La gauche italienne s’est dissoute dans le centre. Vers quelle recomposition ? (articles publiés avant les élections d’avril 2008 : Trait d’Union, Vive le PCF, 4ème Internationale)

mercredi 16 avril 2008.
 

1) La gauche italienne dans l’impasse démocrate (Trait d’Union)

www.trait-dunion.org

La gauche européenne sociale-démocrate poursuit sa mutation sous l’influence du modèle démocrate américain. Dernier épisode en date, la fondation du Parti Démocrate italien par fusion des Démocrates de gauche (DS) et des démocrates chrétiens du centre. Une initiative que Ségolène Royal a d’emblée qualifié, le 9 septembre à Bologne, d’ « exemple utile pour la France et le PS ». Ce nouveau parti ayant largement dilué son identité de gauche et avançant sur une ligne ouvertement libérale, il est au contraire à craindre qu’il aggrave les difficultés et les divisions de la gauche italienne.

Quand le centre avale la social-démocratie

Le plébiscite très médiatisé du maire de Romme Walter Veltroni comme nouveau secrétaire général du parti démocrate italien ne doit pas faire illusion. Le grand promoteur de ce nouveau parti est en fait l’actuel premier ministre Romano Prodi. Alors que son petit parti démocrate chrétien (La marguerite) est minoritaire au sein de la coalition de gauche au pouvoir, Prodi a réussi à imposer aux sociaux-démocrates de DS son idée de fusion dans un parti démocrate à l’américaine. Fabuleuse manœuvre politique qui consiste pour le centre isolé et minoritaire à faire une OPA sur le principal parti de la gauche ! Cet OPA vient de loin puisqu’avant même de lancer le parti démocrate italien, Prodi avait réussi à s’imposer comme leader de toute la gauche lors des législatives de 2006, alors qu’il ne s’est jamais défini lui-même comme de gauche. Au Parlement européen, les députés de son petit parti La Marguerite ont d’ailleurs toujours refusé de siéger avec le PSE et ont préféré créer un groupe libéral avec François Bayrou. Aujourd’hui avec le nouveau parti démocrate, ils veulent d’ailleurs contraindre les anciens sociaux-démocrates de DS à quitter le PSE au niveau européen.

L’illusion de départ : la "victoire" de Prodi en 2006

Dans la plupart des analyses sur le nouveau parti démocrate, Prodi et le centre gauche italien sont présentés comme les artisans d’une victoire de la gauche contre Berlusconi aux dernières législatives de 2006. La réalité est beaucoup plus confuse et ambiguë. Prodi et la coalition de gauche n’ont en effet réussi à arriver au gouvernement que grâce aux méandres de la loi électorale qu’avait préparée Berlusconi et qui s’est retournée contre lui. Alors que Berlusconi était largement discrédité, la gauche conduite par Prodi n’a obtenu que 25 000 voix d’avance sur la droite dans les élections à la chambre des députés et a été distancé de 400 000 voix par la droite dans les élections au sénat ... ce qui signifie qu’au total la gauche était minoritaire en voix. Dominée par la stratégie des centristes, la gauche italienne s’est ainsi avérée incapable d’entraîner la société, en particulier les secteurs les plus populaires chez lesquels le vote Berlusconi est resté très ancré. Dès octobre 2005, la désignation de Prodi comme candidat de la gauche dans une primaire très médiatisée s’était réduite à un exercice de personnalisation sans qu’un véritable programme commun ait été discuté à gauche. Dès lors la seule manière de faire taire les désaccords est pour Prodi de faire un chantage régulier à la démission. Et de distribuer des postes ministérielles. Cela aboutit à un gouvernement pléthorique de plus de 100 ministres dont l’action est en partie illisible pour la population. Les dernières élections locales de mai 2007 ont confirmé le décrochage de la gauche : Forza Italia de Berlusconi a confirmé sa place de 1er parti d’Italie à 6 points devant la coalition de l’Olivier qui préfigurait le parti démocrate. La gauche y a perdu 5 grandes villes dans le Nord dont Vérone qui est passée à la Ligue du Nord. Et l’antiparlementarisme progresse, de même que l’abstention dans les quartiers populaires, signe d’un état d’urgence politique auquel la gauche sous emprise centriste ne répond pas.

Les primaires à l’italienne : personnalisation et dépolitisation

La plupart des médias français ont commencé à célébrer la désignation de Walter Veltroni par 3,3 millions de sympathisants comme une remarquable avancée de la démocratie. Ainsi, le Nouvel Observateur a déjà oublié que Prodi avait fait la même chose avec les résultats peu concluants que l’on sait et affirme béatement : « La gauche italienne est décidément bien inventive : à travers ce processus original elle est en train de fabriquer non seulement un nouveau partie fusion de deux formations historiques, mais aussi une nouvelle méthode de sélection des classes dirigeantes. » Cette méthode n’a pourtant rien de nouveau. Ce n’est qu’une transposition basique des primaires à l’américaine. Pour faire ce remake de la Convention démocrate, Veltroni est passé maître en marketing dans sa campagne d’investiture rythmée par des spots vidéos qui mélangent dans une parfaite bouillie politique Gandhi, Jonh Kennedy, la chute du mur de Berlin ou encore la révolte étudiante de Tienanmen. Peu importe le contenu réel, pourvu que la sauce plaise. C’est déjà comme cela que Veltroni avait conduit la mutation du journal de gauche l’Avanti en y joignant en guise de gadgets promotionnels une mini édition des évangiles ou encore des images Panini à collectionner !

Dans cette conception américaine, le parti n’est plus considéré comme un collectif de militants conscients et formés mais comme un club de supporters qui soutiennent périodiquement des champions dans des primaires. On y vote pour des têtes plus que pour des textes. D’ailleurs on ne sait pas exactement quel projet portent les candidats et toute discussion sur l’orientation ou la stratégie politique est donc inexistante. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est à craindre que les primaires qui ont porté Veltroni ne produisent pas plus de résultat politique dans la société que la Fabbricca qui avait porté Prodi. Surtout qu’au passage, l’élan de la primaire elle-même s’est sensiblement rétréci puisque l’autre gauche ne s’y pas laissé piéger une seconde fois et que l’on compte donc plus d’un million de participants en moins (4,3 millions de votants dans la primaire Prodi et 3,3 millions dans la primaire Veltroni).

L’alignement sur le courant démocrate

Veltroni ne s’en cache pas : « le Parti démocrate italien sera comme les démocrates américains et le Labour anglais ». Cela ne se traduit pas seulement dans la forme du parti mais aussi dans le contenu avancé depuis quelques années par Veltroni, qui reprend point par point les caractéristiques type du courant démocrate qui a déjà inspiré la mutation des partis sociaux-démocrates anglais et allemands (cf.ci-contre). Ses références ne tiennent évidemment aucun compte de l’épuisement contemporain des modèles qu’il invoque. Il prétend par exemple que « le kennedyanisme a été avec la social-démocratie suédoise la meilleure forme de gouvernement expérimentée dans les sociétés occidentales avancées. » Alors que la fameuse social-démocratie suédoise, à force de recentrage libéral, s’est effondrée en 2006 en réalisant son plus faible score depuis l’instauration du suffrage universel en Suède. De même le leader des ex-sociaux démocrates de DS, Piero Fasino affirme : « Le parti qui guide le front progressiste doit toujours être un grande formation de centre gauche. C’est ce qu’ont fait Tony Blair avec le Parti travailliste et Gerhard Schröder avec le SPD. » Lui aussi oublie de préciser que les stratégies de Blair et Schröder ont justement conduit aujourd’hui la gauche dans une impasse électorale et politique sans précédent dans ces pays. La première conséquence de l’alignement sur le courant démocrate est le souci de Veltroni de dépasser le clivage droite / gauche : « Il est important de comprendre que les réponses ne peuvent plus être enfermées dans l’identité socialiste, il faut apporter des réponses non idéologiques aux problèmes d’aujourd’hui. » Avec comme double corollaire, d’une part la critique des organisations de gauche traditionnelles : « Même la gauche et les syndicats peuvent être corporatistes et conservateurs. » (discours d’investiture 27 juin). Et d’autre part l’ouverture, non seulement au centre, qui est déjà dans le parti démocrate, mais aussi à droite puisque Veltroni expérimente déjà au sein de la ville de Rome l’alliance avec des personnalités de droite et qu’il vient de faire scandale en proposant carrément à l’épouse de Berlusconi de le rejoindre.

Florilège « démocrate » des propositions de Weltroni

• L’obsession de la dette et de la rigueur : Veltroni propose de dégonfler radicalement la dette publique italienne en multipliant les privatisations de services publics (l’électricien ENEL et le gazier ENI) et même la vente du patrimoine immobilier direct de l’Etat, y compris les casernes.

• Les baisses d’impôts et le « parti du business » : Veltroni s’est dit séduit par l’idée de TVA sociale, chère à Sarkozy. Et il a pesé pour obtenir du gouvernement Prodi la baisse de 5 points de l’impôt sur les sociétés, saluée par Luca Cordero di Montezemolo, le président de la Confindustria, le MEDEF italien. Comme Blair et Clinton, Veltroni assume d’ailleurs complètement cette proximité avec le patronat au point d’avoir choisi de lancer sa candidature le 28 juin au Lingotto, le bâtiment vedette de Fiat à Turin, devant un parterre qui mélangeait personnalités économiques et politiques.

• La flexibilité pour les salariés : Veltroni s’est prononcé en faveur d’un contrat unique de travail, qui, sous couvert d’être à durée indéterminée, conduirait à allonger la période d’essai et à permettre de contourner pendant trois ans l’actuel statut protecteur des salariés que même Berlusconi n’était pas arrivé à complètement démonter.

• Le renforcement de l’exécutif et la bipolarisation : sur le modèle anglo-saxon Veltroni souhaite renforcer l’exécutif au détriment du Parlement en permettant par exemple au 1er ministre de changer ses ministres sans en référer au Parlement ce qui est aujourd’hui impossible en Italie. Il propose surtout d’abandonner le vote à la proportionnelle pour décapiter le paysage politique à gauche et notamment éliminer l’autre gauche du Parlement.

• La référence aux valeurs traditionnelles et religieuses : Veltroni ne cache pas son hostilité à la tradition laïque d’une partie de la gauche italienne. Il se targue d’être reçu par le pape en audience privée et il s’affiche régulièrement aux côtés des plus hauts responsables de l’Opus Dei, comme ce 22 septembre 2005 où il déclencha une polémique à gauche en se rendant au Cinquantenaire du sacerdoce de l’intégriste Javier Eschevarria Rodriguez, le dirigeant actuel de l’Opus Dei au niveau mondial. L’ex-social démocrate Fasino ne cache pas d’ailleurs l’ancrage catholique du nouveau parti démocrate qui prend en compte « la constante italienne du catholicisme en politique ».

Une résistance socialiste en quête d’unité de la gauche

A défaut de s’être unis dans les congrès de leur ancienne organisation, les courants de gauche de DS se sont retrouvés dans le refus de la mutation démocrate. Le Correntonne dirigé par le tandem Mussi/Berlinguer qui représentait 15 % des militants au congrès de DS de 2005 a ainsi convergé avec Cesare Salvi (dont la motion avait fait 5 %) dans une nouvelle organisation provisoire appelée « Gauche démocratique - Pour le socialisme européen ». Avec 21 députés ils ont d’emblée créé leur propre groupe parlementaire et revendiquent aussi 12 sénateurs, 4 députés européens et 4 membres du gouvernement (dont Fabio Mussi, le ministre de l’Université). Conscients des risques de pulvérisation auxquels s’expose l’autre gauche italienne face au nouveau parti démocrate, ils ont accueilli favorablement les appels de Rifondazione Communista à fonder une nouvelle force politique qui regroupe les 2 partis communistes actuels (Refondazione et le PDCI), ces socialistes résistants et les Verts. Sans avoir pour l’instant trouver la formule sur laquelle s’entendre, ils multiplient les initiatives communes comme le 10 octobre à Bruxelles où les députés européens des 4 partis ont tenu une réunion publique commune. Est également à l’étude un projet de fusion des 4 principaux médias existants aujourd’hui dans l’autre gauche (Il manifesto et Liberazione proche de Rifondzaione, Aprile proche des socialistes et Rinascita proche du PDCI).

2) Enseignements de l’expérience des communistes italiens

sur le site http://vivelepcf.over-blog.fr

Le débat organisé à Paris le 17 mai dernier avec Andrea Catone, historien, militant du Parti de la Refondation communiste (PRC) et collaborateur de la revue l’Ernesto s’est révélé extrêmement instructif sur la situation politique en Italie, l’état du mouvement communiste après la débâcle électorale, sur l’état du mouvement communiste en Europe.

Une retranscription de ces échanges est en cours. Je livre ci-dessous quelques éléments de mes interventions dans la discussion et de ma réflexion depuis suite au développement des analyses d’Andrea Catone.

Les expériences récentes du PCF et du PRC frappent d’abord par leurs étroites similitudes. On constate que les mêmes recettes donnent les mêmes résultats et que les appareils dirigeants à l’œuvre dans les deux pays appliquent la même orientation stratégique, suivant des méthodes comparables. Le Parti de la gauche européenne, le PGE se confirme être le lieu de leur coordination.

Le cinglant échec électoral d’avril dernier en Italie rappelle le résultat de Marie-George Buffet aux présidentielles de 2007 ou celui de Robert Hue en 2002.

Par son ampleur, inattendue, d’abord : 3,1% à la « gauche arc-en-ciel » contre plus de 10% à ses composantes en 2006, dont plus de 8% pour les deux partis communistes (PRC et PdCI, parti des communistes italiens, scission du PRC). Il n’y a plus aucun parlementaire communiste.

Par ses causes ensuite.

La participation des partis communistes au gouvernement de « centre gauche », même de « centre » tout court, de Prodi, qui a géré loyalement et activement les affaires du capital italien, le plus « européen » les a déconsidérés vis-à-vis de leurs électeurs. Elle les a amenés notamment à approuver une contre-réforme du système de retraite qui n’a rien à envier à celle de Fillon ou bien l’extension de la base américaine de Vicenze.

Ce discrédit a été renforcé par le flou des dirigeants de l’Arc-en-ciel sur le renouvellement éventuel d’une telle expérience. Cette ambiguïté a renforcé le vote « utile » pour le centre « gauche ».

La priorité donnée à la participation aux institutions sur l’action politique dans le mouvement des luttes est un trait commun essentiel aux directions du PRC et du PCF.

Un autre, qui lui est lié, est la volonté presque obsessionnelle de se débarrasser de ce que représente historiquement dans chaque pays l’identité communiste. Catone estime que le PRC se présentant sous son nom aurait rassembler au moins autant (aussi peu) de voix que toute la coalition qui effaçait toute référence communiste.

« Arc-en-ciel », voilà qui rappelle, jusqu’aux couleurs des affiches, cette étiquette de « gauche populaire antilibérale » dont s’était affublée la candidature Buffet, hypothéquant le vote communiste. En Italie, pour la première fois, aucun bulletin communiste ne portait la faucille et le marteau.

Fausto Bertinotti, dirigeant omniprésent du PRC, estime que « le communisme pourrait rester une tendance culturelle » dans un ensemble de « gauche », une sorte de « réserve indienne » pour Catone. De « Refondation communiste », il n’a cessé de glisser à « refondation » tout court, constate Catone. Les Cohen-Seat, Dartigolles ou Vieu ne l’ont-ils pas dit ou écrit à peu près dans les mêmes termes ?

Une autre similitude frappante se retrouve dans les pratiques de direction utilisée pour imposer les choix structurels, souvent sans ou plutôt contre l’avis des communistes. La méthode combine le développement d’une démocratie « cause toujours » comparable à la cacophonie organisée par les nouveaux statuts du PCF du 30ème congrès et coups de forces. Dans les deux pays, l’adhésion au PGE est forcée par une dissimulation des enjeux et une consultation sous influence.

Depuis en Italie, la direction autour de Bertinotti a tenté plusieurs autres coups de forces : la transformation du PRC en « section italienne du PGE » puis la création à l’occasion des élections anticipées de la « gauche arc-en-ciel », qui avait vocation à devenir un parti en tant que tel au-delà de l’échéance électorale.

Une réalité l’a mise en échec comme en France fin 2006 la combine des « collectifs antilibéraux ».

L’abandon des positions anticapitalistes et anti-impérialistes est également commun aux deux partis, pratiquement exactement dans les mêmes termes. Une figure en vue du PRC derrière Bertinotti, le président de la Région des Pouilles (où l’Arc-en-ciel a rassemblé aussi peu de voix qu’ailleurs), Nicky Vendola, a multiplié les sorties sur le thème qu’il fallait rompre avec une culture de « haine », liée à la lutte des classes... La priorité donnée au « sociétal » sur les enjeux de classes est aussi significative dans un pays comme dans l’autre.

Le congrès du PRC, comme celui du PdCI auront lieu fin juillet, « à chaud », contrairement au nôtre, qui aura lieu 18 mois après les présidentielles. Sa préparation, son déroulement et ses résultats seront très riches d’enseignements pour nous. Ils le sont déjà.

Bertinotti s’est retiré après les élections. Mais il l’avait déjà annoncé. Dans la foulée, un « comité provisoire » de 12 membres a été désigné pour assumer la direction avant le congrès. Les partisans affichés du « dépassement » de la référence communiste, dans la suite de l’Arc-en-ciel y sont légèrement minoritaires. D’autres dirigeants, jusqu’alors solidaires de leurs choix, maintenant affichant l’intention de maintenir le PRC, disposent d’une petite majorité. Ils restent fondamentalement liés au PGE.

La « sensibilité » liée à la revue l’Ernesto a un représentant. Des motions d’orientation viennent d’être rendus publics, au nombre de 5. Celle de l’Ernesto (dénomination pratique mais non revendiquée comme telle), est présentée au nom d’une centaine d’organisations du Parti, sections, cercles. Il suit plusieurs textes d’appels que nous avons traduits. Il part de la situation sociale sinistrée pour appeler à la riposte sur le terrain de classe, également sur le terrain syndical après l’approbation par les confédérations, y compris la CGIL, des orientations « libérales » de Prodi. Il insiste aussi sur la lutte contre l’impérialisme américain dominant et ses alliés. Sur le plan politique, il juge indispensable le maintien de l’organisation communiste et propose un « processus constituant » avec des éléments du PdCI, et d’autres groupes comme les Rete di Communisti que nous avions rencontrés avec intérêt à la Fête de l’Huma 2006.

Maintenir ce qui reste du parti communiste de masse et de classe et le reconstituer est leur objectif, un objectif que nous partageons dans notre réalité un peu différente.

En Italie comme en France, le capital peut avoir besoin d’une force à gauche pour canaliser la colère populaire. C’est ce que l’ancien président italien atlantiste Cossiga a clairement énoncé.

La recomposition politique en cours tend vers un modèle américain. Le « parti démocrate » de Veltroni en est l’expression, beaucoup plus clairement que le PS français. Le premier, pourtant issu du PCI, s’est transformé progressivement en « parti des démocrates de gauche » puis en « démocrates de gauche » puis maintenant en « parti démocrate » tout court avec une partie de l’ancienne Démocratie chrétienne. Le PS français ne semble pas en être là, se sentant, par exemple dans son projet de nouveaux principes pour son congrès, obligé de conserver une identité de « gauche », social-démocrate (Ce qui n’engage pas la mise en pratique politique...).

La tentation, sinon l’objectif, se manifeste parmi les dirigeants du PGE, d’occuper cet espace politique à « gauche » des partis d’origine social-démocrate. En Allemagne, die Linke se revendique comme telle ouvertement. En Italie, l’opération « section italienne du PGE » pourrait être remise à l’ordre du jour. Le liquidateur historique du PCI, Achille Ochetto, en est partisan. Mais, éliminer l’identité communiste, et tout ce qu’elle porte, est plus difficile en Italie qu’en Allemagne.

La situation en France présente une autre grande différence : le parti communiste historique, le PCF, n’a pas disparu. Il reste, malgré l’affaiblissement et les reniements de ses directions, le dépositaire de ce patrimoine de luttes lié à la théorie et à la forme d’organisation des partis communistes. Il continue à représenter un repère, même effacé, comme l’a illustré le bon résultat aux élections locales. Il continue d’être le lieu de l’unité des communistes, en France.

Sur cet aspect aussi, l’expérience italienne est riche d’enseignements.

A la transformation du PCI, « Refondation communiste » s’est organisée sous forme de regroupement vague de tout ce qui entendait conserver une étiquette communiste. Des groupes se disant « trotskystes » dont la « démocratie prolétarienne » ont investi le parti, saisissant l’occasion de récupérer une partie de l’héritage du PCI. Ils ont bien souvent servi de forces d’appoint à la stratégie de la direction de Bertinotti. « Refondation » n’a pas été le moyen de faire face à l’entreprise de liquidation de l’organisation communiste.

Voilà un élément de plus, en France, qui nous invite, communistes, à nous rassembler pour poursuivre le combat contre la liquidation du PCF, pour son relèvement sur des bases de classe.

Comme le faisait remarquer un participant au débat, 80% des procès-verbaux de sections écrits à l’occasion de l’Assemblée extraordinaire du PCF de décembre dernier, refusaient la disparition de notre parti et l’ordre du jour de la direction a été mis en échec.

Continuons ! En multipliant les échanges avec nos camarades d’autres pays, idéologiques comme politiques. Avec nos camarades italiens en particulier.

Et avec Andrea Catone dont la richesse de l’analyse, la clarté et la précision des explications ont impressionné les participants à nos débats.

Emmanuel Dang Tran

3 Elections en Italie, les 13 et 14 avril. La « gauche arc-en-ciel », privée de la couleur rouge, peu à même de contrer le bipartisme

Site vivelepcf.over-blog.fr

Veltrusconi. Le néologisme, fusion des noms des leaders des deux partis principaux Walter Veltroni et Sylvio Berlusconi, est entré dans la langue courante de la campagne électorale italienne. Les similitudes dans les programmes sont tellement flagrantes. Veltroni est à la tête du nouveau Parti démocrate (PD) qui associe des communistes repentis comme lui-même (depuis longtemps), les ex « démocrates de gauche » et des politiciens issus de la Démocratie chrétienne. Il prétend incarner la rupture avec le gouvernement Prodi dont il était pourtant l’un des soutiens principaux. Son parti de « centre-gauche » présentent des cadres du patronat comme candidats, propose des baisses d’impôts pour les entreprises et les classes aisées, s’inscrit totalement dans les orientations « libérales » du nouveau traité de l’UE. Effectivement, tout cela fait peu de différences avec le programme de Berlusconi qui a gommé, dans la coalition qu’il dirige « peuple de la liberté » une partie des positions identitaires de ses alliés fascistes (soi-disant repentis).

Face à cette alternative bipolaire sans alternative politique, dans un pays imprégné par l’héritage, même contradictoire, de feu le PCI, on pourrait attendre l’expression d’un point de vue communiste fort à l’occasion de ces élections. Ce n’est pas le choix fait par le principal parti dont le nom fait encore référence au communisme « Refondation communiste » (PRC) et par ses dirigeants dont Fausto Bertinotti. Les élections anticipées sont l’occasion pour eux de précipiter la recomposition politique, à gauche du PD, à laquelle ils travaillent depuis plusieurs années. Les candidats, membres du PRC, se présentent dans le cadre de la « gauche arc-en-ciel ». La gauche « arc-en-ciel » réunit des candidats issus de quatre formations politiques : le PRC, le Parti des communistes italien (PdCI), les Verts et le courant des Démocrates de gauche qui a refusé de participer à la création du PD. L’Arc-en-ciel n’est pas conçu comme une coalition électorale de circonstance mais comme une formation politique destinée à se structurer dans la durée.

Cette démarche se situe entre rupture et continuité.

Rupture de plus en plus affirmée avec l’héritage, l’identité et les positions communistes. Pour la 1ère fois depuis 1945, il n’y aura pas de bulletin de vote portant la faucille et le marteau (sauf du côté des gauchistes qui ont vu l’opportunité). Les communistes du PRC, proches de la motion et de la revue « L’Ernesto », y compris les élus sortants, qui s’opposent à l’abandon de l’identité communiste et ont critiqué ces dernières années la participation au gouvernement Prodi, ont été écartés des listes. C’est un arc-en-ciel sans la couleur rouge !

La continuité, du moins l’absence de rupture, s’observe par rapport à la mandature précédente marquée par le soutien et la participation des quatre composantes au gouvernement de « centre-gauche », conduit par l’ancien président de la Commission européenne, issu de la droite, Romano Prodi. Bertinotti est devenu lui-même président de la chambre au bénéfice de cette alliance. Ce soutien actif a amener à cautionner des régressions sociales historiques comme la remise en cause du système de retraite à l’été dernier ou encore l’alignement sur les USA en Afghanistan ou sur la question de l’extension de la base militaire de Vicenze. Les dirigeants du PRC assument ce soutien « loyal » jusqu’au bout. La coalition a en effet été renversée par des parlementaires du centre, sans doute soucieux de passer à nouvelle étape de l’alternance.

Bertinotti estime publiquement que Veltroni va perdre les élections, ce qui permet d’évacuer la question d’une nouvelle participation à un gouvernement dominé par le PD (avec lequel le PRC est lié dans de multiple localités) qui continuerait de gérer loyalement et même avec zèle les intérêts de Cofindustria, le Medef italien. La crédibilité des positionnements de la « gauche arc-en-ciel » sur les problématiques sociales est pourtant conditionnée à cette stratégie et à des choix théoriques fondamentaux.

La « gauche arc-en-ciel » se situe dans un schéma proche de la Linke allemande et des ambitions de certains dirigeants du PCF, un schéma coordonné par le Parti de la gauche européenne PGE, dont Bertinotti a été le 1er président. Dans chaque contexte national, l’objectif à demi affiché est de capter l’héritage des partis communistes de classe et de masse et le diriger vers de nouvelles formations, tournant le dos à l’identité communiste, alliant une partie des socio-démocrates, ouvertement réformistes, favorables à l’intégration dans l’UE du capital. Ces partis de « gauche » auraient pour vocation de prendre une partie de la place laissée par les formations social-démocrates converties au social-libéralisme, tout en leur servant de supplétifs.

Bertinotti s’était lui-même prononcé au Parlement pour l’élévation du seuil électoral à 8% (par région) pour avoir des sièges au Sénat pour forcer la constitution de la coalition.

Les dirigeants de la « gauche arc-en-ciel » ne sont pas assurés de franchir ce seuil nationalement. Leur positionnement stratégique dans le gouvernement Prodi a nourri la logique du « vote utile », renforcée par la prime au parti arrivé en tête. En 2006, les partis qu’elle réunit avaient obtenu 10,2% des voix, sans compter la fraction ralliée des démocrates de gauche dont l’influence n’était pas mesurable.

Dans les deux partis communistes, PRC et PdCI, la ligne de Bertinotti est loin de faire l’unanimité. Après l’épisode électoral et le coup de force de « l’arc-en-ciel », les directions ne pourront pas empêcher le débat, sans doute des congrès extraordinaires. La persistance du mouvement communiste en Italie devrait, devra s’y concrétiser. )

3) Italie : une gauche à tâtons

LCR 4ème Internationale par ARRUZA Cinzia

Les élections législatives italiennes des 13 et 14 avril mettront aux prises les deux principales coalitions politiques, le Parti démocrate (Walter Veltroni, gauche) et le Peuple de la liberté (Silvio Berlusconi, droite). Ces élections sanctionneront sans aucun doute la ligne sociale-libérale de la gauche au pouvoir.

De Rome,

Après deux ans de gouvernement Prodi, les Italiens sont de nouveau appelés aux urnes, les 13 et 14 avril. Le cadre créé par l’expérience gouvernementale de ces deux dernières années est encore plus mauvais qu’en 2006, après cinq années de gouvernement Berlusconi. La politique du gouvernement de centre gauche a été marquée par une orientation résolument sociale-libérale : aucune loi antisociale du gouvernement précédent n’a été abrogée (sur les immigrés, sur la procréation médicalement assistée, sur le travail précaire, etc.), la réforme des retraites menée par Berlusconi a été remplacée par une réforme encore plus mauvaise, et aucune des promesses faites aux électeurs du centre gauche n’a été respectée. Enfin, en politique étrangère, on a tout simplement substitué l’unilatéralisme des États-Unis à la tentative de construire un multilatéralisme dans lequel l’Italie jouerait, en tant que puissance à vocation impérialiste, un rôle de premier plan. Ce qui a amené à retirer les troupes d’Irak mais, en même temps, à renforcer l’occupation militaire de l’Afghanistan et aussi à promouvoir la mission des Nations unies au Liban, encore une fois au prétexte d’une « mission humanitaire ».

Après plus de quinze ans ininterrompus de politiques néolibérales, la situation sociale italienne est dramatique. Le niveau des salaires (comparé au coût de la vie) figure parmi les plus bas d’Europe, 47 % des travailleurs de moins de 30 ans - et 63 % des travailleuses - ayant un contrat précaire. Entre 2003 et 2006, on a dénombré 5 252 accidents mortels sur le lieu de travail. Enfin, la liberté des femmes a été constamment attaquée, avec la remise en cause de la loi sur l’avortement, et une loi sur l’immigration parmi les plus racistes en Europe a été votée. Rien d’étonnant donc à ce que l’Institut de recherche Censis décrive la société italienne comme un « mucilage » [1], un ensemble informe dominé par l’individualisme et dans lequel tout lien social est en train d’être brisé. En commençant par les rapports de solidarité dans les classes populaires...

Impopularité

Enfin, le fait que ladite « gauche radicale » ait participé au gouvernement Prodi contribue de façon déterminante au pourrissement du contexte politique actuel. Ces deux dernières années, le Parti de la refondation communiste (PRC), les Verts et le Parti des communistes italiens (PDCI, issu d’une scission du PRC en 1998), qui ont tous eu des ministres au gouvernement, ont voté l’ensemble des lois proposées par Romano Prodi, notamment et, à plusieurs reprises, le financement de la mission militaire en Afghanistan. Ils se sont rendus complices des politiques sociales-libérales qui ont aggravé les conditions de vie des travailleurs, des femmes, des jeunes et des immigrés. Au-delà de leurs conséquences matérielles immédiates, ces politiques ont jeté dans la passivité les couches sociales qui s’étaient mobilisées dans le mouvement altermondialiste et les militants de gauche qui s’étaient engagés pour un changement social et politique. Elles ont aussi contribué à un nouveau déplacement vers la droite, non seulement du cadre politique institutionnel, mais aussi du sens commun et du niveau de conscience générale.

Echec de Refondation

Les nouvelles poussées en direction d’un bipartisme à l’italienne témoignent de ce déplacement droitier. Aux élections des 13 et 14 avril, on verra se confronter les deux nouveaux partis sortis de la réorganisation récente du cadre politique : le Peuple de la liberté (PDL, droite), issu de la fusion entre Forza Italia (le parti de Berlusconi) et Alliance nationale (les ex-fascistes), et le Parti démocrate (PD, gauche), qui rassemble les ex-Démocrates de gauche et la Marguerite (le parti de Prodi, un parti chrétien centriste), dans l’effort de singer l’élection présidentielle aux États-Unis. Quels que soient le résultat électoral et les éventuelles alliances que le parti gagnant sera obligé de passer pour gouverner, le prochain gouvernement, caractérisé par une orientation néolibérale, poursuivra des politiques impopulaires.

À la gauche du PD, un autre processus de fusion, entre le PRC, les Verts, le PDCI et la gauche des Démocrates de gauche, a eu lieu, dont le produit est le nouveau parti Gauche arc-en-ciel, un parti réformiste qui, comme dans la fable du renard et du raisin, laissé au bord de la route par le PD, se targue d’un maximalisme de pacotille, cherchant ainsi à récupérer sa base électorale et à consolider une alliance qui risque d’exploser juste après les élections.

En ce qui concerne la gauche radicale, il s’agit de la fin pitoyable d’un parti qui avait suscité beaucoup d’espoirs. Avec 100 000 adhérents à certains moments, le PRC a été le parti de la gauche radicale le plus important d’Europe. Il a aussi joué un rôle décisif par son implication dans le mouvement altermondialiste depuis 2001. Mais, en même temps, il s’agit d’un parti qui n’a jamais réellement rompu avec la tradition togliattienne [2], laquelle n’est jamais véritablement parvenue à une clarification programmatique, et a donc toujours vécu des oscillations entre une vocation gouvernementale et une orientation vers le conflit social. En fin de compte, c’est la vocation gouvernementale qui l’a emporté.

La décision, il y a trois ans, de participer au gouvernement de centre gauche a produit un changement radical de la nature du PRC, et elle a démobilisé ses cadres militants. En votant les mesures sociales-libérales, et surtout le financement de la mission en Afghanistan, le PRC a contribué au désarroi de la gauche. Désarroi dont témoignent aussi la perte de popularité des partis constitutifs de la Gauche arc-en-ciel et le déplacement significatif des intentions de vote en direction du Parti démocrate ou de l’abstention : un résultat en dessous de 8 % pourrait faire échouer la tentative de créer le nouveau parti.

C’est à cette confusion que la naissance de la Gauche critique (« Sinistra critica » [3]), en tant qu’organisation indépendante, en décembre 2007, essaye de répondre. La Gauche critique est née en tant que tendance interne du PRC, et elle s’est constituée autour de l’opposition au choix de participation gouvernementale et autour de la nécessité des luttes sociales. En février 2007, son sénateur, Franco Turigliatto, a été exclu du parti à cause de son refus de voter le financement de la mission en Afghanistan et la politique étrangère du ministre Massimo d’Alema.

Le PRC a de moins en moins servi d’outil à la construction de la résistance sociale et d’une alternative anticapitaliste crédible. Enfin, sa décision de constituer le nouveau parti, la Gauche arc-en-ciel (en niant tous les aspects de son passé, y compris l’effacement du symbole historique du communisme, la faucille et le marteau), et l’annulation du congrès, prévu pour le début de l’année 2008, ont poussé la Gauche critique à se transformer en organisation indépendante. Il ne s’agit pas d’une simple scission, puisque c’est le PRC en tant que tel qui a cessé d’exister : le cadre dans lequel on avait travaillé pendant les seize dernières années n’existe donc plus.

Deuxième tour social

La Gauche critique essaye de répondre aussi à une autre nécessité : celle de reconstruire une gauche indépendante du social-libéralisme, une gauche anticapitaliste qui ne recule pas et qui travaille de façon quotidienne à la relance du conflit social et à la reconstruction d’un nouveau mouvement ouvrier. Il s’agit d’une tâche difficile, même si le déplacement à droite du PRC ouvre un espace pour une nouvelle gauche radicale. Mais c’est une tâche que la Gauche critique ne pourra entreprendre seule. C’est pourquoi elle a lancé l’idée d’une liste anticapitaliste plus large, à la gauche de la Gauche arc-en-ciel, à l’occasion de ces élections, par le biais d’un appel public, auquel malheureusement les autres organisations de la gauche radicale n’ont pas répondu favorablement. Mais c’est aussi pourquoi la Gauche critique continuera à construire des alliances sociales avec tous ceux et toutes celles qui sont favorables à lutter contre la guerre et le néolibéralisme.

Quels que soient les résultats des prochaines élections et la coalition gouvernementale qui sera formée, deux choses sont sûres. Premièrement, il faudra construire une opposition sociale et politique puissante pour contrer les politiques menées par le nouveau gouvernement. Deuxièmement, au-delà du score électoral éventuel, la participation à ces élections et la candidature au poste de Premier ministre d’une jeune femme précaire et féministe, Flavia d’Angeli, est déjà un succès pour la Gauche critique. Elle a permis à cette nouvelle organisation de se renforcer et de créer de nouveaux liens, elle lui a permis aussi de se faire connaître plus largement et de se poser de façon crédible en tant qu’organisation ouverte, non pas ancrée dans une identité simplement idéologique, mais dans un programme d’opposition claire au capitalisme et au social-libéralisme, une organisation constituée en large partie par des femmes, des jeunes et des travailleurs précaires.

Un deuxième tour attend donc la Gauche critique, le deuxième tour social, celui des luttes et des mobilisations, qui passe aussi par la construction d’une gauche anticapitaliste forte à l’échelle européenne. Voilà pourquoi on participera avec beaucoup d’attention et d’enthousiasme à la conférence des 30 mai et 1er juin à Paris [4]).


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