Quel bilan des élections italiennes ? (2 articles : Delapierre, Picquet)

samedi 19 avril 2008.
 

2) Leçons italiennes

Christian Picquet UNIR

www.unir.asso.fr

Sans appel apparaît le résultat des élections italiennes des 13 et 14 avril. On peut même dire, sans crainte de se tromper, que ce scrutin est porteur de leçons essentielles pour la gauche, à l’échelle de l’Europe entière et, tout particulièrement, de la France.

Première leçon. La large victoire, qui permettra sans doute à Silvio Berlusconi de gouverner avec une majorité stable à la Chambre de députés et au Sénat, doit moins à un plébiscite de sa politique qu’à la faillite de ce qui tient lieu de formation dominante à la gauche italienne. La Péninsule est sans doute le pays où les tenants de l’accompagnement du nouvel âge du capitalisme seront allés le plus loin. Ex-communiste recyclé dans l’Internationale socialiste, comme la majorité des leaders du Parti démocrate, Walter Veltroni se sera, tout au long de sa campagne, employé à dissoudre le clivage droite-gauche, ne revendiquant plus que l’étiquette du « centre gauche », se référant presque exclusivement aux démocrates d’outre-Atlantique, allant jusqu’à envisager des convergences avec le Peuple de la liberté - lequel se réclame, lui, sans la moindre honte, de son positionnement à droite de la droite.

Résultat, cette gauche de renoncement ne sera pas parvenue à retrouver un soutien parmi la fraction des classes populaires qui manifeste sa désorientation et crie sa détresse depuis des années. La force du berlusconisme tient moins à la cohérence de la coalition qu’il fédère, qu’à sa posture volontariste et à une démagogie qui lui permet d’attirer à lui une large partie de l’électorat qui devrait, logiquement, voter contre la droite. La comparaison avec le sarkozysme n’est, à cet égard, pas infondée. À l’heure où le capital se montre plus avide de profits que jamais, mais où la crise financière et les tendances récessives de l’économie mondiale peuvent venir déstabiliser les pouvoirs en place, c’est au moyen d’un populisme de marché que les classes possédantes cherchent à donner une base sociale à la révolution néoconservatrice qu’elles appellent, un peu partout, de leurs vœux.

Deuxième leçon. Le bipartisme se révèle, en Italie comme ailleurs, la solution institutionnelle grâce à laquelle les élites dirigeantes s’efforcent de contenir les effets déstabilisateurs des contre-réformes libérales. Il a pour principal corollaire l’étouffement de toute parole dissidente, la dépolitisation extrême du débat public, l’asthénie ou la démoralisation du corps social. La consultation transalpine s’est ainsi déroulée dans un climat des plus moroses, où la polarisation politique ne s’accompagnait pas d’une mobilisation correspondante des électeurs, et où le vote lui-même se sera déroulé dans un relatif désintérêt.

Comment d’ailleurs eût-il pu en aller autrement, dès lors que les deux principaux protagonistes, Berlusconi et Veltroni, rivalisaient de déclarations annonçant aux Italiens que l’avenir serait fait de larmes et de sang, que l’adaptation à la mondialisation marchande et financière était inévitable, qu’ils iraient jusqu’à collaborer entre eux pour faire ingurgiter au pays la même potion amère, faite d’austérité, de précarité, de destruction de ce qu’il demeure de l’État social.

Troisième leçon. On ne peut s’opposer aux entreprises d’une droite décomplexée et pressée d’infliger au peuple des défaites majeures, il est impossible de déjouer le piège mortifère du bipartisme, sans faire exister une gauche vraiment à gauche. Ce qui ne peut se réaliser sans doter celle-ci des moyens de préserver et garantir son indépendance envers les sociaux-libéraux et autres tenants de la mutation centriste ou « démocrate ». Pour l’avoir négligé, avoir confondu le nécessaire front commun contre la droite avec l’intégration au centre gauche, s’être compromis dans la politique du gouvernement atlantiste et profondément libéral de Romano Prodi, Refondation communiste vient d’en faire la terrible démonstration. Cette formation aura même, en quelques mois, ruiné une expérience qui avait pourtant été, à l’origine, l’une des plus prometteuses du continent. Avec seulement 3% des suffrages, la coalition « arc-en-ciel » (réunissant la majorité du Parti de la refondation communiste, les Verts, l’aile gauche des anciens Démocrates de gauche et le Parti des communistes italiens) est aujourd’hui en miettes, privée de toute représentation parlementaire. Et sa principale figure, Fausto Bertinotti, vient d’annoncer son retrait de la vie politique.

Rien n’était toutefois joué d’avance. L’expérience de Die Linke, en Allemagne, fournit un contre-exemple à la désintégration italienne. Non que les problèmes de stratégie y fussent d’ores et déjà tous réglés. Mais cette force, qui est en passe de s’imposer comme la troisième du pays, a fondé son succès sur sa contestation déterminée de la dérive droitière de la social-démocratie et sur son refus de la coalition gouvernementale qui allie le SPD à la droite chrétienne-démocrate. Dit autrement, elle a progressé à mesure qu’elle apparaissait se distinguant des reniements du social-libéralisme.

Dernière leçon. Les courants qui ont, à l’occasion du rendez-vous électoral transalpin, défendu la nécessité d’une politique sans compromissions à gauche, se retrouvent marginalisés. La Gauche critique, à laquelle participent les militantes et militants de la IV° Internationale, dépasse ainsi de justesse les 0,5% (même si elle enregistre localement des résultats un peu plus intéressants). La faute, évidemment, ne leur en incombe pas. Il n’en demeure pas moins que la reconstruction d’une perspective crédible pour le monde du travail, à partir de l’espace d’extrême gauche où cette toute nouvelle organisation se trouve de facto reléguée, va s’avérer d’une redoutable difficulté.

Ce désastre total ne peut que nous inciter à tout mettre en œuvre pour conjurer, en France, un semblable scénario. Pour les forces ou secteurs militants qui demeurent attachés à une transformation radicale de la société, l’avenir ne se trouve ni dans la satellisation par le social-libéralisme qui tient lieu d’orientation au Parti socialiste, ni dans la défense de pures pétitions de principe. L’une et l’autre signeraient l’impuissance à changer en profondeur la donne politique hexagonale. Tout comme, d’ailleurs, l’enfermement dans les débats qui vont traverser chacun des partis de gauche au cours des prochains mois, ou encore l’illusion qu’une seule formation pourrait se trouver en situation de rassembler autour de sa seule bannière.

Si l’aile gauche du PS veut contribuer, tant qu’il en est temps, à refonder un projet alternatif à même de mobiliser les travailleurs et la jeunesse, elle doit prendre acte que sa coexistence avec les partisans du renoncement à changer la vie devient chaque jour plus illisible, y compris pour ces électeurs dont elle se revendique et qui restent fidèles à l’idéal socialiste.

Si le Parti communiste entend contribuer activement à extraire la gauche de l’engluement qui la guette, ici aussi, il lui faut d’urgence se réorienter vers une politique d’indépendance affirmée envers la rue de Solferino, sortir des logiques de statu quo autant que des tropismes identitaires, reprendre le chemin du rassemblement de toutes les sensibilités antilibérales et anticapitalistes.

Si la LCR souhaite mettre son regain actuel d’audience au service d’une réelle redistribution des cartes à gauche et dans le mouvement social, elle doit impérativement cesser de construire le « nouveau parti anticapitaliste » autour d’elle seule, pour l’ouvrir résolument à tous les courants susceptibles de partager sa démarche, et faire de cette construction un premier pas vers une nouvelle force, large et pluraliste, à même de disputer au PS la domination dont il jouit présentement sur la gauche.

Si toutes celles et tous ceux qui aspirent à donner au monde du travail la représentation qu’il mérite, qu’ils soient ou non organisés politiquement, veulent s’emparer de l’enjeu capital du moment politique présent, il leur revient de contribuer à ce qu’apparaisse au plus tôt un front de toutes les organisations, de tous les courants, de tous les militants intéressés à la refondation d’une vraie gauche, d’opposition et d’alternative.

Les occasions ne manqueront pas, pour avancer, dans les semaines et les mois qui viennent. Les mobilisations populaires qui s’annoncent contre la politique de la droite et du Medef exigeront une réponse politique à la hauteur. La question de l’Europe a toute chance de focaliser le débat politique, avec la présidence française de l’Union et, dans la foulée, les élections européennes de juin 2009. Cela peut permettre de renouer le fil brisé, au lendemain du 29 mai 2005, de la convergence de la gauche de transformation.

Radicalité, indépendance et unité : tels sont, plus que jamais, les maîtres-mots d’un combat porteur d’avenir. Le temps presse !

1) Une tragédie italienne

François Delapierre Délégué général de PRS

www.pourlarepubliquesociale.org

Un désastre. La gauche italienne a été écrasée par Berlusconi. A l’heure de notre bouclage, les résultats quasi définitifs donnés par le ministère de l’intérieur sont hélas sans appel. Au Sénat comme à la Chambre des députés, la coalition de droite obtient 47 % des voix contre 38 % à celle du Parti Démocrate. Une avance de 10 points ! Dès lors la droite obtient la majorité absolue dans les deux chambres, ce dont beaucoup doutaient à la veille du vote. Berlusconi, premier chef de gouvernement italien à avoir fait un mandat entier, est placé pour cinq ans à la tête du pays. Avec la xénophobe Ligue du Nord qui double son score au sein de la coalition majoritaire.

Pourtant, c’est peu dire que le premier gouvernement Berlusconi a mobilisé contre lui les profondeurs de la société italienne. Pendant cinq années, ses principaux choix ont été contestés : intervention en Irak, reculs du droit du travail, concentration des médias, mise au pas de la justice... Sur chacun de ces sujets, Berlusconi a vu se dresser face à lui des millions de manifestants, des grèves massives, de très nombreux intellectuels et artistes. Un mouvement finalement impuissant à empêcher son retour, faute d’une gauche capable de proposer une stratégie et un projet victorieux.

Car il faut bien dire l’écrasante responsabilité de la gauche italienne dans cette déroute. On a trop salué de ce côté-ci des Alpes ce "formidable laboratoire politique" pour ne pas tirer les leçons des expériences lamentables qui s’y sont succédées.

D’abord le ralliement de la gauche au démocrate-chrétien Romano Prodi. Après l’enthousiasme des "primaires" si souvent données en exemple, son gouvernement a suscité une lourde déconvenue. L’éditorialiste du Monde le dit à sa manière : "Le gouvernement de centre-gauche mené par Romano Prodi n’a pas démérité. S’il est désavoué par les électeurs, c’est au contraire parce qu’il a su engager des réformes courageuses que l’équipe précédente, justement présidée par M. Berlusconi, avait négligées."

Au-delà des réformes libérales impulsées par Prodi, la gauche paie aussi l’échec d’une formule politique, la "Fabbricca". Celle-ci a accouché d’un attelage sans vrai programme commun. Les primaires ont produit une personnalisation à outrance. Prodi a pensé gérer les contradictions de fond par la distribution de maroquins (100 ministres !). Mais les sujets fondamentaux, comme la réforme des retraites ou la question du maintien des troupes en Afghanistan, sont venus ébranler la cohésion de la majorité. L’alliance au centre s’est révélée un désastre : c’est le retrait de la composante centriste qui a fait chuter Prodi au bout d’à peine un an et demi de gouvernement. La fameuse coalition "arc en ciel", ce grand parti qui va du centre aux trotskistes, où tout le monde gouverne en même temps sur des lignes différentes, a prouvé son inefficacité.

Après la chute de Prodi, le parti social-démocrate, majoritaire dans la coalition, a choisi de poursuivre dans cette voie. Il a fusionné avec le parti chrétien de Prodi pour donner naissance au Parti Démocrate. Investi par de nouvelles primaires, ayant mobilisé officiellement 3,5 millions de citoyens, son leader Veltroni a refusé toute reconstitution d’un parti "traditionnel". Fini les courants, les adhérents, les instances collectives et autres formules prétendument dépassées. Fini même le lien avec la gauche. Le Parti Démocrate a ainsi refusé d’adhérer à l’Internationale Socialiste. Dixit Veltroni : "Nous sommes réformistes, non de gauche.". Seul modèle revendiqué : le parti démocrate américain.

Pendant la campagne, Veltroni a précisé que le PD se situait "à équidistance des travailleurs et des entreprises". Son programme est allé très à droite : baisse des impôts, libéralisation accrue de l’économie, soutien au bradage d’Alitalia... Quant à sa stratégie d’alliance, elle a tenu dans le refus de tout rapprochement avec la gauche radicale, accusée d’avoir affaibli Prodi alors même que c’est le parti centriste qui a fait chuter son gouvernement. Privée à la fois d’alliance électorale, décisive en raison du mode de scrutin italien, et de perspective gouvernementale, la gauche radicale s’est contentée de faire campagne sur le thème "la gauche doit continuer à exister en Italie". Cet appel à la biodiversité politique n’a pas été entendu : l’autre gauche n’atteint pas les seuils de 4 % des voix au Sénat et 8 % à la Chambre des Députés nécessaires pour avoir des élus. La LCR italienne est à 0,5 %. L’appel au vote utile a fonctionné à plein : le Parti Démocrate a siphonné les voix de la gauche radicale. Mais incapable de créer la moindre dynamique en sa faveur, il n’a pas fait davantage que ce qu’avait obtenu ses propres composantes à la dernière élection. Sans les voix de l’autre gauche, la gauche tout entière est minoritaire.

Ségolène Royal ne s’est pas cachée de chercher son inspiration dans la gauche italienne. Au lendemain de la présidentielle, elle avait rencontré Veltroni pour évoquer la création d’un groupe d’une "vingtaine de personnalités" attachées à "moderniser la politique" afin de "construire de nouveaux points de référence idéologiques pour la gauche européenne". Qu’en est-il aujourd’hui ? Souhaitons que ce débat ait lieu. Car sinon la tragédie italienne pourrait devenir française.


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