Perquisitions et procès contre LFI : nouvelle étape de la dérive autoritaire du pouvoir macroniste

vendredi 4 octobre 2019.
 

Votre procès « pour actes d’intimidation, rébellion et provocation » lors de la perquisition du siège de la FI en octobre 2018 s’ouvre aujourd’hui. Vous dénoncez « un procès politique ». Pourquoi estimez-vous « illégitime » cette convocation devant les juges ?

Jean-Luc Mélenchon – Les incriminations prêteraient à sourire mais prenons avec gravité ce qui est en jeu : 150 000 euros d’amende, dix ans de prison, et la menace d’une peine complémentaire d’inéligibilité. La procédure est hors du commun. Tout est resté dans les mains du parquet. À aucun moment un juge indépendant n’est intervenu dans la procédure. Mais le point de départ, c’est le motif des perquisitions. Tout ce cinéma, c’est parce que j’ai été dénoncé par une députée d’extrême droite comme 19 autres parlementaires. Je suis le seul à être traité de cette manière-là. Je fais aussi l’objet d’un signalement sur mes comptes de campagne, sans en connaître le motif, alors que ce compte a été validé et que notre campagne a été la moins chère de toutes. Alors pouvait-on faire autre chose que protester contre les perquisitions ? Personne ne nous fera croire qu’on traite un président de groupe parlementaire comme dans une opération de grand banditisme avec 100 policiers mobilisés, sans que ni le ministre de l’Intérieur ni le ministre de la Justice ne soient au courant. C’est impossible. Le scénario est le même dans tous les pays où ces méthodes sont mises en place : au départ une dénonciation sans faits concrets, une campagne de presse, un juge, et la machine judiciaire vous engloutit.

Assumez-vous la comparaison entre la France macroniste et le Brésil de Bolsonaro ?

Jean-Luc Mélenchon – Oui. C’est la même instrumentalisation politique de la justice. Mais quel mépris pour le Brésil ! Il y existe une justice ! Le juge Moro a trompé tout le monde. Il était de mèche avec le pouvoir. Il a condamné Lula sans preuves. C’est exactement ce qui m’arrive. La comparaison vient de loin : le procureur Perruaux, organisateur de la perquisition, a rencontré le juge Moro pour faire un « échange de bonnes pratiques »… Leurs méthodes sont bien les mêmes. Donc, oui, je mets en cause une opération de lawfare, guerre judiciaire. Et Lula aussi puisqu’il a signé la tribune. Si je ne m’inscris pas dans cette perspective, je ne peux pas comprendre ce qui m’arrive.

Vous décrivez ce procès comme une nouvelle étape de la dérive autoritaire du pouvoir macroniste. Dans votre livre qui paraît aujourd’hui, vous énumérez, des gilets jaunes aux syndicalistes, de nombreux cas de répression. Estimez-vous que la France soit encore un État de droit ?

Jean-Luc Mélenchon – Beaucoup de violences policières et judiciaires se sont accumulées depuis le début du quinquennat. Elles ont été dénoncées à chaque étape. Mais on a perdu de vue le tableau d’ensemble. Les gilets jaunes ont été réprimés avec une férocité incroyable. Les syndicalistes ont pris des peines inédites. Voyez Bure : garde à vue et saisie du matériel d’un avocat, un fait sans précédent. On doit donc s’interroger d’urgence sur la qualité de l’État de droit dans notre pays. La liberté de manifester est garantie… à ses risques et périls. On a le droit de manifester si on est prêt à être éborgné, poussé dans la Loire, arrêté et jugé séance tenante dans la nuit. Une sorte d’état d’exception s’insinue petit à petit partout. Cela vaut à la France des condamnations internationales à la Cour des droits de l’homme ou l’ONU. Le gouvernement les a méprisées. Maintenant, il s’indigne du fait que je mette ma situation dans le même tuyau que celle de Lula ou des Camerounais. Qui organise des méthodes comparables dans tous les pays ? D’ailleurs, dans la guerre judiciaire, le gouvernement français est souvent complice avec les États persécuteurs.

La Fête de l’Humanité, avec la présence de Dilma Rousseff, a relancé l’exigence d’une mobilisation d’ampleur en faveur de la libération de Lula. Vous venez de le rencontrer. Que vous a-t-il dit et comment faire monter la pression internationale pour le sortir de prison ?

Jean-Luc Mélenchon – J’ai d’abord été soulagé de voir que mon ami se portait bien. La tentative de le mettre dans une prison de droit commun a échoué, donc sa vie est protégée. Il est réconforté par une présence militante permanente sous ses fenêtres. Il se sent relié à une opinion populaire qui lui est favorable. Je n’ai pas eu une seconde d’hésitation sur son innocence quand Lula a été emprisonné. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde. C’est à méditer : faut-il se retrouver derrière les barreaux, quand c’est trop tard, pour se réveiller ? Il a répété que son emprisonnement visait à le détruire, lui, mais plus encore le Parti des travailleurs, pour qu’il n’y ait plus d’alternatives. Il nous appelle à politiser la lutte. Notre déclaration mondiale commune fait ce travail.

Avec ce procès, vous interrogez l’indépendance de la justice. Raquel Garrido estime que le procès Fillon relève de l’instrumentalisation à la veille des élections municipales. Vous dénonciez pourtant pendant la présidentielle un candidat qui appelle à « l’émeute contre la justice ». Avez-vous changé d’avis ?

Jean-Luc Mélenchon – Rétrospectivement, on se pose des questions. Cette affaire nous a pourri les présidentielles. Clairement, il existait un plan pour utiliser cette situation. Ma crainte aujourd’hui, c’est l’autonomisation des corps de l’autorité de l’État, et donc leur décomposition. Justice et police ne doivent pas être instrumentalisées. Depuis combien de temps ce processus a commencé, sans qu’on l’ait vu venir ?

Le Syndicat de la magistrature vous reproche de mettre tous les juges dans le même sac et d’utiliser les mêmes arguments que la droite affairiste et le Rassemblement national.

Que leur répondez-vous ?

Jean-Luc Mélenchon – C’est injuste et très corporatiste. Je n’ai jamais mélangé les juges du siège et ceux du parquet. Je n’ai jamais « affirmé ma solidarité à Richard Ferrand ». J’ai dit que je ne connaissais pas le dossier. Les juges, c’est eux, pas moi. Et je sais maintenant qu’un coup tordu est possible. Ce communiqué en est un exemple.

« Quand on n’est pas content de la justice, il faut changer les lois, pas s’en prendre aux juges », affirmiez-vous pendant la campagne présidentielle. Que proposez-vous pour garantir l’indépendance de la justice ?

Jean-Luc Mélenchon – Débarrassons la loi des procédures d’exception accumulées au cours des dix dernières années, au motif de la lutte contre le terrorisme. Assez de procédures expéditives ! Contrairement aux macronistes, ce qu’on attend de la justice ce n’est pas qu’elle soit impitoyable, mais qu’elle soit impartiale. Il faut donc la libérer des injonctions sociales inacceptables : la priorité donnée à la répression des faibles, et l’extrême douceur face aux milieux de l’argent. Ensuite, il faut que les juges puissent appliquer la loi dans de bonnes conditions matérielles. Enfin, la justice est rendue au nom du peuple français. Donc on ne doit pas croire que c’est un sujet neutre. De quelle manière le peuple peut-il intervenir dans la justice sans que celle-ci devienne une simple courroie de transmission des émotions du moment ? Certains disent : si les parquetiers n’étaient pas nommés par le pouvoir, le problème serait réglé. J’en doute. Je veux un autre rôle pour les députés dans la définition des politiques judiciaires et le contrôle de leur exécution.

Votre mouvement s’était donné pour objectif de « fédérer le peuple », en dehors des partis politiques. Les gilets jaunes ne se sont pas emparés de cet outil, votre score aux européennes a été décevant. Cela remet-il en cause votre stratégie ?

Jean-Luc Mélenchon – Cela nous interroge. Car notre cadre conceptuel « ère du peuple-révolution citoyenne » est encore en construction. La phase destituante de la révolution citoyenne est pleine de paradoxes : le mouvement est fort, puissant, il embrase toute la société mais il ne l’est qu’à la condition de ne pas se cliver lui-même, donc de mettre à distance toute représentation et parfois tout porte-parolat. C’est une difficulté que nous n’avons pas su traiter pendant la bataille des gilets jaunes. Peut-être sommes-nous encore trop marqués par l’idée que les partis ou les mouvements ont un rôle conducteur dans la lutte. Le front du peuple s’est rompu dans cette période. Classe moyenne et milieux populaires se sont séparés. Les problèmes sont dans la société, et les réponses aussi. Un mouvement ou un parti doit interroger sa capacité à devenir un intermédiaire utile aux masses. Là, c’était absolument impossible, nous n’y sommes pas parvenus. Quant aux européennes, je ne partage pas le nombrilisme de ceux qui cherchent des coupables. Les électeurs de centre-ville qui votaient pour les écologistes se sont tournés vers EELV. Ce mouvement écologiste incarne une représentation légitime de milieux sociaux mieux mobilisés. Nous en avons une autre. Elle a moins bien fonctionné que la leur. Les quartiers populaires, jusque dans ma ville de Marseille, ont des taux d’abstention ahurissants, 85-90 % dans certains bureaux de vote. La difficulté est de mettre en mouvement ces secteurs de la société qui estiment qu’une seule élection compte dans le pays, la présidentielle.

Mais contrairement à vos ambitions, les gilets jaunes ont finalement considéré votre mouvement comme les autres formations politiques…

Jean-Luc Mélenchon – Peut-être. Pas sûr. Le problème, souvent, ce sont les grosses lunettes traditionnelles de ceux qui parlent du mouvement insoumis. Ils adoreraient qu’on passe des heures à discuter à l’ancienne des plateformes, des virgules. Nous ne le ferons pas. On a essayé autre chose : un mouvement inclusif par l’action, « utile », en repeignant une école ou en assurant une solidarité concrète dans les luttes, par exemple. Je ne vais pas dire que c’est la solution miracle mais c’est ça la raison d’être du mouvement insoumis. Sa forme n’est pas fixe. On va encore inventer. On ne peut pas saisir la révolution citoyenne à main nue mais on ne peut pas la saisir avec un parti guide. Il lui faudrait des secteurs sociaux fortement organisés autour de lui. Ce monde n’existe plus. On est obligés d’inventer une nouvelle forme de porosité avec la société.

La stratégie de la France insoumise s’est inspirée des « révolutions citoyennes » sud-américaines au début des années 2000. Vous avez voulu y retourner cet été, qu’en retenez-vous ?

Jean-Luc Mélenchon – Partout où je suis allé, on m’a posé la même question : les gilets jaunes. Pourquoi la jonction avec le mouvement syndical et politique n’a pas eu lieu ? Cet événement leur parle car l’Amérique du Sud n’est pas sortie de la vague dégagiste, rouleau compresseur qui écrase tout sur son passage et prend son point d’appui là où il le trouve. De l’Argentine à l’Urugay, du Mexique à l’Équateur, elle est toujours dans ce processus d’ébullition, à la recherche d’alternatives au néolibéralisme. Après les deux premières phases de la révolution citoyenne (dégagisme, Constituante), reste la phase constructrice, celle du rôle du peuple une fois qu’on a gagné l’élection. Nous sommes dans une période fascinante de recherche, d’imagination. Et au milieu de tout ça, restent les anciennes recettes et le credo trotskiste, dont j’ai été un exemplaire : « Si tout le monde s’unit alors nous aurons la victoire. » Mais ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est comment des masses qui se mettent en mouvement acceptent une expression politique. Parfois, cela consiste à se retirer complètement, pour que les formes d’auto-organisation populaire prennent le pas sur toutes les autres.


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