Brésil : Lula part en campagne présidentielle depuis la prison

jeudi 21 juin 2018.
 

En prison depuis deux mois, l’ex-chef de l’État entend se présenter à la présidentielle d’octobre. Même derrière les barreaux, les sondages le confortent dans ce choix.

« Je veux savoir pour combien de jours ils pensent m’arrêter. Plus je passerai du temps là-bas (en prison), et plus de Lula naîtront dans ce pays, et plus de gens se battront pour ce pays parce qu’une démocratie n’a pas de limites. Il n’y a pas d’heure précise pour se battre.  » Une foule impressionnante s’est massée, ce 7 avril, à Sao Bernardo do Campo, dans l’État de Sao Paulo, pour entourer l’ancien président du Brésil (2003-2010). Aux côtés de Lula se trouvent le candidat du Mouvement des travailleurs sans toit, Guillermo Boulos, et la candidate communiste, Manuela d’Avila, à la présidentielle d’octobre prochain. Il prononce alors un discours intime et très politique. Il sait qu’il doit se présenter à la police fédérale. Des milliers de partisans présents scandent  : «  Lula, guerrier du peuple brésilien  », lui qui, à la tête du pays, a contribué à sortir 36 millions de Brésiliens de l’extrême pauvreté. Il est acclamé et porté par l’assistance comme un héros, comme une victime d’un système politico-judiciaire inique qui a juré d’avoir sa peau. Cela faisait deux jours qu’il avait trouvé refuge dans les locaux des métallurgistes de l’ABC, le syndicat qu’il a présidé et avec lequel il a mené une grève historique en 1979 alors que le pays était sous la coupe de la dictature des militaires. Cette lutte ouvrière lui vaudra de finir derrière les barreaux. Dans le siège des métallos, «  j’ai appris la sociologie, l’économie, la physique, la chimie, et ici j’ai appris à faire de la politique avec des milliers de professeurs, les compagnons du syndicat. (…) Je ne vais pas m’arrêter parce que je ne suis pas seulement un être humain, je suis une idée  », rappelle-t-il au public. Puis, la figure emblématique du Parti des travailleurs (PT), dont il est l’un des cofondateurs, s’est rendue à la justice, sans pour autant déposer les armes.

Les basses œuvres d’un juge aux affinités avec la droite rance

Voilà deux mois, jour pour jour, que Luiz Inacio Lula da Silva purge une peine de douze ans et un mois dans la prison de Curitiba, dans le sud du pays, pour «  blanchiment d’argent  » et «  corruption passive  » dans le cadre de l’affaire dite «  Lava Jato  », selon la sentence prononcée par le controversé juge Sergio Moro, qui, de son propre aveu, a reconnu qu’il n’avait aucune preuve tangible contre le leader de gauche. Voilà deux ans également que sa successeure et camarade de luttes, la présidente Dilma Rousseff, a été la cible d’un processus de destitution rocambolesque qui s’est soldé par un coup d’État institutionnel pour chasser le PT du pouvoir. Il a depuis plongé le géant la-tino-américain dans un marasme institutionnel et économique sans nom dont les premières victimes sont les pauvres, ceux-là mêmes qui ont porté Lula et Dilma au pouvoir.

C’est désormais depuis sa cellule que l’homme à la chevelure grisonnante mène le combat pour prouver son innocence. Sa condamnation pour l’obtention d’un triplex prétendument offert par une entreprise de bâtiment en échange de marchés publics ne tient pas. «  Je suis le seul être humain poursuivi pour un appartement qui n’est pas à moi  », s’est défendu Lula durant son procès. Il n’a jamais vécu dans les lieux car il n’en a jamais eu les clés. Mais il fallait le museler… Les basses œuvres du juge Moro, dont les affinités avec la droite bien rance du pays ne sont plus à démontrer, ont été telles qu’elles ont suscité des prises de position au-delà des seules frontières brésiliennes. D’anciens présidents et responsables de gouvernement européens ont pris la plume pour faire valoir «  les principes de la démocratie et le droit des peuples à choisir (leur) gouvernement  ». Massimo D’Alema, l’ex-président italien du Conseil, son successeur Romano Prodi, Elio Di Rupo, l’ancien premier ministre belge, José Luis Rodriguez Zapatero, ex-président du gouvernement espagnol, ont appelé «  solennellement à ce que le président Lula puisse demain se présenter libre au suffrage du peuple brésilien  ». Sur le plan diplomatique, une telle démarche en dit long sur la gravité de la situation.

Lula fait figure de favori à l’élection présidentielle

L’ordre démocratique a été rompu pour déloger la gauche du pouvoir et l’empêcher, par tous les moyens, d’y revenir. Car Lula, malgré une campagne de diffamation grossièrement administrée par les médias dominants, conserve une cote de popularité à faire pâlir nombre de dirigeants politiques. Lorsqu’il quitte le palais présidentiel du Planalto au terme de deux mandats, l’ancien métallo jouit d’un taux d’approbation de 87 %. Malgré ses déboires avec un secteur de la justice, Lula fait figure de favori à l’élection présidentielle, d’après toutes les enquêtes d’opinion. Il est donné vainqueur au second tour, quels que soient les cas de figure. Un camouflet pour le gouvernement putschiste du président corrompu Michel Temer, qui s’est employé à détricoter les timides mais réelles réformes sociales du PT.

L’insulte est d’autant plus insupportable que le leader de gauche a officiellement lancé, le 27 mai, sa précandidature au scrutin présidentiel depuis les quinze mètres carrés de son mitard. Un geste relayé dans 70 villes brésiliennes et des dizaines de capitales. Le 18 mai, dans une tribune publiée dans le Monde, Lula motivait sa candidature, en rappelant qu’«  une partie de la population qui a soutenu la chute de Dilma Rousseff (...) s’est rendu compte que le coup d’État n’était pas contre le PT. Il était contre l’ascension sociale des plus pauvres et contre les droits des travailleurs. Contre le Brésil  ».

Cathy Dos Santos, L’Humanité


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