1968 Qu’eût été le sort du monde si nos « printemps » avaient triomphé ?

mercredi 1er juillet 2020.
 

Message de forum en réponse à l’article 24 et 25 février 1956 Le rapport Krouchtchev dénonce les crimes de Staline

C’est notre génération qui a vécu les plus grands espoirs socialistes du XX° siècle.

« Notre héritage n’est précédé d’aucun testament. » René Char.

Dans sa célèbre déclaration de Noël 1968, Milan Kundera écrit : « L’automne tchécoslovaque dépasse sans doute en importance le printemps tchécoslovaque de 1968. […] Pour la première fois depuis la fin du Moyen âge,les Tchèques et les Slovaques se sont à nouveau placés au centre de l’histoire mondiale […] Le socialisme dont la vocation est de s’identifier avec la liberté et la démocratie ne peut faire autrement que de créer une liberté et une démocratie telles que le monde n’en a jamais connues. »

Ces lignes ont été écrites douze ans et dix mois après la tenue du XX° congrès du Parti communiste de l’Union soviétique. Douze ans et dix mois seulement. Les torrents furieux des événements ont balayé le monde au cours de l’année qui s’achève. L’année 1968.

Printemps de Prague 5 janvier au 21 août 1968

C’est « au nom du mouvement communiste mondial » que la Tchécoslovaquie est occupée depuis quatre mois par les troupes du Pacte de Varsovie. Mais la situation n’est pas brillante pour le Kremlin,dix-neuf partis communistes,y compris le PCF et le PCI, « désapprouvent » ou « condamnent » toujours l’intervention du 21 août. Les communistes tchèques et slovaques peuvent se sentir toujours placés au centre du « mouvement communiste », et les espoirs socialistes s’identifient pour nous tous avec la liberté et la démocratie « telles que le monde n’en a jamais connues. » Rien n’est perdue, tout est possible.

Maintenir l’occupation militaire de la Tchécoslovaquie au nom du « mouvement communiste mondial », c’est discréditer le communisme pour plusieurs générations. La décision est prise à Moscou, mais la mission n’est pas accomplie, en cette fin de l’année 1968.

C’est « au nom du socialisme, au nom de la classe ouvrière, au nom de l’internationalisme prolétarien » que les troupes du pacte de Varsovie, il y a quatre mois, étaient venues écraser le "socialisme démocratique", le Printemps de Prague.Les dirigeants soviétiques ont échoué.Face à la mobilisation spontanée pacifique du peuple tchécoslovaque, ils ont été obligés de libérer après quelques jours les hommes mêmes qu’ils accusaient de trahison, avec le premier secrétaire du Parti communiste Dubcek en tête, pour les ramener an avion de Moscou à Prague et tenté d’obtenir, par leur intermédiaire, une « normalisation » dont les Tchécoslovaques ne voulaient pas.

On espère « un printemps de Moscou. » Un rêve ? Dans mon exil grenoblois, j’apprends avec mes amis politiques qu’une manifestation a eu lieu à Moscou le 25 août contre l’intervention en Tchécoslovaquie, avec Pavel Litvinov et Larisa Daniel, qui sont arrêtés, pour .. »entrave à la circulation », devant le mausolée de Lénine. La première manifestation publique, organisée par l’opposition politique depuis 1927 sur la Place Rouge. Nous avons l’occasion d’admirer le courage affirmé tous les jours par l’opposition soviétique, d’abord littéraire", "artistique", « démocratique », et qui se déclare de plus en plus ouvertement « communiste. » Elle poursuit à travers la circulation clandestine de centaines de manuscrits, des poèmes, des chansons, mais aussi d’ouvrages historiques, traitant des sujets interdits depuis des décennies. Aux mots russes « piatiletka », « sputnik », « vostok », nous ajoutons « samizdat. » Nous découvrons à distance Piotr Iakir -le petit fils du maréchal fusillé en 1938 – Medvedev, le vieux bolchevik Kosterine, exclu du parti à ce moment-là, Martchenko...Nous attendons avec impatience la publication en français de la brochure de Piotr Grigorenko « Staline et la deuxième guerre mondiale. »

Depuis 1956, par vagues successives, les poussées de la révolution démocratique et politique, en Pologne, en Hongrie, en Tchécoslovaquie, viennent battre le bastion du stalinisme, l’Union soviétique, en 1968.

Les prémices de la révolution politique en Union soviétique mêmes, les prémices d’un « printemps de Prague à Moscou », douze ans après le XX° congrès ? Nous, qui avons vingt ans, en sommes persuadés. Nous dévorons la Révolution trahie de Trotsky, pour y trouver des réponses. L’horizon international s’éclaircit. Nous espérons sortir de la guerre froide, ce monstre qui dévore l’humanité. Nous avons vingt ans.

En Tchécoslovaquie, la lente montée des « espoirs socialistes », consécutifs au XX° congrès, on en suivra désormais les traces tout au long du « dégel » russe à Prague. Parmi les innombrables exemples que je pourrais donner, en voici un, qui met en lumière l’ambiance qui règne au Parti communiste à Prague, au début des années 1960, et qui concerne aussi directement les communistes tchèques et français. Je trouve ce témoignage dans le livre de Pierre Juquin, Aragon, Un destin français, 1939-1982, Edition de la Martinière. Le 6 septembre 1962, Aragon reçoit le titre de docteur honoris causa de la faculté de philosophie de l’Université Charles. La cérémonie officielle a lieu dans la grande salle gothique de l’établissement, « en présence d’une foule d’intellectuels, de dignitaires et de l’ambassade de France. » Le poète est « offensif, sarcastique même », il est comme chez lui ici à Prague. « Il va très loin sur l’utopisme », sujet d’actualité s’il en est à Prague. Il nomme Thomas More, Owen, Fourier. « Il nomme Trotski, mais chacun comprend. Devant lui un parterre d’hommes qui participeront, six ans après, au Printemps de Prague. » Ici, l’historien Pierre Juquin devance les événements. Ce que je retiens cependant, c’est que l’écrivain communiste français Aragon a pu « nommer » Trotski, à Prague, six ans ... avant le Printemps de Prague.

Le Parti communiste tchécoslovaque, qui gouverne depuis le 25 février 1948, était un parti stalinien comme tous les partis communistes des pays libérés par l’Armée rouge. Ses militants s’engagent cependant calmement et progressivement dans des réformes démocratiques, dans les traditions du mouvement ouvrier européen retrouvées, lorsque Khrouchtchev ouvre imprudemment les vannes au XX° congrès du Parti communiste de l’URSS, en février 1956. Le rapport de Khrouchtchev, qui dénonce, fort timidement par ailleurs, quelques « crimes de Staline », tombe comme par enchantement dans les cellules du parti, où il est discuté par l’ensemble des militants. Les communistes tchécoslovaques sont trop « réformistes » pour s’engager ouvertement aux côtés des communistes polonais et hongrois, dans leur révolte antistalinienne ouverte à l’automne de la même année. L’écrasement de Budapest et la défaite politique de Varsovie marquent un temps d’arrêt important à Prague.

Le Printemps de Prague commence le 5 janvier 1968, par l’éviction du « dernier stalinien » Antonin Novotny, et par son remplacement par Alexander Dubcek, douze ans seulement après le XX° congrès, quinze ans après le dernier complot de Staline, « l’affaire des blouses blanches. » Quinze ans après la mort de Staline, nous sommes en mars 1968, la censure est interdite par la loi et la liberté d’expression instaurée, et les communistes tchèques se lancent dans les préparatifs du congrès extraordinaire, prévu pour septembre. Les victimes de la répression stalinienne des années 1950 prennent la parole. L’équipe de militants communistes avec en tête le très rousseauiste Frantisek Samalik rêve d’introduire dans les statuts et le programme du parti la notion de « démocratie directe » et de « contrat social. » C’en est trop pour l’état-major du pacte de Varsovie.

Qu’on se demande, une minute, ce qu’eût été le sort du monde aujourd’hui, si nos « printemps » avaient triomphé quinze ans après la mort de Staline, douze ans après le XX° congrès du parti communiste de l’Union soviétique.

Karel Kostal


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