à l’exclusion », par Leïla Frouillou, Maître de conférences en sociologie, université Paris Nanterre et Julie Le Mazier, Docteure en science politique


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