La jeunesse insoumise se mobilise… et se rit des faux barons noirs et vrais petits marquis roses

mardi 15 mars 2016.
 

La journée du mercredi 9 mars contre la loi de la ministre du travail Myriam El Khomri fut un grand succès. Cela démarre plus fort que contre le Contrat Première Embauche (CPE) il y a 10 ans. Pourquoi le nier si ce n’est pour des arrières pensées politiciennes volant en aide au gouvernement ? Alors qu’il ne s’agissait que d’une première action de mobilisation, quelques jours après des vacances scolaires et universitaires, plus de 500 000 personnes ont manifesté dans toute la France ! Gare à ceux qui sous-estiment ce qui est en train de grossir et s’approfondir. Des habitudes de mobilisation et de politisation sont en train de se (re)forger, du plaisir à le faire aussi… Dans près de 200 villes de province des manifestations significatives ont eu lieu (Carcassonne, Alès, Amiens, etc..). Indiscutablement, le rejet est majoritaire dans notre peuple. C’est pourquoi, je répète avec mes amis et camarades, que la loi dite El Khomri doit être retirée dans son intégralité. C’est sur ce point que l’unité se réalise et se renforce. C’est simple et rassembleur. J’invite chacun à ne pas entrer, d’une manière ou d’une autre, dans une volonté de réécriture de tel ou tel article, ou à ajouter d’autres revendications qui nous déporteraient de la cible (même si les sujets légitimes de mécontentements ne manquent pas).

Je m’amuse de voir comment ceux qui défendent cette loi, reprennent dans l’affolement des argumentaires poussiéreux d’une banalité confondante. A les entendre, ceux qui manifestent ne sont pas représentatifs. Mais en quoi un gouvernement battu à toutes les élections depuis 2012, le serait à l’inverse ? Autre tarte à la crème des défenseurs de la loi El Khomri : ceux qui critiquent la loi ne l’ont pas lu ou pas bien… Pitié, pas celle là ! Absurde et méprisant, on dirait du Charles Pasqua cuvée novembre et décembre 1986. Mais, pourquoi ne fait-on pas pareil procès à ceux qui la défendent ? Ces gens là sont décidément très caricaturaux et sans imagination. Je prends quelques autres exemples : si vous êtes contre la loi, c’est que vous êtes pour le chômage. Si vous êtes contre la loi, c’est que vous méprisez les jeunes. Si vous êtes contre la loi, c’est que vous ne connaissez rien au monde du travail. Si vous êtes contre la loi, c’est que vous êtes un dinosaure. Si vous êtes contre la loi, c’est que vous êtes un conservateur. Etc, etc… Mais comme l’a dit l’autre jour Jean-Luc Mélenchon au micro de Jean-Jacques Bourdin sur RMC, dans de telles conditions oui nous sommes des conservateurs, mais des conservateurs des acquis sociaux si durement obtenus.

Enfin dernier exemple, parmi d’autres, si vous êtes contre la loi, c’est que vous ne voyez pas ce qui se passe dans d’autres pays. Mensonge. La précarité et le chômage y règnent, et ces pays sont malmenés par des infectes potions libérales qui ont justement détruit les codes du travail nationaux comme en Italie (12,4 % de chômage), au Portugal (13,2 %) ou en Espagne (22,5%). Certains, guère plus malins, essayent une autre astuce plus subtile. Il y aurait, disent-ils, dans cette loi bien sûr des reculs, mais aussi parmi les 50 articles qui la composent, des « bonnes choses » tel le Compte Personnel d’Activité (CPA) qu’il faudrait conserver. Cela fait référence à l’article 22 du projet. Quand on y regarde de près on constate qu’il y a aussi là enfumage total puisque le dispositif en question ne propose pas un seul droit nouveau pour les salariés (il ne regroupe que le Compte pénibilité et le Compte personnel de formation (CPF) déjà existants) et ne consacre pas un seul euro supplémentaire aux salariés (alors que le CICE a rendu 40 milliards aux employeurs). C’est donc juste la simple réorganisation de droits déjà existants. Maigre. En quoi donc cela devrait éviter de se concentrer sur le Retrait total de cette loi ? Qui ne voit pas là la manœuvre en cours ? Le CPA en question n’est donc en rien un début de « Sécurité sociale professionnelle » comme l’a pourtant affirmé à tort François Hollande. Restons sérieux.

Donc la possible réécriture d’un ou deux articles n’y changera rien. La dernière idée gouvernementale, en réponse aux manifestations, de « taxer » davantage les CDD ne fera pas passer la pilule, selon moi. Les stratèges qui croient s’en sortir ainsi se trompent. Cela reviendrait au bout du compte à fabriquer une sorte de statut unique pour tous les salariés : il n’existerait alors (sous les coups de la loi El Khomri) qu’un type de CDI très précaire, et un nouveau CDD favoriserait en retour de facto le recours à l’intérim (donc encore plus précaire que le CDD). Où est le progrès à l’arrivée ? Quelle efficacité contre le chômage et la précarité ? Walou, comme on dit de l’autre côté de la méditerranée.

Il n’y a donc rien de bon pour les salariés, pour la jeunesse, pour la société dans son ensemble, dans cette loi. Faut-il le répéter ? On ne fera pas reculer le chômage en facilitant les licenciements, en plafonnant les indemnités pour les licenciements illégaux, donc en condamnant moins les comportements délictueux de certains employeurs indélicats, en réduisant les temps de repos, en détruisant les accords de branches au profit d’accords d’entreprises potentiellement très défavorables aux salariés car c’est là qu’ils subissent plus la pression des employeurs, etc… Inquiet par l’indignation que la loi suscite, le gouvernement actuel cherche à désamorcer la mobilisation avec les recettes classiques : on cherche à diviser le front du refus, on calomnie (via des médias « indépendants ») ceux qui ne sont pas d’accord. Particulièrement, on présente les jeunes comme des gens décervelés et manipulés. Pour illustrer cette dimension, je renvoie, avec le style qu’on lui connaît, à la dernière saillie de Nicolas Sarkozy pour commenter les manifestations d’hier : « "ça fait un peu de peine, quand on parle de la modernisation du code de travail, on va agiter des lycéens qui ne sont pas forcément les mieux placés pour savoir ce qu’il convient de faire en matière d’emplois, de gestion d’entreprises ou d’évolution du code du travail". En d’autres termes : circulez jeunesse, il n’y a rien à voir, et ne vous mêlez pas de l’avenir qu’on vous prépare !

Au delà du mépris, il y a une autre thèse contenue dans la formule « on va agiter des lycéens » tels des marionnettes de chiffons. C’est la thèse des « barons noirs », ces vieux barbons politiciens cachés en coulisse qui tirent les ficelles. C’est dans l’air du temps « complotiste ». Et cela d’autant plus facilement qu’une série de Canal + a rendu en 8 épisodes bien écrits et superbement joués, le concept populaire.

Les quelques lignes qui suivront seront là pour dire une nouvelle fois combien cette thèse est un fantasme, pire un frisson politicard, généralement porté par des gens qui ne connaissent pas réellement les mouvements de jeunesse. Ne faisant plus partie de cette catégorie de la population (hélas !) je peux témoigner néanmoins, pour avoir milité depuis l’âge de 18 ans, que quand la jeunesse se mobilise, elle le fait toujours sur des thèmes qu’elle a choisi elle même, et dans des formes et des rythmes qu’elle se donne, seule. Combien de fois ai-je vu des sujets, pourtant important, ne susciter aucune mobilisation, malgré une grande agitation fébrile de biens des organisations, alors que sur une question inattendue elle se dressait en quelques jours ? Par définition, par sa nature même et sa spontanéité, la jeunesse, plaque sensible de la société, est indomptable… oserai-je dire « insoumise » ? C’est d’ailleurs une bonne nouvelle. Une fierté pour un pays qui se veut grand. Un Républicain conséquent doit toujours se réjouir de voir la jeunesse faire de la politique… L’instruction civique n’est pas une matière froide que l’on étudie dans les manuels. Elle est une pratique et une exigence. Et, quand elle se mobilise, les organisations de jeunesse dites traditionnelles doivent savoir s’effacer pour que le mouvement puisse pleinement s’épanouir. Ce point là est important et a toujours fait l’objet de bien des débats théoriques par le passé durant de longues nuits. J’ai souvenir de l’article IX de la Charte de réunification de l’UNEF-ID rédigé en 1980 : « Quand vient l’heure de l’action, il est du devoir du syndicat de créer les meilleures conditions démocratiques du mouvement qui implique la participation à d’autres formes d’organisations des étudiants (AG, Comités de grève). En ce sens, elle œuvrera au développement des formes d’auto-organisation, d’autodétermination des étudiants ». Je considère cette analyse encore pertinente. Elle porte en germe, avec quelques décennies d’avance, l’idée des mouvements citoyens que nous voulons voire éclore. Quelques années plus tard, lorsque je militais dans le milieu étudiant, de 1987 à 1995, nous nous en réclamions farouchement contre la volonté de ceux qui pensaient que les structures militantes existantes et permanentes, devaient être le cadre dirigeant non discutable, du mouvement naissant. Qui dirige ? « Personne, on s’en charge nous mêmes » répond la jeunesse qui lutte. C’est dans tous ces débats qu’apparaît le mythe du « Baron noir »… Il est censé être le vrai dirigeant occulte. Le Patron. Le Boss... Quelle blague. J’avoue que ceux que j’ai vu s’essayer dans ce rôle était davantage des petits marquis rose que des barons noirs…

Là, je ne peux m’empêcher de repenser à Julien Dray qui s’est écrié il y a quelques semaines dans la presse « le Baron noir, c’est moi ». Ah ? Pas de quoi être fier. D’autant qu’il tire la couverture à lui en exhumant un article du Monde datant de 1988 qui parle essentiellement des trotskystes et leur influence dans les grèves chez les cheminots ou les infirmières. A cette époque, Julien Dray n’avait aucune influence dans ces milieux là. C’est un pur fantasme téléguidé par Michel Rocard alors premier Ministre qui ne supportait pas qu’on lui tienne tête et qui voyait des ennemis partout. Mais la récup’ de ce blason m’a rappelé décembre 1995, date de ma première véritable rencontre lui. Vers minuit, dans le quartier latin, dans une arrière salle de restaurant où nous discutions fermement entre animateurs du mouvement étudiant en cours contre les réformes de François Bayrou (alors ministre de l’éducation nationale), il débarquait de façon inattendue pour moi, l’air mystérieux, sourcils froncés et épaules voutées, grand manteau sombre et longue écharpe blanche (j’avoue qu’il me fit penser au film Borsalino avec Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. C’est aussi la première que je voyais un député en chair et en os) au beau milieu d’une discussion animée que nous avions entre Pouria Amirshahi (alors Président de l’UNEF-ID) et quelques autres qui se reconnaitront sans doute s’ils me lisent. Comme je refusais que le syndicat ne reconnaisse pas les nouvelles formes d’auto-organisation étudiante (et même les affronte) issue de la coordination nationale qui se tenait à Censier, Dray se mêlant à l’échange tenta de me faire la leçon en me rappelant la grève des lycéens de 1973 (pour partie menée en mobylette selon la légende !) qui l’avait manifestement marqué même vingt ans après. L’exemple qu’il développa devant moi était censé me faire une démonstration éclatante (je la trouvais pour ma part confuse) qu’il fallait coûte que coûte « lutter contre le gauchisme » et donc concrètement casser la Coordination étudiante qui échappait au contrôle du syndicat. Je passe sur les détails. La conversation fut pittoresque. Mais surtout, la venue nocturne de Julien Dray et notre discussion un poil surréaliste, n’eut aucune influence réelle sur les évènements qui suivirent. La réalité est que si Julien rodait autour des mobilisations de jeunesse, c’était surtout à la recherche de la sienne. Son prétendu trotskysme était un paternalisme. Et ses leçons politiques, marquées par sa jeunesse militante aux JCR, nous faisaient doublement rire une fois qu’il était reparti. J’ai d’autres exemples dans ma musette à souvenirs. Etre sur les trottoirs des manifestations de jeunesse, l’air très mystérieux et le téléphone portable collé à l’oreille, ne garantit pas d’avoir une influence sur des milliers de jeunes mobilisés. Des ignorants qui n’ont jamais manifesté de leur vie peuvent néanmoins le croire.

651873-manuel-valls-et-jean-marie-le-guen-le-28-avril-2014-a-l-assemblee-nationale-a-paris.jpgCeci dit, il est frappant pour moi de constater combien, le très petit groupe qui dirige, sur le plan institutionnel, actuellement le pays, c’est à dire MM. Manuel Valls, Jean-Marie Le Guen (le vrai porte-parole du gouvernement) et d’une certaine façon Jean-Christophe Cambadélis, sont des fabrications directes (et monstrueuses) de l’histoire des mobilisations étudiantes et lycéennes de ce pays durant les années 80. Si des gens ont su mettre à profit les généreuses mobilisations de la jeunesse pour leurs intérêts personnels, c’est bien ces trois hommes et leur complicité étroite. Plus qu’une inexistante manipulation actuelle de la jeunesse, ce trio a su faire fructifier son ex engagement étudiant pour en faire ensuite un instrument utile aux carrières respectives. La MNEF, création du syndicalisme étudiant en 1948, en fut hélas l’outil avec le résultat sombre que l’on sait. Je passe mais n’oublie rien. Et je profite de l’occasion pour signaler à M. Jean-Marie Le Guen qu’il devrait être moins arrogant contre la jeunesse actuelle en refusant de voir la force de ce qui se lève. Il doit beaucoup aux organisations étudiantes et notamment cette mutuelle dont il fut salarié pendant plus de 20 ans sans remettre en cause la représentativité du syndicat qui l’avait placé là...

Et puis, les mêmes qui moquent les figures actuelles du mouvement étudiant de 2016 qui émergent, en ciblant parfois ironiquement leurs « longues études » peu fructueuses, vieilles techniques pour les ringardiser, devraient plutôt s’interroger sur le parcours universitaire et professionnel du Premier Ministre lui même (pourtant issu d’un milieu social aisé) qui incarne, paraît-il, la modernité et la « vraie connaissance » du monde de l’entreprise privée. En 1992, à près de 30 ans, titulaire d’une licence, il était manifestement encore dans les histoires étudiantes, puisqu’il les représentait officiellement au Conseil d’administration de la MNEF et prenait des décisions en leur nom ! De même, son parcours professionnel se limita à être collaborateur d’élu ou élu lui même, ce qui laisse une bien mince empreinte de la réalité du précariat… Ces petits marquis rose, aujourd’hui libéraux radicalisés, n’ont aucune leçon à donner à la jeunesse d’aujourd’hui. Bien au contraire. Son insoumission, et son refus de leur ressembler, est la solution et la porte du futur. Aussi, nourri de l’énergie communicative d’hier, continuons la lutte, notamment le 17 et le 22 mars et pour faire du jeudi 31 mars une vague citoyenne pour le retrait de cette loi scandaleuse.


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