PCF, Front de Gauche et élections (2014)

dimanche 13 juin 2021.
 

Les prochaines élections municipales polarisent les débats entre organisations et entre militants du Front de Gauche. Le PCF choisit des alliances à géométrie variable privilégiant celles avec le Parti Socialiste. Cette position doit être considérée et débattue avec sérénité ; certains arguments sont compréhensibles même si la cohérence d’ensemble du PCF est aujourd’hui fausse.

A) PCF et élections municipales : Arguments compréhensibles

Dès juillet 2013, Pierre Laurent a annoncé publiquement son désaccord avec le Parti de gauche (PG) de Jean-Luc Mélenchon. "Nous n’avons pas tout à fait la même appréciation des choses sur la conduite de listes au premier tour mais sur le rassemblement de la gauche au deuxième, je pense que nous pouvons tomber d’accord", a-t-il dit lors d’un interview i>TELE.

Il insistait sur cette question du "rassemblement de la gauche" comme pierre d’achoppement : son parti veut la tête de liste là où les maires font partie du PCF mais veut également "participer à la constitution de rassemblements de gauche" avec le PS, le but étant de ne "pas laisser la gestion des communes, surtout dans cette période, à la droite et à l’extrême droite".

Je caractérise cette position de compréhensible car elle peut être argumentée valablement :

- De nombreux "cadres organisateurs locaux de la gauche" sont investis dans les rapports de force municipaux. Même sur des terrains comme le social, le scolaire, le culturel... ils ressentent l’utilité des mairies comme relais, comme points d’appui.

- Les majorités municipales constituent effectivement des points d’appui pour prouver notre utilité concrète aux citoyens et pour avancer sur des dossiers nationaux comme la régie publique de l’eau.

- Les élections municipales sont considérées décisives par la tradition républicaine française qui pèse lourdement dans la culture de nos concitoyens.

- Le Front de Gauche ayant pour projet de conquérir sur la direction du PS l’hégémonie politique des forces alternatives à la droite et à l’extrême droite, cela passera un jour nécessairement par une forte implantation municipale.

- Dans le cadre des institutions de la 5ème république, cette implantation municipale est complémentaire d’un progrès lors d’autres élections.

B) PCF et élections : erreurs globales de cohérence

B1) Une aile droitière du PCF composée d’élus ?

Etant un lecteur quotidien de l’Humanité, je sais que le PCF analyse justement l’évolution de la direction du Parti Socialiste comme économiquement libérale, antisociale, atlantiste... Il distribue de nombreux tracts publics qui détaillent les conséquences terribles de cette politique pour notre peuple.

Pourtant, lors de chaque élection il est tiré en arrière par une aile baignant toujours dans l’imaginaire de l’Union de la Gauche ou au moins de la Gauche plurielle.

Lors de l’université d’été du Front de gauche à Grenoble, j’ai été frappé par le fait que certains élus PCF (par exemple de Bourgogne, de Bretagne, d’Auvergne et de l’Est) ne sont guère différents d’élus PS quant à leur logique politique fondée sur la nécessité d’alliances électorales pour passer le cap des 51% sur leur commune, leur canton, leur circonscription. Ils détaillent toujours des arguments locaux fort compréhensibles mais paraissent ignorer ou ne pas vouloir prendre en compte les éléments nationaux quant au poids politique (y compris électoral) du rapport de forces politique entre partis, du rapport de forces social, du cycle des périodes politiques...

J’ai constaté que mon argument d’exceptions locales acceptables car non significatives au niveau national, (en particulier là où le maire est des nôtres) ne leur suffit pas car ils se vivent en fait comme liés au PS. Pour quelques-uns on peut se demander s’il ne s’agit pas de socialistes repeints en PCF par le PS pour paraître unitaire sans frais.

B2) Pourquoi cette aile droitière n’est pas isolée ?

Plusieurs caractéristiques du PCF permettent à cette aile droitière de conserver un rôle décisif lors des élections :

- le parti a toujours su rendre compatibles les ambitions de ses élus ayant besoin du PS et les aspirations de ses syndicalistes CGT vivant les trahisons PS dans les entreprises. Nous pouvons nous demander si cela restera possible longtemps vu la pratique politique actuelle du Parti Socialiste

- les directions du parti craignent de perdre des élus. D’une part, ils contribuent significativement à son financement grâce aux indemnités. D’autre part, ils portent une partie significative de l’implantation locale.

- un certain nombre de militants du PCF a connu les périodes de marginalité et même de répression. Eux, au moins, sont restés de notre côté quant d’autres sont passés du goût de la défaite à l’acceptation définitive de la défaite. Nous devons cependant argumenter que nous ne sommes pas dans une période de recul et de droitisation.

B3) Robert Hue, tête de file emblématique d’un communisme électoraliste

Quiconque a suivi l’évolution du Parti Communiste Italien peut comprendre où mène une cohérence politique fondée seulement sur les seules élections par de seules alliances sensées être efficientes pour battre la droite et ainsi profiter des strapontins du pouvoir. Cela mène à la disparition du Parti Communiste et toute opposition anticapitaliste forte puisque, en Italie, rien n’a encore remplacé le PC défunt.

En France, c’est Robert Hue qui symbolise la même orientation que l’ancienne droite du PC italien. Il profite de chaque occasion pour taper le plus violemment possible sur Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi ? parce que celui-ci a prouvé la possibilité électorale d’une autre voie que la soumission au libéralisme, même incarné par le social-libéralisme.

Aussitôt l’élection présidentielle de 2012 passée, il a plaidé pour que les "communistes" participent à la majorité présidentielle de François Hollande. Jean-Luc Mélenchon, lui, a toujours défendu une orientation d’autonomie conquérante vis à vis du PS. Cela ne signifie pas choisir la marginalisation ; lors de l’investiture du gouvernement Ayrault, il a été favorable à l’abstention des députés Front de gauche car nos électeurs n’auraient pas compris un procès d’intention. Une fois la preuve rapidement faite de la politique libérale du gouvernement, une pratique oppositionnelle aux politiques du gouvernement est comprise.

Quiconque au PCF joue la même partition que Robert Hue fera bien de suivre l’évolution de celui-ci ; il risque fort de prendre la même pente savonneuse que le PC italien.

B4) L’alternative au PS attire un fort électorat potentiel

Il est évident pour moi que le PCF a joué un rôle très important dans la reconstruction d’une alternative (sociale, écologique et démocratique) cohérente au Parti Socialiste, par exemple récemment lors de la campagne pour le NON au Traité Constitutionnel Européen (2005), par exemple en participant nationalement au rassemblement antilibéral de 2006, par exemple en participant au lancement du Front de Gauche en 2008, 2009 et 2010, par exemple enfin en soutenant Jean-Luc Mélenchon pour l’élection présidentielle de 2012.

Les résultats électoraux du Front de Gauche aux élections régionales, européennes et lors de l’élection présidentielle sont en progression et encourageants.

Est-ce que les sondages pour les élections municipales de 2014 induisent que le Front de gauche pourrait voir ses suffrages baisser ? Non. Malgré les propos peu mobilisateurs de Pierre Laurent, le sondage CSA du début septembre 2013 accorde 10% d’intentions de vote pour nous. Ce potentiel est très proche du résultat de la présidentielle. Avant toute campagne et alors que les médias nous ignorent (au profit en particulier du duel Morizet Hidalgo), ce potentiel de 10% est considérable si nous savons le faire fructifier par une orientation nationale.

B5) Quelle stratégie et quel bilan du Front de Gauche ?

Je reprends ci-dessous l’analyse de Jean-Luc Mélenchon avec l’adresse URL de l’original.

Au départ, c’est-à-dire à la fondation du Front de Gauche, il y avait deux visions sous le même label. D’un côté les dirigeants communistes. Ils y voyaient une concrétisation de leur mandat de congrès. Celui-ci fut rappelé à maintes reprises. Il établissait que les communistes formeraient des « fronts ». Le mot était au pluriel. Ce pluriel signifiait que les composantes et les objectifs de tels « fronts » étaient censés varier selon les circonstances à affronter, dans les luttes et dans les urnes. De l’autre, chez les fondateurs du Parti de Gauche, il y avait la théorie du modèle « Die Linke ». Ici c’était le singulier. L’idée était de constituer au plus vite un parti fusionné. Inutile de souligner qu’entre les deux interprétations il y avait un très large espace politique et même une franche contradiction. Au premier coup d’œil les deux thèses sont inconciliables. Combien d’observateurs ne nous ont-ils pas régalés de sarcasmes ! Pourtant il n’y a eu aucun blocage. Au final ni l’une ni l’autre des deux doctrines ne fut mise en œuvre. Les deux le furent en même temps, en quelque sorte. Comment cela a-t-il été possible ?

L’avantage essentiel des deux formules est qu’elles n’étaient pas figées dans l’esprit de leurs concepteurs. Peut-être parce que pour des raisons diverses et du fait des exemples internationaux il était évident que nous étions condamnés à nous entendre. La peur de la bascule dans le néant a été bonne conseillère. D’étape en étape nous avons cherché les points de passage communs dans l’action, sans surévaluer l’écart qui restait à combler sur le plan doctrinal.

Cette ouverture ne fut pas le problème. Ce fut au contraire la voie de passage de la solution. Ce n’est pas un débat théorique qui a tranché, mais la pratique. La question se résuma à savoir comment on appellerait notre liste aux élections européenne. On combina les deux idées. La liste s’appela donc « Front de gauche pour changer d’Europe ». « Front de Gauche » suggérait un modèle d’organisation, « pour changer d’Europe » reprenait l’idée d’un front conjoncturel. Cet assemblage ne signifiait pas un compromis mais une façon de laisser ouverte toutes les pistes pour l’avenir. On se disait qu’on verrait bien quelle conclusion chacun tirerait des résultats. Comme on s’en souvient le résultat fut spectaculaire. Il y avait deux sortants communistes, il y eu quatre entrants Front de Gauche. La méthode d’approximation et d’expérimentation successives fut conservée au fil des élections. La première tentative pour organiser des adhésions individuelles ne passa pas la rampe du congrès extraordinaire du PCF de juin 2009 où l’idée, pourtant convenue en réunion commune, et relayée par Marie-George Buffet, fut repoussée par un vote des congressistes communistes. L’obstacle psychologique était précisément l’idée que cela créerait une organisation pérenne se substituant aux organisations fondatrices. On continua donc de façon pragmatique, au cas par cas, d’une élection à l’autre, d’une lutte et d’une manifestation à l’autre. A mesure, le Front exista à la fois comme entité distincte des partis qui le composaient mais avec un fonctionnement réel de cartel. A la base, sur le terrain, selon les départements et même selon les localités, l’existence et l’intégration du Front variaient du tout au tout. Cette bigarrure a duré et dure encore. Mais elle change de nature de plus en plus profondément. Dans les faits s’installent des modes de fonctionnements très divers liés aux circonstances et aux personnalités davantage qu’à quoi que ce soit d’autres. Cette diversité des approches et des pratiques ne résulte en effet jamais de grands débats théoriques. Elle combine toutes sortes de paramètres politiques culturels et souvent même très personnels. Jamais ce processus de mise en place du Front n’a été ni théorisé ni même mis en mots. L’extension des domaines d’action du Front qui s’est opérée pendant l’élection présidentielle a procédé de la mêle démarche pratique. Nous n’avons pas créé par exemple, « le Front de gauche de la culture » ou le « Front de Gauche des luttes » pour autre chose que pour remplir une tâche électorale avec l’idée que nous nous faisons de cette tâche. Et nous ne l’avons pas fait autrement qu’à partir de personnalités qui se sont avérées capables de porter concrètement ces démarches. Et dès que ces outils se furent mis en place de cette façon, ils produisirent une dynamique, des pratiques et des contenus qui en modifièrent complètement le sens prévu. Une évolution qui enrichit le projet déborda le cadre et rallia d’autant plus largement qu’il n’avait pas commencé par autre chose qu’une mise en mouvement. S’il avait fallu d’abord décrire et s’accorder sur la définition du cadre et de ses fondamentaux on y serait encore.

Dès lors, voici ce que l’on peut dire : c’est en s’auto-construisant que le Front se définit. Pour ma part je suis très attaché à cette démarche pragmatique. Pour être franc, je ne crois à aucune autre. Pour finir, le Front de Gauche n’est ni un simple bail électoral reconductible ni un parti unifié. Il en est ainsi non pas parce que nous en avons délibéré expressément mais parce que les circonstances et nos décisions intermédiaires nous ont ouvert un autre chemin. Il suffisait de vouloir avancer vers la même ligne d’horizon et de laisser à chacun une chance pour sa thèse. Cette logique « floue », pour reprendre un terme scientifique, a produit son résultat cent pour cent opérationnel. J’en déduis qu’il n’y pas d’autres méthodes praticables pour nous dans cette phase. Par conséquent, à cette étape la question à se poser n’est pas qu’est-ce que le Front de Gauche ni même comment le construire. La question est : quelles sont nos tâches ? A quoi pensons-nous qu’il faut s’atteler ensemble ?

Je partageais totalement cette vision. Je constate à présent que la direction du PCF paraît choisir, au moins pour ces municipales, une voie différente impliquant l’explosion politique du Front de Gauche. Non seulement cela met en danger le Front de Gauche mais cela met, à mon avis, également en danger le PCF. Et nous n’y gagnerons rien, ni les uns ni les autres.

B6) L’intérêt national du Front de gauche et de l’alternative de gauche au PS

Nous sommes à l’heure d’un besoin de clarté politique. Si le PCF continue à faire exploser, de fait, le Front de Gauche tout en utilisant le sigle à son seul profit dans l’intérêt électoral momentané supposé de certains de ses élus, qu’allons-nous faire ?

Jean-Luc Mélenchon vient de résumer l’orientation proposée par le Parti de Gauche. J’apporte mon humble soutien au texte cité ci-dessous :

Le Front de Gauche est handicapé. Plombé. Nous souffrons de la confusion entretenue par l’idée que le Front de Gauche aurait un système d’alliance à géométrie variable. Et que certains de ses membres pourraient très bien faire campagne pour les listes du Parti solférinien. Tant que courra l’idée qu’on puisse manifester contre le ministre la semaine et voter pour le même ministre le dimanche, rien ne pourra être clair ni sincère.

Or, les élections municipales se dérouleront dans un océan d’abstention. François Hollande sème la résignation dans tout le pays. Et la compétition de ses barrons locaux n’est pas faite pour mobiliser le peuple. De notre côté, pour mobiliser les nôtres, il faut de la clarté. Nous devons donc mettre le plus loin possible de nous tout ce qui peut être pris pour du double langage et de l’ambigüité. Nous sommes payés pour le savoir ! L’ambigüité des atermoiements sur la participation ou non au gouvernement Ayrault nous a déjà coûté très cher dans les élections législatives de juin 2012. Nous y avons perdu la moitié des voix rassemblées à la présidentielle. N’avait-on pas dit à l’époque que les élus sortants et les candidats locaux « bien connus » feraient trois ou quatre points de plus qu’à la présidentielle ? Le clivage mobilise. La confusion démobilise. C’est une des leçons que nous avons tirées de la campagne présidentielle et des législatives qui ont suivi.

C’est la raison pour laquelle la question de notre dispositif pour les élections municipales à Paris est si importante. L’élection municipale à Paris est bien sûr une élection locale avec ses questions locales. Mais une élection municipale à Paris est un événement national à lui-seul. La visibilité y est maximale. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir la place qu’occupe déjà dans toute la presse nationale le duel entre Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet.

Paris est une vitrine. C’est vrai pour toutes les forces politiques. C’est encore plus vrai pour le Front de Gauche, puisque c’est là que nous avons tenu le rassemblement du 18 mars 2012 à la Bastille et la marche pour la Sixième République le 5 mai dernier.

La question de notre stratégie à Paris n’est absolument pas une affaire de personne. La question est éminemment politique : le Front de Gauche est-il capable de faire la démonstration de son autonomie, de ses solutions locales et de son esprit conquérant dans les élections municipales ? Paris détient une grande partie de la réponse. C’est pourquoi avec le Parti de Gauche et sept autres partis du Front de gauche sur neuf, j’y plaide pour une liste autonome du Front de Gauche au premier tour. Danielle Simonnet s’est mise en campagne et je soutiens sa détermination. En se prononçant clairement pour l’autonomie et en refusant le jeu mortel des palabres de marchand de tapis, elle montre son audace. Et c’est d’audace dont nous avons besoin. Ailleurs en France, nous nous battons aussi pour préparer la majorité alternative de demain. Les discussions ont commencé dans dix villes de France pour constituer des listes de premier tour entre les Verts et le Front de gauche. Les municipales ne doivent pas être une juxtaposition de querelles locales mais un chemin national passant partout dans chaque localité. Bref, ce sont des élections politiques. Il faut s’en souvenir à temps.

Source : http://www.jean-luc-melenchon.fr/20...

Jacques Serieys le 17 septembre 2013


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