Sur la piste des grandes fortunes (3/5) Richesse, héritage et cadeaux fiscaux

samedi 11 août 2007.
 

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, directeurs de recherche au CNRS

Des avantages fiscaux pour les héritiers

La diminution significative des droits sur les mutations à titre gratuit, donations et successions, prévue dans la loi sur le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat (TEPA), est populaire. Mais c’est une réaction irrationnelle, car cette baisse de la pression fiscale va profiter pour l’essentiel aux plus riches.

En ce qui concerne les successions, selon les données de la direction générale des impôts (DGI), 9 sur 10 entre conjoints et 8 sur 10 en ligne directe, entre parents et enfants, ne sont d’ores et déjà pas imposables. Mais les droits seront purement et simplement supprimés entre époux : le conjoint survivant n’aura plus rien à acquitter. Quant aux enfants, l’abattement sera porté de 50 000 à 150 000 euros : en dessous de cette somme, il n’y aura plus de droits à acquitter.

Avec la contre-révolution fiscale de cet été 2007, les donations des parents aux enfants bénéficient elles aussi d’un allégement sensible. L’abattement est porté à 150 000 euros, par parent donateur, alors qu’il est de 50 000 euros actuellement. Le niveau est donc le même que pour les successions. Tous les six ans un enfant ayant ses deux parents pourra recevoir d’eux des donations pour un montant cumulé de 300 000 euros, sous des formes diverses, dons manuels en espèces, chèques, virements, titres ou valeurs, ou dons en nature, biens meubles ou immeubles. Sous la seule condition que le donataire, c’est-à-dire celui ou celle qui reçoit le don, en fasse la déclaration à l’administration fiscale. On peut envisager cinq dons à quatre intervalles de six ans, ce qui porte la totalité des donations possibles à 1,5 million d’euros.

Il est clair que les familles bénéficieront de ces allégements des droits de succession ou de donation en raison directe de leur niveau de fortune : il n’y aura rien de changé pour les moins favorisés. Ceux-ci n’abordent guère le sujet de la transmission et de l’héritage au cours des conversations familiales. Ce silence, qui se veut sans doute respectueux des plus âgés, est surtout lié à la modicité des biens à transmettre. Il en va autrement dans les familles fortunées pour lesquelles l’importance du patrimoine exige que les dispositions soient prises du vivant des parents. Cela peut se faire sans cynisme ou cruauté dans la mesure où dans ces milieux cela va de soi.

Dès le plus jeune âge chacun est élevé dans le culte des ancêtres et dans le respect de la lignée dont il est l’un des maillons. L’héritage, un élément fondateur de l’identité et une injonction à transmettre aux générations suivantes. Les aménagements fiscaux actuels ne sont donc pas seulement une manière de conforter la richesse économique des plus riches. C’est une aide importante à la transmission entre les générations de ce qui assoit matériellement et symboliquement leur position sociale : le portefeuille de valeurs mobilières et le château, par exemple.

Cette solidarité envers les familles de la haute société a un coût : le manque à gagner pour les finances publiques est de l’ordre de 2,2 milliards d’euros. Peu de chose à côté de la goutte d’eau que représentent les 25 millions du projet de revenu de solidarité active de Martin Hirsch, l’ancien président d’Emmaüs, passé au gouvernement Sarkozy : 88 fois moins que les nouvelles exonérations liées aux transmissions. Comme disaient certains députés, « Hirsch, c’est le petit frère des pauvres, et Lagarde, c’est la grande soeur des riches ». Pourtant Christine Lagarde n’a pas hésité à prévenir les députés contre un débat dépassé : « Cessons d’opposer les riches et les pauvres », a-t-elle affirmé le 10 juillet. Mais dans ce faux débat, la ministre de l’Économie est du bon côté avec des revenus annuels se situant autour de 600 000 euros (plus de 3,9 millions de francs) lorsqu’elle travaillait aux États-Unis comme avocate.

La maison de famille, un bien stratégique

La mémoire familiale se transmet d’autant mieux qu’elle peut s’inscrire dans une maison qui en est le sanctuaire. Demeure de notable, château, hôtel particulier, grand appartement, villa balnéaire : peu importe la forme, seule compte la durée. La propriété de cette maison au fil des générations assure une continuité territoriale. Les grands bourgeois peuvent être très mobiles, travaillant même parfois durant de longues périodes à l’étranger. Mais ils ont un point d’attache, comme le duc de Brissac qui, ayant beaucoup voyagé en raison de ses responsabilités dans différents groupes industriels, dont Schneider, reprochait aux ouvriers de rester accrochés à leur ville comme la patelle à son rocher alors que lui-même donnait parmi ses adresses celle du château de Brissac, à Brissac-Quincé, dans le Maine-et-Loire.

Or, dans le bouquet fiscal de 2007, la résidence principale doit faire l’objet, dans le cadre de l’impôt de solidarité sur la fortune, d’un abattement de 30 %, au lieu des 20 % actuels. Cela concerne quelques centaines de milliers de foyers, par définition aisés. Certes, cet abattement va aussi profiter aux dizaines de milliers de propriétaires d’appartements, en particulier parisiens, dont la valeur a flambé ces dernières années et qui sont assujettis à cet impôt sans pour autant appartenir au club des grandes fortunes. Mais il bénéficiera aussi, et surtout si l’on tient compte des valeurs absolues, aux ménages très riches qui possèdent de vastes appartements dans les quartiers les plus cotés et qui valent à eux seuls des fortunes.

Le propriétaire d’un hôtel particulier à Neuilly, dans une voie privée, mis en vente à 3 675 000 euros, pourra bénéficier d’un abattement de 1 102 500 euros. Ce coup de pouce en faveur des propriétaires représentera un manque à gagner pour les finances publiques de l’ordre de 115 millions d’euros, soit près de cinq fois le coût du RSA de Martin Hirsch. Les mesures en faveur des plus favorisés ont un prix élevé quasi mécaniquement : toute réduction du prélèvement fiscal, définie en pourcentage, représente des sommes considérables en valeur absolue.

Pourtant, dans un entretien accordé au Monde, le 19 juillet 2007, Christine Lagarde assurait que « ces mesures bénéficieraient à tous », alors qu’elles vont essentiellement alléger la ponction fiscale sur les plus riches. La priorité est ainsi accordée aux familles anciennes et fortunées depuis plusieurs générations.

Or le temps long est celui des dominants qui inscrivent leur domination dans la permanence de leur dynastie. Le gouvernement actuel est dans la continuité parfaite, mais au nom de la rupture, avec les gouvernements précédents et notamment celui de Jean-Pierre Raffarin. Celui-ci a supprimé dès 2006 la taxation des plus-values sur les valeurs mobilières détenues depuis plus de huit ans par les dirigeants de PME qui prennent leur retraite. Mais cette exonération s’étendra en 2013 à tous les titres détenus depuis au moins huit ans. Cette mesure bénéficiera évidemment aux détenteurs de valeurs mobilières, et plus encore à ceux d’entre eux qui disposent de ressources suffisantes pour ne pas avoir à réaliser une partie de leur patrimoine.

Qui n’ont pas besoin, comme les petits épargnants, de vendre des valeurs mobilières lorsque le moment est venu de changer la voiture. Les grandes fortunes sont à l’abri des urgences, des mauvais coups du sort, elles s’inscrivent dans la longue durée. L’ancienneté est au coeur de l’excellence sociale.

Pour assurer cette continuité, rien de plus solide qu’un patrimoine diversifié, mêlant aux valeurs mobilières et aux biens immobiliers des biens à haute valeur symbolique et culturelle. Avec, parmi eux, la maison de famille, qui incarne cette durée. La fiscalité a autrefois rendu plus difficile la transmission de ces biens. Les réformes en cours vont la faciliter et constituent ainsi une assurance importante pour l’avenir de ces familles. Mais il est une autre dimension où la haute société doit veiller au bon déroulement de la reproduction de sa position dominante.

Il s’agit de la gestion de son capital social, c’est-à-dire du système des relations, matrimoniales et autres, qui constituent le groupe en réseau. Cette fois c’est la technologie sociale de la cooptation qui va assurer la permanence de l’homogénéité du groupe des pairs.


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