Quelle est donc la sagesse de Monsieur Macron ?

vendredi 12 avril 2019.
 

La vraie sagesse est bien du côté de Geneviève Legay, militante pacifique que révolte l’injustice sociale, en cours de traitement à l’hôpital pour plusieurs fractures du crâne. C’est ce qu’affirme dans un tribune libre publiée par Libération le philosophe et écrivain Henri Pena-Ruiz.

Quelle est donc la « sagesse » de monsieur Macron ?

Donc monsieur Macron a décidé de faire la leçon à une femme de 73 ans, Geneviève Legay, militante d’Attac, grièvement blessée à Nice lors d’une charge de la police. Et une leçon de sagesse de surcroît ! De quelle sagesse ? Elle n’apparaît guère en cette nouvelle occasion qu’il saisit pour se poser en donneur de leçon. Après le chômeur qui n’a qu’à traverser la rue pour trouver du travail, le pauvre qui ne saurait pas que tout droit suppose des devoirs, le Président morigène cette femme dévouée aux plus démunis, en cours de traitement à l’hôpital pour plusieurs fractures du crâne. Après des vœux de rétablissement a minima, sans regretter ce qui est arrivé, il lui suggère d’acquérir « une forme de sagesse » et sa condescendance va jusqu’à lui dire qu’une femme de son âge ne doit plus manifester ! Bref, la blessure physique ne suffit pas. Il y faut ajouter la blessure morale.

Etrange sagesse que celle d’un Président faisant la leçon à une femme de cœur, qui consacre son temps à combattre l’injustice sociale. Est-ce vraiment le moment opportun, le fameux kairos cher à Aristote, qui est la marque du jugement circonstancié que tout sage doit porter pour dire et pour agir à propos ?

Provocation irresponsable

Mais surtout, quelle forme de sagesse est ainsi mise en œuvre dans le domaine moral et politique ? La sagesse pratique (la fameuse phronèsis des penseurs grecs) y requiert la prise en considération de l’ensemble du peuple, dont les plus démunis, et pas seulement des exilés fiscaux, des « premiers de cordée », des riches devenus encore plus riches grâce à une politique de classe outrageusement partisane. Elle suppose ce minimum d’humanité qui fait qu’on ne traite pas par le mépris ceux qui n’en peuvent plus de subir la pauvreté, voire la misère, dans un monde qui n’a jamais produit autant de richesse. C’est bien une telle politique qui a provoqué la révolte dont le Président déplore les effets, tout en voulant obstinément en ignorer les causes. Victor Hugo faisait dire à Ruy Blas : « L’alguazil, dur aux pauvres, aux riches s’attendrit. » Sagesse, ou aveuglement volontaire ? Combien de temps encore monsieur Macron va-t-il feindre de ne pas comprendre, ou de faire comme si ?

Sous prétexte de réguler les manifestations, le président entend dicter la forme que doit prendre la contestation. La forme d’un « grand débat » dont certaines questions sont piégées, comme celle qui consiste à demander quels services publics il faut réduire pour payer moins d’impôt ! Exit la fiscalité redistributive qui fait vivre ces services publics par une cotisation sociale proportionnée et progressive. Flat-tax minimale pour le grand capital, impunité pour les exilés fiscaux, réduction drastique de l’impôt de solidarité sur la fortune. Notre président en profite pour occuper le devant de la scène, relayé par des médias qui lui servent de caisse de résonance. Le CSA décomptera-t-il ces longues heures de propagande dans le contingent alloué à LREM ? Sagesse, ou provocation irresponsable, le fait de déclarer d’entrée de jeu que le cap sera maintenu alors qu’il a déclenché une telle explosion sociale ? A quoi bon ce débat qui veut donner l’illusion d’une réélaboration collective alors qu’on persiste et signe dans l’enfumage idéologique ?

Rouerie politique

Tromper le peuple en lui faisant croire qu’on augmente le smic de 100 euros, alors qu’on met à la charge des contribuables une prime d’activité du même montant, est typique d’une telle rouerie politique. Dans le Prince (chapitre 18), Machiavel dit du politique habile qu’il est à la fois lion et renard. La force et la ruse. La force pour réprimer, la ruse pour mystifier le peuple. Nous y sommes, un peu de condescendance cynique en plus. Comme l’a compris Rousseau, Machiavel n’approuvait pas les princes en mettant à nu leur façon de faire. Il vendait la mèche, en démystifiant leurs prétextes, afin que le peuple cesse d’être abusé. D’où son éloge, si actuel au regard d’une révolte populaire maltraitée à tous égards : « En feignant de donner des leçons aux rois, il en a donné aux peuples. Le Prince de Machiavel est le livre des républicains. » Ouvrir les yeux sur les ressorts réels de la politique macronienne est salutaire, et la révolte des gilets jaunes a eu l’immense mérite d’y contribuer.

La vraie sagesse est bien du côté de Geneviève Legay, militante pacifique que révolte l’injustice sociale. Une sagesse dans le droit fil les penseurs sociaux du XIXe siècle, adversaires d’un capitalisme sauvage que ne tempéraient pas encore les droits sociaux conquis de haute lutte. Comme eux, elle sait qu’on mesure le degré de civilisation d’une société au sort qu’elle réserve aux plus démunis. Monsieur Macron pourra-t-il enfin s’instruire d’une telle sagesse ? Henri Pena-Ruiz philosophe, écrivain


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