Natalité : pourquoi il n’y aura aucun « réarmement démographique »

dimanche 11 février 2024.
 

Éric Le Bourg répond à la volonté d’Emmanuel Macron de « réarmer » les utérus des Françaises.

Les données de fécondité et de mortalité de 2023 ont donné lieu à de nombreux commentaires. Certains s’émeuvent de la baisse des naissances en France et du faible solde naturel de 47 000 personnes, c’est-à-dire la différence entre les naissances et les décès. D’un autre côté, la députée Sandrine Rousseau est pointée du doigt pour avoir dit que la baisse de la natalité est une bonne nouvelle, mais les commentateurs n’ont, disons, pas bien écouté cette déclaration qui se référait à la natalité de la planète entière – et pas à celle de la France. Toutefois, elle écrit bien qu’« il n’y a pas d’enjeu national à faire des enfants« , ce qui a été critiqué. Enfin, d’autres commentaires relativisent la baisse des naissances de 2023 en disant que se baser sur les résultats des derniers mois pour conclure à un basculement démographique majeur est, pour le moins, prématuré.

Fatalement, au-delà des données démographiques, le débat politique resurgit immédiatement. Par exemple, CNews, coutumière des articles pointant les étrangers, s’émeut de la faible natalité des « françaises natives » par rapport à la forte fécondité « arabe » selon « les derniers chiffres » datant de dix ans. Cet article est bien loin de la réalité car citant des données de fécondité sans indiquer qu’elles sont biaisées par construction dans le cas des étrangers arrivant en France, ce qu’écrivent pourtant les auteurs de l’étude citée par CNews : du fait d’une sous-fécondité avant l’arrivée en France suivie d’une forte fécondité de rattrapage après cette arrivée, on surestime leur fécondité si on ne tient pas compte de la fécondité avant l’arrivée en France.

Vu la baisse des naissances en 2023 et le faible indice conjoncturel de fécondité (ICF) de 1,68 enfant par femme (l’ICF additionne pour une année, par exemple 2023, les taux de fécondité par âge et permet de connaître le nombre d’enfants qu’ont eus, en 2023, les femmes en âge de procréer), la question que l’on est donc amené à se poser est la nécessité ou la pertinence d’une politique démographique en France. Si la réponse est positive, c’est le plus souvent qu’on estime qu’on peut ou doit favoriser la natalité ou qu’elle doit atteindre au moins un certain niveau : s’agit-il là d’un point de vue forcément associé à la droite et à l’extrême droite, ou plutôt à la gauche, ou, enfin, neutre politiquement ? Pour répondre à une telle question, il est d’abord nécessaire de comprendre comment a évolué la fécondité jusqu’à ce jour et comment elle pourrait le faire à l’avenir. Sans cela, on discute dans le vide.

Hier et aujourd’hui

Le régime démographique en France jusqu’au 18ème siècle se caractérise par une natalité et une mortalité élevées. Le tiers des enfants, voire plus, peut mourir avant l’âge d’un an ou plus tard, ce qui impose un nombre élevé d’enfants pour que les lignées familiales, et donc la population, ne s’éteignent pas. Dans ces conditions, la population augmente peu.

Grâce aux progrès de l’alimentation, de la médecine et de l’hygiène, la mortalité baisse au 18ème siècle, surtout aux âges jeunes, suivie plus tard par la natalité. Puisque moins d’enfants meurent en bas âge une diminution du nombre de naissances devient possible. Il y a un décalage entre les deux baisses, pour diverses raisons, et cela explique l’accroissement de la population au 19ème siècle. Cette augmentation va durer un certain temps : les jeunes nés pendant la période de baisse de la natalité sont plus nombreux que ceux nés avant cette baisse, puisqu’ils ne meurent plus en bas âge, et ils auront eux-mêmes des enfants. En France, il y a 28 millions d’habitants vers 1800 et 40 millions un siècle plus tard. Une fois ces générations passées, on assistera à une stabilisation de la population (toujours 40 millions en 1940) : la période comprise entre le début de la baisse de la mortalité et la fin de la baisse de la natalité s’appelle la transition démographique, achevée dans beaucoup de pays, mais encore en cours dans d’autres, près des deux tiers de la population mondiale ayant en 2021 un ICF inférieur à 2,1 enfants par femme.

Toutefois, la transition démographique n’explique pas tout. En France, mais aussi dans d’autres pays, la natalité augmente fortement après la Seconde guerre mondiale : c’est le baby-boom. En un peu plus de 50 ans, grâce aussi à l’apport des émigrés, la population atteint les 60 millions. Le baby-boom, qui a duré environ 30 ans, fait que le nombre de personnes atteignant l’âge de la retraite a augmenté après 2005 et diminuera à partir d’environ 2040. Ces générations passées, et en l’absence d’un nouveau baby-boom, d’une guerre ou d’une catastrophe sanitaire, la population devrait se stabiliser avec un nombre important de personnes âgées du fait de la baisse de mortalité aux âges avancés observée depuis plusieurs décennies.

Et demain ?

On peut donc faire l’hypothèse que le régime démographique français actuel perdurera dans les décennies qui viennent avec autant d’enfants en moyenne au cours de la vie (2 enfants par femme pour celles nées de 1950 à 1980), même si l’alternance de classes « creuses » et « pleines » peut créer des tensions, comme c’est le cas avec les nombreuses générations du baby-boom dans les années 1960 (nécessité de nouveaux logements, collèges, lycées, universités) et aujourd’hui (plus de pensions à verser). On sait ainsi déjà que, vu l’augmentation du nombre de femmes nées au début des années 2000 par rapport aux années précédentes, le nombre de naissances devrait augmenter rapidement et ce pendant une quinzaine d’années, puis rebaisser ensuite (voir la figure ci-dessous). Un tel régime démographique stable, à ces aléas près, aboutit, hors immigration, à une population à peu près stationnaire, ce qui semble idéal pour tout responsable politique : pas de variation brutale de la population active, du nombre de jeunes, de personnes âgées, etc. Toute la question est de savoir si les choses vont bien se passer ainsi.

En Europe de l’Est ou du Sud en particulier, et en Asie, le nombre de naissances baisse depuis des années, aboutissant à une baisse de la population dans certains cas, ce qui est encore plus net quand une partie de cette population émigre, comme c’est le cas en Europe de l’Est (Bulgarie : 9 millions d’habitants en 1988, 6,5 millions en 2022) ou en Ukraine (52 millions en 1993, 38 en 2022) depuis la fin de l’URSS. Dans cette hypothèse, la population n’atteint pas un état stationnaire caractérisé, dans un pays avec une faible immigration, par une population numériquement stable où naissances et décès s’équilibrent, et, si rien ne changeait, ce pays finirait théoriquement par disparaître, par manque d’habitants. Pourrait-on dire que la baisse des naissances de 2023 est le début de cette nouvelle situation qui ne va faire que s’aggraver dans les années à venir, aboutissant à terme à une baisse de la population, comme certains en faisaient l’hypothèse il y a plus de 30 ans, en prévoyant par exemple une population en France de 56 millions d’habitants en 2025 (contre 68 millions observés en 2024) après un pic à 58 millions en 2010 (64 millions en réalité) ? Ils auraient simplement eu tort d’avoir raison trop tôt. Jusqu’ici, en France, la baisse des naissances aux âges jeunes était compensée par une augmentation de la fécondité à un âge plus avancé et, à l’avenir, ce ne serait donc plus le cas, aboutissant à une baisse importante de la fécondité n’assurant plus le renouvellement des générations, comme en Europe du Sud ou de l’Est et en Asie. En somme, la France disparaît à terme, ce terme pouvant être proche si on se dirige vers une fécondité du même ordre que celle de la Corée du Sud avec moins d’un enfant par femme (0,88 en 2021).

Pour sa part, Hervé Le Bras fait l’hypothèse d’une convergence en Europe des ICFs vers une valeur de 1,5 enfant par femme, puisque ces taux ont diminué en Europe de l’Ouest et dernièrement un peu augmenté en Europe de l’Est. Un tel régime aboutirait à une baisse progressive de la population, hors immigration, et la France passerait donc de 1,68 enfant par femme en 2023 à une valeur plus basse, mais sans atteindre les niveaux très faibles de la Corée du Sud par exemple. La France ne disparaît pas, mais sa population, hors immigration, baisse peu à peu. Cependant, il y a peu de risque que la population totale diminue de façon notable, simplement parce que depuis des siècles, si ce n’est des millénaires, la France est une terre d’immigration : Celtes, Romains, Bretons, Wisigoths, Burgondes, Francs, Vandales, Normands, Juifs, Arabes, Africains, Polonais, Italiens, Belges, Portugais, Espagnols, etc. Le Français « de souche » n’existe pas, sauf à dire qu’on l’est au bout de X années, décennies, voire siècles de présence en France.

Quelle hypothèse doit-on privilégier ? La première semble la plus en ligne avec l’histoire récente, la seconde la plus éloignée et la troisième étant intermédiaire. Toutefois, comme ce sont les femmes qui font les enfants et pas les données historiques, personne ne peut dire les décisions qu’elles prendront dans les années qui viennent, même s’il semble possible d’expliquer pourquoi elles décident de faire leurs enfants plus tard aujourd’hui qu’hier, voire d’en faire moins certaines années. Essayons de l’expliquer.

Pourquoi une baisse des naissances en 2023 ? Le nombre des naissances a baissé en 2023 en France, mais aussi en Europe. Nous sommes loin du temps où dans les pays développés la majorité de la population peinait à simplement se maintenir en vie. De nos jours, le développement économique et social fait que les femmes, normalement, ne sont pas confinées chez elles, font des études, travaillent et peuvent avoir les enfants qu’elles veulent quand elles le veulent. Dans ces conditions, avoir un enfant est une décision raisonnée prenant en compte tout un tas de contraintes inexistantes auparavant. Faire un enfant alors qu’on n’a pas une situation affective, professionnelle, de logement stable n’est pas choisi dans nombre de cas. Tout ceci tend à diminuer le nombre d’enfants et à retarder leur arrivée et c’est bien ce qui a été observé depuis les années 1970. Parallèlement, le fait qu’un pays offre des possibilités réelles de concilier une vie professionnelle et la maternité permet qu’au final les enfants naissent, même si leurs mères sont plus âgées1. De fait, si en France la fécondité est plus élevée qu’en Allemagne, c’est en partie parce que la mentalité française est plus réceptive au fait qu’une femme travaille en ayant des enfants.

La baisse de 7% des naissances en 2023 par rapport à 2022 se comprend certainement par l’intervention de plusieurs facteurs, probablement à l’œuvre aussi dans les autres pays européens ayant eu une telle baisse des naissances. Les confinements liés au covid de 2020 et 2021 ont empêché la formation d’un certain nombre de couples et de mariages et il semble logique que cela ait retardé des naissances. La guerre en Ukraine a tout aussi probablement eu un rôle négatif, du fait des inquiétudes qu’on peut légitimement ressentir. Les difficultés de plus en plus grandes à simplement se loger, en particulier du fait de l’assèchement du marché locatif lié à la prolifération de locations touristiques ou à la hausse des taux de crédit immobilier, n’ont pu que retarder les projets d’enfants. De plus, l’insécurité économique croissante liée à l’inflation, en particulier si on a un emploi précaire, comme c’est souvent le cas des jeunes, n’incite pas à faire un enfant. Doit-on aussi invoquer le climat général peu enthousiasmant aux yeux de beaucoup, entre la crainte du réchauffement, un régime de plus en plus autoritaire, et la sensation de ne plus savoir où se dirige la pays ? Tous ces éléments pourraient être considérés comme transitoires et on pourrait donc faire l’hypothèse que, une fois disparus, la fécondité retrouverait les niveaux des années précédentes. À condition que les femmes le décident.

Une politique de natalité est-elle possible et souhaitable ?

À chaque fois que l’ICF varie, c’est-à-dire tous les ans en janvier au moment de sa publication par l’Insee, une partie des politiciens de droite et d’extrême droite se lamente sur la baisse de la fécondité, puis sur le déclin de la France, et enfin pour certains sur le remplacement des Français par des étrangers, plus précisément les Africains et les Maghrébins. Cela en devient lassant. Et, chaque année, on assiste donc à une demande de mesures natalistes pour remédier à tous ces maux. Il est pourtant illusoire de penser que, par exemple, rétablir l’universalité des allocations familiales, soumises à condition de revenu depuis le quinquennat de François Hollande, ferait remonter la fécondité, comme expliqué régulièrement par des démographes. Si les mesures natalistes sont peu ou pas efficaces, pourrait-on alors recourir à la coercition, comme en Pologne avec la forte restriction de l’avortement depuis 1993 et son interdiction quasiment absolue depuis 2020 ? Si les intégristes catholiques au pouvoir jusqu’à il y a peu espéraient que cela ferait remonter la natalité, c’est raté, alors qu’on aurait pu penser que les femmes enceintes par accident seraient bien obligées de mener leur grossesse à terme si elles n’allaient pas avorter à l’étranger. Toutefois, comme les médecins couraient moins de risques à refuser un avortement thérapeutique, même si la mère en mourait, qu’à le pratiquer, on pouvait s’attendre à ce que le nombre de femmes enceintes par accident s’écroule et que des femmes meurent faute d’avortement à temps : savoir qu’on vous laissera peut-être mourir plutôt que de faire un avortement thérapeutique rend très précautionneux. Cette loi a donc probablement fait diminuer le nombre de grossesses non désirées, mais acceptées, et l’ICF est au niveau de 1,3 enfant par femme en 2021, qui est presque le plus bas jamais observé en Pologne (1,2 en 2003).

Une politique nataliste peut-elle donc faire augmenter durablement la natalité ? C’est peu probable puisque dans l’ensemble les femmes ne décident pas d’avoir des enfants pour toucher une prime de naissance, des allocations familiales ou des réductions à la SNCF. Les politiciens de droite et d’extrême droite, soit ne l’ont pas compris, soit ont d’autres visées sans relation avec le nombre de naissances, comme une attitude xénophobe, comme lors de la précédente loi Immigration où ils ont voté des mesures de suppression des allocations familiales pouvant affecter des enfants français de parents étrangers : pénaliser les parents étrangers était plus important que de préserver les allocations familiales servant à leurs enfants français.

Que devrait donc être une politique démographique ? Je livre ici une opinion personnelle qui n’engage donc que moi. L’objectif raisonnable d’une politique démographique devrait être de permettre, autant que possible, le maintien d’une population stationnaire, situation bien plus facile à gérer qu’une population déclinante. Une telle position a pour conséquence que la volonté, paraît-il, de certains écologistes d’aller vers une baisse de la natalité n’est pas pertinente dans les pays développés qui ont déjà atteint le stade où leur population n’augmente plus ou quasiment plus. Pour avoir une population stationnaire, il faut permettre aux femmes qui le veulent d’avoir des enfants sans que cela les oblige à arbitrer en permanence entre emploi, famille, fin de mois, conditions de vie. On ne peut appeler cela une politique nataliste puisqu’il ne s’agit pas de faire naître des enfants, mais de permettre aux familles de vivre dans les meilleures conditions possibles. En somme, il s’agit juste d’accompagner les parcours de vie, en permettant que, dans l’idéal, il soit aussi facile d’avoir des enfants que de ne pas en avoir, la décision revenant aux femmes, sans coercition, pression, culpabilisation : elles feront ce qu’elles veulent. Est-ce une politique de gauche ou est-ce simplement une politique raisonnable tenant compte du fait que les femmes décident et que le rôle de l’État est juste de leur permettre de le faire sans qu’elles aient à faire entrer en ligne de compte des problèmes parfaitement évitables ? Concrètement, cela implique, par exemple, de favoriser les locations de longue durée plutôt que les touristiques, de lutter contre la précarité professionnelle des jeunes et leur pauvreté, d’avoir des salaires suffisants, de permettre de concilier facilement emploi et enfants — pas seulement pour les femmes —, de valoriser l’évolution des comportements masculins autour des enfants et des taches ménagères, etc.

En résumé, la gauche devrait, selon moi, ne pas être frileuse devant la natalité en craignant de faire le jeu de politiques s’attaquant aux femmes en leur enjoignant de mettre en place le « réarmement démographique » du Président Macron : tout a été dit sur cette expression. Aider les femmes et les hommes qui souhaitent des enfants à les avoir et à vivre dans les meilleures conditions possibles n’est pas une politique de droite, me semble-t-il, puisque cet objectif nécessite de s’attaquer à des problèmes qui ne sont pas ceux qui préoccupent la droite et l’extrême droite, comme les salaires, la précarité ou le logement. Nous sommes avec cet objectif loin de la pauvreté des mesures annoncées récemment par le Président, mais il est vrai que ces problèmes n’intéressant pas la droite ne semblent pas non plus être un souci en haut lieu.

Éric Le Bourg


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message