Edouard Philippe Laurent Berger : Le bal des faux-culs

vendredi 13 mars 2020.
 

Si le scénario se déroule comme prévu, le gouvernement et le dirigeant de la CFDT auront mené une action de contrebande. Sous l’esbroufe de l’âge pivot, ils auront fait passer la totalité de la réforme.

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Dans un conflit social de longue durée, la dominante médiatique, celle qui inspire les éditos des hebdos et des grands quotidiens, et qui hante les plateaux de télévision, a toujours tendance à pencher du côté de la CFDT. C’est culturel. Les méchantes langues diront qu’au bout du bout cela revient à soutenir Emmanuel Macron ou le patronat. Pas faux, mais le détour par la CFDT n’est pas inutile pour rendre présentable un discours qui serait inaudible s’il empruntait directement à la rhétorique de M. Roux de Bézieux. L’épisode auquel nous assistons ces jours-ci illustre parfaitement cette admiration mal contenue de beaucoup de commentateurs pour Laurent Berger. Il a suffi que celui-ci avance l’idée d’une « conférence de financement » des caisses de retraite pour que tout invité à la télé ou à la radio (pauvre Philippe Martinez sur France Inter !) soit immédiatement sommé de se rallier à cette initiative. La CFDT a le charme tiède du juste milieu qui confond l’équidistance avec la sacro-sainte objectivité. Un équilibre entre les contraires qui n’a certes pas la haute ambition philosophique du yin et du yang, mais qui serait plutôt un mélange de blanc et de noir… Un gris modéré. Et puis, comme les dirigeants de la CFDT, les faiseurs d’opinion ont une aversion pour l’immobilisme conservateur de ce salarié qui tient sottement à ses avantages acquis.

Il était donc écrit dans les astres que le « syndicat réformiste » et le « président réformateur » étaient faits pour s’entendre, et que les médias applaudiraient les retrouvailles. La seule surprise fut ce temps perdu pour arriver à l’inéluctable. Mais nous y voilà ! La manœuvre a tout d’abord consisté à faire de cette affaire de « l’âge pivot » l’alpha et l’oméga du conflit, éclipsant la réalité de la réforme, et le soutien que lui apporte la centrale de M. Berger. Nous avons ensuite assisté à une longue hésitation qui rappelait un peu la partie de cartes de Pagnol. Vous savez, quand ce benêt d’Escartefigue ne comprend pas qu’il faut « couper à cœur » alors que son partenaire multiplie les gestes de connivence. Mais comme Escartefigue, Édouard Philippe a fini par comprendre. Il a donc retiré « provisoirement » l’âge pivot de son projet. C’est tout ce qu’on lui demandait. À charge pour la fameuse conférence de trouver un autre mode de financement d’ici au mois d’avril. Et comme le patronat ne veut rien d’autre qu’un allongement de la durée du travail, l’issue est prévisible. Édouard Philippe l’a dit sans fioritures. En cas d’échec de la conférence, il imposera « par ordonnance » quelque chose comme… l’âge pivot. Afin que nul n’en ignore, la référence à un « âge d’équilibre » figure d’ailleurs dans le projet qui devrait être soumis au Parlement. Laurent Berger a immédiatement jugé qu’il tenait là une magnifique victoire, au risque de connaître le destin difficile de son ancêtre Nicole Notat, qui avait soutenu pareillement la réforme Juppé de 1995, avant d’être sévèrement désavouée par sa base.

Si le scénario se déroule comme prévu, le gouvernement et le dirigeant de la CFDT auront mené une action de contrebande. Sous l’esbroufe de l’âge pivot, ils auront fait passer la totalité de la réforme. Les travailleurs des métiers les plus pénibles auront été abandonnés à leur sort. Les enseignants auront perdu plusieurs centaines d’euros mensuels de retraite, et tant d’autres avec eux, dont la pension sera désormais calculée en intégrant les années les moins favorables de leur carrière. Mais même les commentateurs les plus admiratifs gardent une part de quant-à-soi critique. Objectivité oblige. Tous regrettent des « zones d’ombre », une absence de chiffrage, et l’inévitable « déficit de communication ». Ils invitent nos ministres à être « plus clairs ». Bal des hypocrites là encore ! Car si le gouvernement n’est pas clair, c’est tout simplement que le vrai coût social de la réforme est inavouable. Et que les perdants sont bien trop nombreux. Le succès de l’opération réside précisément dans cet art consommé de la dissimulation. Plus l’explication est confuse, et mieux c’est ! Le nouveau Monsieur retraites, Laurent Pietraszewski, est à cet égard l’homme de la situation. On l’a vu pathétique à la télé et à l’Assemblée. Il pourrait – l’humour en moins – reprendre à son compte le mot de cet ancien président de la Federal Reserve qui lança un jour aux journalistes : « Si vous avez compris ce que j’ai dit, c’est que je me serai mal exprimé. »

À présent, la question est donc de savoir si l’opinion mordra à l’hameçon. En vérité, c’est peu probable. Mais l’incrédulité ne vaut pas victoire. L’idée que le front syndical est divisé, ajoutée à la fatigue d’un mouvement qui dure depuis quarante jours, souvent sans salaire, pourrait entamer sérieusement la résistance. Certes, nous n’en sommes pas là. Il n’est cependant pas interdit de commencer à s’interroger sur le coût politique de la manipulation. Nos concitoyens sont las d’être dupés. Ils l’ont été par le tandem Hollande-Valls, auquel ils ont fait payer le prix fort. Macron fut le bénéficiaire du naufrage du Parti socialiste. À qui profiterait une nouvelle crise de confiance ? Une crise qui ne toucherait pas seulement les dirigeants politiques et syndicaux, mais qui finirait par miner ce que nous appelons encore la démocratie ? On a peur de répondre à cette question.


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