Election du CFCM : l’islam n’est pas la propriété des religieux

dimanche 25 mai 2008.
 

L’élection du nouveau bureau du CFCM, Conseil français du culte musulman, va se dérouler dans un climat de crise qui met une nouvelle fois en évidence le problème de sa légitimité, qui tient en une question : peut-on considérer qu’il représente véritablement l’ensemble des Français de culture musulmane ? Deux faits entretiennent un doute profond à ce sujet.

D’abord le lieu du scrutin : il faut aller voter dans les mosquées (notons que dans notre République laïque, voilà un bureau de vote pour le moins contestable), ce qui cible évidemment les musulmans pratiquants, autrement dit une fraction seulement de la "communauté". Ensuite la dénomination même de ce Conseil : en tant que Conseil du "culte" musulman, il a le double inconvénient social de ne vouloir représenter que la fraction religieuse de la culture musulmane, et moral de laisser entendre qu’il est une instance "gardienne du culte", autrement dit qu’il a droit de définir une orthodoxie islamique, ce qui est contraire à tous nos principes de liberté de conscience et de pensée.

J’ai proposé il y a plusieurs mois déjà que ce Conseil soit au moins rebaptisé Conseil français de la culture musulmane, ce qui aurait l’avantage de lui laisser son sigle de CFCM tout en lui donnant une toute autre représentativité et responsabilité : celle de rassembler tous les musulmans de France, tous les islams de France, c’est-à-dire toutes les façons qu’ont aujourd’hui les musulmans français ou vivant en France de vivre leur rapport à la culture musulmane.

C’est à cette diversité qu’il faut faire droit aujourd’hui, parce que c’est elle qui exprime la situation sociologique réelle de la présence musulmane : celle-ci est constituée non-seulement de pratiquants, mais également et pour majorité d’individus qui ont pris vis-à-vis des piliers de la religion (reconnaissance de l’unicité de Dieu et de la mission de Mohammed, cinq prières par jour, jeûne du mois de Ramadan, intention d’accomplir le pèlerinage, versement d’un impôt aux démunis) une distance qui est celle du "choix personnel" (ce que j’ai nommé le "Self islam").

Nous sommes tous devenus des musulmans atypiques, les uns priant, les autres pas, les unes portant le voile, les autres pas, les uns buvant de l’alcool, les autres pas, etc. Voilà ce dont la définition actuelle du CFCM -fait par les religieux pour les religieux- ne peut pas rendre compte et qui disqualifie d’emblée sa prétention à représenter les musulmans de France. Deux obstacles doivent être levés pour que la situation change : d’une part, il faut changer la représentation que nos décideurs politiques ont de l’islam ; d’autre part, c’est la perception que les musulmans ont d’eux-mêmes qui doit évoluer.

Les musulmans de France ne veulent pas "vivre comme là-bas"

La faute donc, en premier lieu, à la représentation qu’ont nos politiques de l’islam : le ministère de l’Intérieur, à l’initiative de la création du CFCM, l’a imaginé et persiste à le concevoir comme un conseil constitué d’"indigènes importés", autrement dit de "musulmans de là-bas qui vivent ici" et dont la revendication serait de continuer à vivre un islam oriental traditionnel (tel que nos politiques se le figurent en toute ignorance de cause le plus souvent, c’est-à-dire à coups de clichés et préjugés) ; aucune conscience ne semble émerger chez nos décideurs ministériels, quelle que soit leur couleur politique, que les musulmans de France sont des citoyens comme les autres, dans une société sécularisée où l’identité d’un individu est très loin de se définir avant tout par la pratique religieuse !

Or, avec le CFCM tel qu’il existe actuellement, on est comme dans Tintin lorsque les émissaires du Cheikh Abdallah viennent monter leur tente dans le grand salon du château de Moulinsart : en concentrant l’activité de ce Conseil sur les questions cultuelles, on fait en effet comme si les musulmans d’ici demandaient avant tout qu’on leur permette de vivre "comme là-bas"... un là-bas qu’en réalité tous les jeunes français de culture musulmane ont largement oublié !

Les musulmans doivent prendre conscience de leur libération vis-à-vis des dogmes

La faute aussi à la représentation que les musulmans d’ici ont d’eux-mêmes : si le CFCM a eu le champ libre pour exister et qu’il a pu se faire passer de façon plus ou moins crédible pour l’instance représentative des musulmans de France, ce n’est pas seulement à cause de l’image de l’islam intériorisée par les décideurs politiques, mais aussi à cause des musulmans, qui ont peu ou prou intériorisé la même image ! Alors même en effet que leur rapport à l’islam traditionnel évoluait, qu’il devenait plus libre, plus personnel en même temps que plus laïque et européen, ils ont malgré tout gardé l’idée que l’islam était une religion avant tout, et... qu’il fallait donc laisser la gestion de la culture musulmane aux religieux. Enorme erreur !

Il est temps désormais que l’ensemble des musulmans de France prenne acte et conscience de son évolution interne, de sa propre diversification, de sa libération de fait vis-à-vis des dogmes anciens. Non, l’islam n’est pas la propriété des religieux. Non, la culture musulmane ne se limite pas à la religion -elle est aussi littérature (voyons les personnages de "L’immeuble Yacoubian" et nous comprendrons que, non seulement en France mais dans le monde entier, les sociétés musulmanes s’émancipent du religieux), philosophie, valeurs éthiques, musique, fête, coutumes, cuisine, etc.

Que faire dans ces conditions ? Créer, comme le réclament certains avec persistance, l’équivalent du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) ? Un Crif musulman, c’est-à-dire une institution laïque représentant l’ensemble des courants et sensibilités de la culture musulmane ? C’est exactement en ce sens que je conçois ce Conseil français de la culture musulmane que j’évoquais plus haut. Culture plutôt que culte, ce qui n’exclut pas l’islam des mosquées, mais l’inclut dans la diversité musulmane réelle, ce qui n’exclut pas l’islam de la foi et les trésors de la vie spirituelle, mais l’inclut dans l’héritage infiniment plus vaste de l’islam comme creuset de civilisation. Culture plutôt que culte, enfin, parce que nous musulmans sommes aussi laïques que tous nos concitoyens français.

Par Abdennour Bidar | 19/05/2008 | 17H33


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