La rébellion se poursuit à Hong Kong

lundi 30 décembre 2019.
 

Dans ce qui suit, nous publions la première partie d’une interview avec Au Loong Yu réalisée par e-mail, qui se réfère aux événements antérieurs au 27 novembre 2019.

Au est un écrivain et militant hongkongais. Il a de nombreux liens avec les mouvements sociaux à Hong Kong ainsi qu’à l’étranger (1). Sozial.Geschichte Online

Question : En août, alors que le mouvement de Hong Kong ne faisait que commencer, vous avez déclaré dans un entretien avec Jacobin que « si le régime de Pékin conserve sa stabilité, un soulèvement populaire à Hong Kong se terminera probablement mal » (2).

Actuellement [26 novembre], les manifestations sont toujours vivantes et ont un écho mondial.

Comment qualifieriez-vous la situation actuelle, après six mois de manifestations, d’occupations et d’affrontements violents avec la police ?

Après quatre jours de confrontation entre les étudiant.es de l’Université chinoise (CUHK) et la police, entre le 11 et le 14 novembre, d’importants affrontements ont éclaté le 17 novembre. Des centaines de policiers anti-émeutes ont assiégé l’Université polytechnique. Au moment où nous écrivons ces lignes [26 novembre], le siège se poursuit. [Il ne sera levé que le 28]. Le mouvement anti-extradition s’est transformé en une grande bataille pour défendre l’autonomie de Hong Kong. Celui-ci est passé par trois étapes.

Première phase (juin-juillet)

Elle a commencé en juin, lorsque des millions de personnes sont descendues dans la rue [les 9 et 16 juin]. L’assemblée législative a été assiégée [le 12 juin] et des violences ont eu lieu.

L’administration Carrie Lam avait fait une concession en annonçant [le 15 juin] que le projet de loi sur l’extradition serait temporairement suspendu. Mais le mécontentement avait persisté.

Il faut aussi mentionner le mouvement syndical. Le 17 juin, la confédération HKCTU des syndicats pro-démocratie a appelé à la grève. Mais cet appel pas été couronné de succès.

Ce sont les jeunes radicaux qui sont entrés par effraction dans l’édifice de l’Assemblée législative le 1er juillet qui ont intensifié le mouvement. Cette brève occupation a également été possible en partie parce que la police avait évacué les lieux, ce qui a probablement dû inciter les radicaux à entrer par effraction et à provoquer une confrontation. Quoi qu’il en soit, cette action a fait passer le mouvement à un niveau supérieur.

Mais ce qui a suivi a été horrible : la police a collaboré avec la mafia dans la région de Yuen Long [tout près de la frontière avec la Chine continentale], pour mener [le 21 juillet] des attaques à l’aveugle dans la gare, dans le but de terroriser les habitant.es et les manifestant.es. Cela a heurté la plupart des gens, et même les libéraux les plus modérés se sont mis en colère. Nous avons alors assisté à une nouvelle phase de radicalisation.

Des manifestations ont eu lieu dans 16 ou 17 districts. Un élargissement du mouvement s’est en effet produit au niveau des quartiers, ce qui ne s’était jamais produit auparavant à Hong Kong. C’est l’attaque de la mafia qui a provoqué cela.

La manifestation du 27 juillet a été encore plus significative. Jusque-là, les manifestations étaient légales. Mais pour la première fois, la police a refusé d’autoriser celle-là.

Les habitant.es de Hong Kong sont très modéré.es - ou l’ont été pendant de nombreuses années. Habituellement, ils/elles auraient respecté cette interdiction. Mais, au lieu de cela, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue par défi. C’était la première fois depuis le début du mouvement actuel qu’un mouvement de désobéissance civile aussi massif avait lieu. Celui-ci a servi de base aux mobilisations du mois d’août.

Deuxième phase : le point culminant (août)

Le mois d’août a marqué le début de la deuxième étape, qui a été le point culminant du mouvement. Le 5 août, un deuxième appel à la grève a eu lieu. Cette fois, c’était une réussite. Un secteur de l’économie de Hong Kong a marqué le mouvement de grève : celui des aéroports et de l’industrie aéronautique. On estime que 300 000 ou 400 000 personnes ont participé à la grève.

Par la suite en août, des manifestations réussies ont eu lieu tous les deux ou trois jours. Davantage de personnes ont défilé qu’en juillet. Les mobilisations se sont donc poursuivies. Le 12 août, une occupation massive de l’aéroport a eu lieu.

L’appel à la grève des 2 et 3 septembre n’a cependant pas été un grand succès, car les salarié.es et les syndicats craignaient des représailles de la part de Pékin. Le pouvoir chinois avait déjà montré ses griffes après la grève du 5 août en faisant licencier par la direction de Cathay Pacific les permanent.es syndicaux ainsi que plus de 30 salarié.es (3). Comme les étudiant.es et les syndicats n’ont pas eu la capacité de protéger les grévistes contre les licenciements, il ne faut pas s’étonner que cette deuxième grève n’ait pas été très fructueuse. Mais dans le secteur de l’éducation, le boycott des cours début septembre a été très réussi. Même les élèves des collèges et lycées se sont organisé.es et ont boycotté les cours. Les manifestations sont devenues une activité courante à Hong Kong.

Le mouvement doit faire face à un problème. Comme il se déclare sans leader, et qu’aucun parti politique - qu’il soit libéral ou nativiste - n’a jamais été en mesure de jouer un rôle significatif, il a tendance à être très informel et chaotique. Le 1er octobre, par exemple, plusieurs manifestations dans différentes parties de la ville ont eu lieu au lieu d’une seule grande manifestation.

Troisième phase : l’impasse (octobre-novembre)

A partir du mois d’octobre, le mouvement entre dans sa troisième phase. Je la qualifierais de situation d’impasse.

- D’une part, le mouvement se retrouve dans un goulot d’étranglement car il a du mal à relancer une nouvelle grève des salarié.es, ou à organiser un défilé d’un million de personnes bravant l’interdiction de manifester.

- D’autre part, le gouvernement n’est pas non plus en mesure de l’écraser.

Un appel à la grève et au boycott des cours a été lancé pour le 11 novembre. Le affrontements entre les étudiant.es et la police entre le 11 et le 14 novembre ont été impressionnants. Des étudiant.es ont occupé des universités. L’occupation de l’Université chinoise (CUHK) a été la plus importante, grâce au renfort de nombreux/euses étudiant.es d’autres universités qui ont rendu possible la résistance à l’attaque de la police dans la nuit du 12.

Cependant, le manque d’organisation et de structure de coordination au sein de cette occupation a amplifié les divergences tactiques entre les étudiant.es de CUHK et les extérieur au campus. Les premiers.es étaient en colère contre le comportement irresponsable de certaines personnes extérieur.es qui ont détruit des installations. Finalement, la direction de l’université a fermé l’ensemble du campus et l’occupation a pris fin.

Le nouvel appel à la grève générale, le 11 novembre, n’a pas marché. Certes, beaucoup de gens ne se sont pas venu travailler ce jour-là. Mais cela n’était pas parce qu’ils/elles avaient décidé de faire grève : la moitié de la zone la plus occupée de Hong Kong était pratiquement paralysée par des étudiant.es occupant des campus situés à proximité de 30 routes principales ou voies ferrées.

Les gens ordinaires ayant un emploi ne peuvent pas participer ou ne sont pas prêts à participer à ce type d’action. Le risque d’un rétrécissement de la base de masse des actions radicales s’est fait sentir de façon croissante. Simultanément, le nombre de personnes venant manifester malgré l’interdiction a diminué.

Mais d’autre part, des signes montrent que l’appui aux cinq revendications du mouvement s’est élargi. Il s’agit d’une conséquence du durcissement du gouvernement dans lequel la brutalité policière joue un rôle important. Chaque fois que des affrontements ont lieu, la police poursuit les manifestants dans le quartier et tire des gaz lacrymogènes. Cette pratique heurte profondément celles et ceux qui, au début, étaient resté.es neutres ou ont même appuyé la politique du gouvernement. L’un des résultats positifs de cette évolution est qu’à partir du mois de septembre, les manifestations de quartiers sont devenues encore plus fréquentes.

Par ailleurs, un nombre croisant de jeunes militant.es prennent conscience de l’importance des luttes ouvrières. Ils/elles veulent maintenant s’affilier à des syndicats existants ou en former de nouveaux. L’appel d’un jeune fonctionnaire à former un nouveau syndicat d’employé.es de la Fonction publique a rencontré un très vif écho : d’après les media, des centaines de fonctionnaires se sont syndiqué.es.

Ceci constitue également une réponse aux syndicats traditionnels qui ont été lents à réagir dans une telle période de turbulences, à qui il convient néanmoins de rendre hommage pour leur soutien à la grève du 5 août. Sans cette grève, il n’aurait pas été possible de prouver aux Hongkongais.es le caractère crucial du monde du travail, et d’attirer une nouvelle génération vers le syndicalisme.

L’asymétrie des forces

Il est clair que l’escalade de la violence de certain.es manifestant.es est parfois vraiment injustifiée, et dans certains cas condamnable. La majorité du camp pro-démocratie (Rubans Jaunes) est encore largement axée sur la résistance non-violente plutôt que sur la violence.

Il est également évident que la plupart de celles et ceux qui se situent dans le camp pro-démocratie ne se désolidarisent pas des manifestant.es dans leur ensemble.

Cela peut être vérifié par un récent sondage (4) réalisé par le l’Institut de recherche sur l’opinion publique de Hong Kong : 83 pour cent de la population rejette la responsabilité de la violence sur le gouvernement, et seulement 40 pour cent sur les manifestant.es (les deux questions ont été posées séparément et ne sont pas exclusives l’une à l’autre). Ce que ce sondage montre coïncide également avec un autre sondage : 70 à 80 % de la population soutient les cinq revendications du mouvement. Bien que la jeunesse radicalisée bénéficie toujours du soutien populaire, la plupart des membres des Rubans Jaunes sont encore peu enclins à se mettre en grève et à se battre avec la police. Comme cela est mentionné précédemment, le risque existe maintenant que la mobilisation s’affaiblisse.

Il ne serait pas juste de reprocher aux manifestant.es ordinaires un manque de bravoure. En tant qu’adultes, ils/elles ont davantage conscience de cette simple vérité : Hong Kong est gouverné non seulement par son gouvernement « autonome », mais avant tout par Pékin. Et cette asymétrie absolue des forces entre Hong Kong et l’Etat chinois oblige toute personne sensée à reconsidérer la notion de révolution limitée à une seule cité. Hong Kong ne pourra gagner que lorsque la Chine continentale sera également prête à un soulèvement de masse. Et celui-ci n’est pas en vue.

En outre, Hong Kong avait émergé du Mouvement des parapluies de 2014 comme une ville profondément divisée, ce qui n’avait pas été vu depuis 1949. L’opposition entre le PCC et le KMT(5), bien que profonde, était alors très limitée aux deux camps, et n’avait guère d’importance pour la population locale.

Mais l’année 2014 s’est par contre terminée par une profonde division entre le camp des Rubans Jaunes (pro-démocratie), et celui des Rubans Bleus (pro-Pékin).

Selon un sondage d’opinion mené par l’Université chinoise de Hong Kong, après la fin du Mouvement des parapluie, 33,9 % des personnes interrogées soutenaient alors ce mouvement (6).

Alors que les candidat.es pro-démocratie sont en général arrivé.es en tête aux élections législatives avec plus de 55 à 60 % des voix, la désobéissance civile démocratique n’est jamais devenue majoritaire au sein de la société.

Cela n’a commencé à changer qu’avec l’éclatement en 2019 du mouvement contre la loi sur l’extradition. Celui-ci s’est en fait transformé en une grande bataille pour défense de l’autonomie de Hong Kong qui a obtenu le soutien de la majorité absolue de la population.

Lors des élections législatives de 2016, 1,18 million d’électeurs/trices, soit 55 %, avaient voté pour l’opposition. Celle-ci incluait le camp pan-démocrate, et différentes nuances de « localistes » et « défenseurs de l’autodétermination ».

Cet électorat a constitué la base du camp des Rubans Jaunes qui s’est bien entendu élargi avec le projet de loi sur l’extradition. Le 16 juin, deux millions de personnes [soit plus de la moitié des personnes en âge de voter] ont manifesté à Hong Kong. Cela donne plus ou moins une idée du poids des Rubans Jaunes.

Les différentes composantes du mouvement

Les termes de « jaune clair » et « jaune foncé » peuvent donner une idée des différentes composantes du mouvement. « Jaune clair » s’applique aux partisan.es de la démocratie au sens large, tandis que « jaune foncé.e » s’applique aux partisan.es convaincu.es. Si les « jaunes clair.es » sont modéré.es, il est raisonnable de supposer qu’ils/elles peuvent aller voter et participer à des manifestations pacifiques, tandis que les « jaunes foncé.es » sont plus prêt.es à participer à des manifestations interdites et à la désobéissance civile non violente.

La plus grande manifestation non-autorisée a eu lieu à Yuen Long le 27 juillet, avec 280 000 personnes dans les rues. La marche interdite s’est transformée en combats de rue après avoir été attaquée par la police. Depuis lors, les affrontements sont devenus la norme. Cet incident nous permet également d’avoir un aperçu de la taille de la composante « jaune foncée » du mouvement.

Une autre catégorie est relative aux moyens utilisés par les manifestant.es : « courant militant » et « courant non-violent ». Le « courant militant » se compose de celles et ceux qui préconisent et font usage de la force, du lancer de pierres aux cocktails Molotov. Ils/elles comptent sur le soutien des « jaunes foncé.es », qui sont devenu.es plus tolérant.es à l’égard de la violence.

Quelle est la taille du « courant militant » ? Personne ne le sait, mais il est nettement plus petit que le courant « jaune foncé ».

Le « courant militant » peut ensuite être réparti entre :

- celles et ceux qui font usage de la force dans la résistance à la violence policière,

- et ceux qui jouent un rôle de soutien, qu’il s’agisse de fournir du matériel pour la fabrication d’armes ou de barrages routiers. (Les secouristes ne sont pas inclus.es dans le « courant militant », mais ils/elles peuvent être également arrêté.es ou blessé.es).

Le nombre de personnes impliquées dans le « courant militant » est estimé entre 5.000 et 10.000, voire davantage.

L’une des difficultés d’évaluer correctement la force du mouvement réside dans sa nature même. Comme cela a été déjà mentionné, il s’agit d’un mouvement sans leader et non organisé, étant donnée son hostilité à toute notion de « représentation ». Le « courant militant » est à son tour composé de multiples groupes fragmentés d’au maximum une ou deux dizaines de militant.es, s’appuyant fortement sur les réseaux sociaux pour coordonner leurs actions. L’inconvénient de son culte de la spontanéité est que la fragmentation du mouvement affaiblit parfois les actions. Par exemple, les discussions en ligne sur les actions du 1er octobre contre la Fête nationale chinoise (7) n’ont, à la dernière minute, pas débouché sur un accord et ont abouti à des manifestations séparées dans lieux différents.

En ce qui le concerne, le camp bleu ne s’est pas renforcé, mais s’est au contraire affaibli tout au long de ce mouvement, car Pékin a maintenant fait connaître ses véritables intentions. Même parmi les « bleus pâles », beaucoup ont commencé à se rendre compte que la mobilisation actuelle ne pouvait pas être ramené à « l’idéalisme des jeunes », à « l’abus de la violence » ou même à la loi d’extradition. Ils/elles ont compris que ce qui était en jeu, était la remise en cause totale de l’autonomie de Hong Kong si la population hongkongaise ne se révoltait pas.

Question : En octobre 2019, le Parti communiste chinois a annoncé un « durcissement de la loi » à Hong Kong.

La forte répression est principalement dirigée contre la partie la plus militante de la jeunesse.

Qu’est-ce que cela signifie en termes de mobilisation et de développement des différents courants au sein du mouvement ? Au Loong Yu :

Le 4 octobre, le gouvernement a promulgué une loi anti-masque, en invoquant la loi sur l’état d’urgence [datant de l’époque coloniale]. Immédiatement, la réaction a été des manifestations radicales et des affrontements avec la police, et les manifestant.es ont défié cette interdiction en mettant des masques.

La désobéissance civile n’a ensuite pas cessé de s’étendre, rendant l’interdiction non seulement totalement inefficace, mais en faisant encore plus détester et mépriser le gouvernement. Et cela d’autant plus que le port du masque est très répandu à Hong Kong depuis la pandémie de SRAS en 2003. Il est même utilisé pour des rhumes très légers, une pratique que les Européen.nes peuvent trouver étrange.

Cette colère publique contre le gouvernement a été extrêmement néfaste aux partis pro-Pékinois à l’approche des élections locales prévues le 24 novembre. Par peur de cela, les partis pro-Pékin ont commencé à faire pression pour reporter les élections, et ils ont été encore plus détestés.

Il est possible que tel était leur but : le camp pro-Pékinois, sous le contrôle direct du Bureau de liaison [entre les gouvernements de Pékin et de Hong Kong], est toujours intentionnellement provocateur afin de justifier une contre-attaque encore plus féroce.

Si tel était le cas, les partis pro-Pékin ont pleinement réussi : la majorité de la population est tellement en colère qu’elle est maintenant davantage prête à accepter l’usage de la force par des manifestant.es. Le recours aveugle du gouvernement à la répression violente et à des manœuvres politiques sans scrupules a en fait contribué à cimenter entre eux l’ensemble des courants existant au sein de l’opposition.

Lorsque la Haute Cour a statué que la loi anti-masque était inconstitutionnelle, elle a transporté le mouvement à un niveau supérieur. Pékin a furieusement accusé la Haute Cour d’outrepasser ses droits.

Si le pouvoir de Pékin poursuit sa politique inflexible, il est probable qu’il fera à nouveau usage de son pouvoir d’interprétation et de ré-interprétation de la Loi fondamentale pour renverser la décision de la Haute Cour. Si tel est le cas - et il l’a déjà fait plusieurs fois -, cela serait la signature de l’acte de décès officiel de l’État de droit de Hong Kong et de son autonomie. Le résultat serait catastrophique, pour les capitaux étrangers dont la présence à Hong Kong dépend du maintien du système juridique en vigueur. Ce serait catastrophique non seulement pour Hong Kong, mais également pour Pékin. Il existe certainement de nombreuses façons pour Pékin de résoudre cette crise sans trop perdre la face. Mais cela exigerait de la souplesse, de la sagesse et au moins la capacité de tolérer et d’entendre des points de vue différents. Les hauts dirigeants du PCC ne sont cependant pas bien connus pour avoir de telles compétences. Nous sommes donc tous et toutes au bord d’un précipice.

La situation géopolitique

La confrontation entre la Chine et les États-Unis est très différente de celle entre la Russie et les États-Unis. Les relations entre la Chine et les États-Unis étaient très étroites jusqu’à ces dernières années, tant sur le plan économique que politique. Ce n’était pas le cas entre la Russie et les Etats-Unis.

L’aspect économique est bien connu : toute discussion sur la rupture immédiate des liens entre les deux parties est tout à fait improbable, à moins que l’une d’elles ne soit prête à supporter le coût de la crise économique qui en résulterait.

Du côté politique, une étroite collaboration existe également depuis quarante ans à propos de Hong Kong. Ce que l’on appelle « un pays, deux systèmes » est avant tout une initiative de Pékin. Celle-ci visait à parvenir à un compromis historique avec le Royaume-Uni, mais aussi tacitement avec les États-Unis, en échange non seulement du rétablissement de la souveraineté de la Chine sur Hong Kong, mais aussi de la pleine intégration de Pékin au capitalisme mondial.

Et Deng Xiaoping n’aurait jamais pu atteindre ces deux objectifs sans d’abord faire suffisamment de concessions à l’Occident. Ainsi, la Déclaration commune sino-britannique de 1984, suivie de la promulgation de la Loi fondamentale (Basic Law) en 1990, a de fait reconnu les pays occidentaux comme l’une des parties prenantes de la question de Hong Kong, avec le Royaume-Uni à leur tête.

Celles et ceux qui parlent d’une « intervention étrangère » dans le mouvement actuel à Hong Kong, devraient regarder du côté de Rupert Dover, le surintendant principal de la police de Hong Kong qui a fracassé le crâne de manifestant.es hongkongais.es. Né en Grande-Bretagne, il est bien connu pour sa grande fermeté. En fait, des centaines de policiers blancs de Hong Kong sont détenteurs de passeports étrangers. Cette disposition est protégée par l’article 101 de la Loi fondamentale, qui garantit que des ressortissant.es étranger.es peuvent être engagé.es comme fonctionnaires ou consultant.es du gouvernement.

La Loi fondamentale garantit également le maintien de l’usage de l’anglais comme langue officielle, la persistance du système juridique britannique de la common law, la nomination de juges étrangers dans les tribunaux de Hong Kong, l’octroi de passeports britanniques à des hongkongais.es, etc.

Il n’est donc pas dans l’intérêt du Royaume-Uni, des États-Unis ou de l’Union européenne de déstabiliser Hong Kong tant que la Loi fondamentale restera en vigueur jusqu’en 2047. Il est plutôt dans leur intérêt de suivre une politique de stabilisation des institutions politiques de Hong Kong. Cela explique aussi pourquoi le Royaume-Uni et les États-Unis ont discrètement dit aux pan-démocrates de Hong Kong d’accepter le paquet de réformes politiques de Pékin avant l’apparition du mouvement des parapluies de 2014.

C’est le fait que Pékin ait changé unilatéralement sa politique envers Hong Kong et refusé d’honorer sa promesse, qui ont conduit l’Occident à s’opposer à Pékin au sujet de Hong Kong. Outre la question de l’affaiblissement de l’autonomie de Hong Kong par Pékin, les États-Unis ont certainement d’autres griefs à l’égard de la Chine, comme le conflit commercial et, plus important encore, la lutte pour la domination mondiale. Concernant ces sujets, aucune des parties en présence ne mérite notre soutien. De façon plus générale, la grande lutte entre la Chine et les États-Unis pour la domination mondiale n’est qu’un combat pour se partager le butin. Ce n’est pas notre bataille.

Mais la question de Hong Kong pose un problème particulier. Son capitalisme ultra-libéral de laissez-faire est certes très défavorable aux travailleurs/euses. Mais simultanément, la Loi fondamentale prévoit la protection des droits humains fondamentaux, ce qui rend possible la croissance d’un mouvement social.

Le capitalisme bureaucratique de la Chine est pire, car il ne tolère aucun mouvement social ni aucune opposition.

On peut dire pour cette raison qu’existe de façon conjoncturelle un intérêt commun, étroitement délimité, entre l’Occident et le peuple de Hong Kong en ce qui concerne la défense de l’autonomie de Hong Kong.

La société civile internationale devrait être solidaire de la défense par le peuple de Hong Kong de cette autonomie. Dans la mesure où nous ne pouvons accorder aucune confiance aux grandes puissances occidentales, nous devrions lier la défense de l’autonomie de Hong Kong à l’élargissement des droits des travailleurs/euses au détriment des intérêts des sociétés étrangères ou locales (l’introduction de la négociation collective à Hong Kong serait, par exemple, à coup sûr mal accueillie par ces dernières). Refuser de nous soutenir ne nuirait pas à l’impérialisme américain, mais nuirait à coup sûr au peuple de Hong Kong et à son mouvement social. D’où la position à prendre concernant la loi américaine « Hong Kong Human Rights and Democracy ». Il est stupide de la soutenir de façon a-critique, car elle lie les droits humains à Hong Kong à la politique étrangère des États-Unis. (8)

Le localisme de droite

Un autre problème lié à la solidarité internationale est l’existence d’une aile nationaliste xénophobe au sein des Rubans Jaunes. Il y a dix ans, un nouveau courant idéologique qualifié de « localiste » a émergé. À cette époque, il était déjà très hétérogène, même si il comportait quelques éléments progressistes. Mais très vite, c’est l’aile droite qui a dominé les discours localiste. Hong Kong a toujours été une société fondamentalement conservatrice, mais il n’y avait pour autant jamais eu jusqu’à présent de droite localiste. Celle qui s’est développée était en fait plus « nativiste » que « localiste ». Peu de temps après le début du Mouvement des parapluies de 2014, les localistes xénophobes ont commencé à mettre des autocollants et des banderoles sur tous les sites occupés par les manifestant.es où l’on pouvait lire « Attention aux piqûres de gauche ». Cela n’avait pas de sens, car la gauche avait un poids négligeable dans ce mouvement. Ce type d’attaque visait principalement le syndicat étudiant ainsi que les mouvements sociaux ayant pris part à cette mobilisation..

Les porte-parole des localistes étaient l’homme politique Raymond Wong et l’universitaire Chin Wan-kan. Avec Wong Yeung-tat, un disciple de Raymond Wong, ils ont constitué un trio xénophobe ayant chacun leur propre organisation.

Leur activité dans les sites occupés ont été :

1. d’empêcher les autres courants de s’exprimer,

2. inciter les masses à partager leurs objectifs,

3. recourir à la violence ou menacer d’y recourir.

4. de faire des déclarations racistes sur le peuple chinois, en le qualifiant de « sauterelles » devant être éradiquées,

5. d’attaquer à Hong Kong les immigrants.es venu.es de Chine continentale accusé.es de voler les prestations sociales étatiques.

Il est intéressant de noter, qu’ils/elles ont été tellement discrédité.es qu’ils/elles ont été battue.es lors des élections de 2016 et ensuite marginalisé.es. Il existe quelques très petites organisations nativistes fondées par des jeunes, mais elles sont si petites qu’elles n’ont aucune capacité de faire prévaloir leur programme au sein du mouvement. Si elles ont une influence idéologique, c’est uniquement parce que :
- premièrement, Hong Kong est restée conservatrice dans le contexte néo-libéral d’une soi-disant société de laissez-faire,
- deuxièmement, il existe déjà une foule de gens qui, affolés par la répression de Pékin, considèrent, à tort, l’ensemble des Chinois.es comme responsables et ont en conséquence une hostilité indifférenciée envers le peuple chinois en général. Mais ce courant nativiste est très petit.

Globalement, les localistes autoproclamé.es pourraient recueillir un peu plus de dix pour cent des voix, mais nous devons garder à l’esprit que tous/toutes les localistes ne sont pas nativistes. Lorsque le mouvement actuel a commencé à prendre de l’ampleur, des millions de citoyen.nes ordinaires y ont pris part. Parmi eux/elles, des centaines de milliers de jeunes faisant leurs premiers pas en politique et n’ayant de lien avec aucun parti politique existant. Le discours nativiste s’est alors beaucoup dilué, même si des jeunes utilisent une partie du langage et des icônes nativistes.

Une enquête récente a montré que près de 40% des étudiant.es se disaient localistes, mais cela est interprété de diverses manières au sein de la jeunesse radicale. Les nativistes ne sont pas réellement visibles en tant que courant bien défini, même si certains de leurs slogans qui ont été repris dans la jeunesse. Il existe localement des petites mobilisations, dont les nativistes pourraient potentiellement tirer profit. Néanmoins, le 7 juillet, 230 000 personnes se sont rendues à la gare de trains à grande vitesse assurant la liaison avec le continent pour saluer les visiteurs/euses du continent, et tenter de les appeler à soutenir le mouvement. Les nativistes disent haut et fort depuis des années que les Chinois.es du continent sont toutes et tous des « enc.... partisan.es du despotisme ». De toute évidence, leur avis n’a pas été suivi par de nombreux/euses manifestant.es.

Pour conclure, on peut dire que plusieurs orientations coexistent. au sein du mouvement actuel. A chaque fois que certain.es manifestant.es se livrent à des violences excessives, d’autres essayent de les faire cesser. Certes, des jeunes radicaux/cales, totalement inexpérimenté.es en politique, font des erreurs, par exemple en croyant que Trump les sauvera, ou parfois en adoptant de façon insensée des slogans xénophobes. Mais, même si des tendances nativistes existent, des tendances et actions progressistes existent également. La gauche ne doit pas se mettre sur le côté de la route et se contenter de critiquer. Elle doit au contraire participer au mouvement, et se tenir au côté des progressistes pour lutter contre les tendances nativistes.

Notes :

1. Une version abrégée du dernier livre d’AU Loong Yu est disponible en français sous le titre « Chine, un capitalisme bureaucratique - forces et faiblesses - » https://www.syllepse.net/au-loong-y... Version initiale « China’s Rise : Strength and Fragility » http://www.merlinpress.co.uk/cgi-bi...

2. Voir : The Rebellion in Hong Kong is Intensifying. An Interview with Au Loong Yu, : (Jacobin, 01.08.2019) https://www.jacobinmag.com/2019/08/...

3. Cathay Pacific = compagnie aérienne basée à Hong Kong

4. Hong Kong Public Opionion Research Institute, 我們香港 滾動調 - 15th November 2019

5. Le parti communiste chinois (PCC) et le Kuomintang (KMT) se sont combattus pendant la guerre civile de 1927–1949).

6. Un élément décisif du mouvement de 2014 était l’occupation de plusieurs carrefours stratégiques de Hong Kong.

7. Le 1er octobre est le jour anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine

8. https://transnationalsolidarity.net...


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message