NPA, UN NOUVEAU PARTI À LA HAUTEUR DES ENJEUX ? (par Roger Martelli, communiste refondateur)

mardi 1er juillet 2008.
 

Je ne participe pas au processus de construction du NPA ; je ne me désintéresse pas pour autant des débats qui l’accompagnent. Tout simplement, je ne vois pas, dans la création d’un nouveau « parti anticapitaliste », une réponse à la hauteur des enjeux politiques de la période actuelle.

Nous vivons une immense contradiction.... D’un côté, la forme capital s’universalise, dans le contexte d’un ultralibéralisme agressif. D’un autre côté, les résistances se multiplient, portées un peu partout par les régressions que le capitalisme a générées. En France, elles entremêlent depuis 15 ans les héritiers du vieux « mouvement ouvrier » et les pousses plus récentes, déployées dès les années 1960-1970, de l’écologie politique, du féminisme, de l’anticonsumérisme, etc. Cette contradiction planétaire entre forces du système et forces critiques se déplace au fil du temps.

Le « néolibéralisme » arrogant des années 1980 doit désormais compter avec ses échecs et les colères qu’il a lui-même nourries. L’ultralibéralisme actuel combine volontiers (Berlusconi, Sarkozy) l’apologie du marché et le volontarisme d’un État garant de l’ordre social. Des synthèses nouvelles se cherchent, la plupart du temps des versions encore plus affadies de la social- démocratie, cherchant à concilier, comme Tony Blair, l’adaptation libérale sur le fond, la régulation sociale à la marge et la valorisation d’un certain ordre social et moral (« l’ordre juste » de Ségolène Royal).

L’évolution du champ économico-social se double de celle du champ politique. Le bipartisme à l’anglosaxonne s’est accentué, dans un système d’alternance. Les alternatives risquent ainsi d’être réduites à une fonction subalterne, soit de supplétives du parti dominant, soit d’exutoires radicalisés, contenant dans le jeu politique les couches les plus déstabilisées. Dans les deux cas, l’hégémonie des deux partis centraux resterait l’axe d’organisation générale de la vie politique. Je considère qu’il n’y a rien de plus stratégique politiquement que de contrer ce mécanisme, meurtrier pour la mise en perspective des luttes. Or, le modèle bipartisan est contraire à une longue tradition française.

En France, la modernité du capital est née d’une combinaison de révolution bourgeoise et de mouvement plébéien. Il en est resté une gauche pluraliste et polarisée, dans laquelle le pôle de la rupture/dépassement n’a jamais été minoré par celui de l’adaptation. Pendant longtemps, le vote le plus nombreux à gauche a été celui du PCF. Au plus fort de la vague néolibérale, le total des suffrages obtenus par l’extrême gauche, le PCF et les Verts s’est toujours trouvé dans une fourchette allant de 15 à plus de 20%. Avec l’élection présidentielle de 2007, deux ans à peine après le Non au TCE, la fourchette est hélas descendue à 10%.

La question politique est donc simple dans son énoncé : la lutte contre les projets patronaux et les politiques de la droite va-t-elle se mener dans le cadre du bipartisme et d’un déséquilibre aggravé des rapports des forces à gauche ? Je considère pour ma part qu’il est possible d’enrayer la machine infernale. La logique d’adaptation sociale-libérale est contradictoire avec des valeurs de gauche qui, historiquement, sont fondées sur la recherche permanente de l’égalité des conditions, sur la supériorité de la norme publique par rapport à l’appropriation privée, ainsi que sur la conviction qu’il n’est pas possible de laisser la « main obscure du marché » réguler l’ensemble de la vie sociale. Ainsi, l’objectif stratégique doit être de rassembler, sur une ligne de rupture avec l’option libérale « pure » et avec les choix « sociaux-libéraux », une majorité de la gauche française.

Ne pas semer d’illusion suppose de souligner que les choix faits par la direction actuelle du PS tournent le dos à cette ligne de rupture et que cela rend impossible des accords politiques nationaux portant sur la globalité des politiques qu’il conviendrait de suivre. Mais, sans laisser prise à une telle illusion, il faut affirmer que l’on ne tient pas pour fatale la situation actuelle à l’intérieur de la gauche.

Il existe dans l’espace sociopolitique des forces individuelles et collectives que l’on peut mobiliser dans la perspective d’une redistribution des forces à gauche.

* Elles émergent de l’expérience sociale, celle des luttes salariales comme celle des critiques « anti-système ».

* Il y en a dans l’espace politique, avec les segments de l’extrême gauche et du PCF.

* Il s’en trouve à l’intérieur d’une écologie politique qui, sur le fond, ne devrait pas séparer critique du capital et critique du productivisme.

* On les repère à l’intérieur d’une social-démocratie dont tous les membres ne sont pas prêts à accepter la dérive du blairisme et du recentrage.

Or ces forces restent sans emprise politique globale si elles restent dispersées ; il faut chercher à les unir pour que, ensemble, elles acquièrent force politique et contestent dès maintenant le magistère de la social-démocratie sur la gauche française. Faut-il chercher à donner force politique aux seuls anticapitalistes ? Non.

Il est des forces qui souhaitent davantage d’encadrement du marché, davantage de services public et moins de dérégulation, sans pour autant récuser la concurrence et la logique du profit. Il y a donc des « anti-néolibéraux » (pardonnez-moi ce mot barbare...) qui ne sont pas des anticapitalistes. Si nous disons, à tous ceux-là, que nous ne pouvons pas partager durablement avec eux les combats et les responsabilités politiques, si nous leur disons que nous ne pouvons pas constituer avec eux une force politique, nous laissons la main au bipartisme. Nous les laissons, pour l’essentiel, sous la coupe de la social-démocratie.

Cela ne signifie pas que je néglige le devenir particulier de ceux qui poussent leur critique jusqu’à une remise en cause radicale des logiques d’exploitation et de domination. Je pense tout au contraire que, dans une dynamique rassemblant toute la gauche de transformation sociale, les « communistes » doivent se constituer en collectif assumé. Je ne dis pas les « anticapitalistes » et je mets « communistes » entre guillemets. L’anticapitalisme est nécessaire (comment ne pas critiquer le capitalisme comme système et ne pas vouloir son dépassement/ abolition ?), mais la référence a le défaut de fonder l’agrégation politique sur une auto-définition négative...

On combat d’autant mieux le capitalisme, que l’on peut s’appuyer sur une vision alternative de la société et de ses dynamiques fondamentales. Pour disputer l’hégémonie au capital, il ne suffit pas d’être « anti » ; il faut être capable de rassembler sur un projet de « post-capitalisme » ou de « non-capitalisme ». Il faudra bien, un jour ou l’autre, se mettre d’accord sur les mots pour désigner ce que l’on veut. Pour ce qui me concerne, je préfère conserver le mot disant de la façon la plus ramassée l’exigence de mise en commun et de biens publics partagés.

Je me définis donc toujours comme communiste et révolutionnaire. Mais je ne fais pas de cette question un préalable. Je conclus donc sur le fond. Ma réserve à l’égard du processus du « NPA » tient avant tout à ce qu’elle confond deux objectifs : celui d’un rassemblement de toutes les forces n’acceptant pas l’alternance et l’hégémonie sociale-libérale ; celui d’une mise en commun des forces voulant d’une société bâtie sur d’autres visées, d’autres normes, d’autres règles que celle du capital.

Sur le fond, il y a deux grandes voies possibles, en dehors de l’alignement sur le social-libéralisme : rassembler dès aujourd’hui la gauche de transformation ; rassembler au préalable les anticapitalistes. Pour ma part, je plaide pour que l’essentiel porte sur le premier terme ; dans ce cadre, je suis attaché à l’existence d’un pôle critique, de souche « communiste ». Le plus stratégique pour rompre le bipartisme et l’alternance est de faire en sorte que se rassemblent durablement celles et ceux qui considèrent encore que la gauche est incompatible avec l’adaptation pure et simple à l’ordre social dominant. Ils doivent dès maintenant faire force politique et contester l’hégémonie socialiste, comme le fait par exemple Die Linke en Allemagne. Aucun préalable ne doit être énoncé, pour qu’ils engagent sans tarder un processus de rapprochement et de travail commun sur le projet fondamental, les objectifs à court et à moyen terme et sur les formes permanentes de leur convergence.

En même temps, celles et ceux qui, d’une façon ou d’une autre, s’inscrivent dans la grande lignée critique ouverte au milieu du XIXe siècle, peuvent réfléchir ensemble à la manière de faire vivre de façon moderne la tradition du « marxisme constituant » et du communisme fondateur. Mais il serait néfaste que cela se fasse de façon séparée, en dehors de l’objectif d’une gauche digne de ce nom. Les anticapitalistes résolus, les « communistes » (qu’ils se revendiquent ou non de ce terme au final : pour ma part, j’y suis favorable) sont une composante d’un mouvement authentiquement transformateur qui les déborde. Il serait toutefois malvenu qu’ils fassent passer leur propre délimitation avant l’impératif d’une force transformatrice (et donc hors de toute option sociale-libérale) et majoritaire (et donc ouverte bien au-delà des seules forces « anti-système »).

En tout état de cause, les deux processus entremêlés ne peuvent se penser à partir d’une seule composante du mouvement, quels que soient son nombre, son impact électoral et sa dynamique militante. Ou bien il y a partage, sans hégémonie ; ou bien c’est l’échec. Nous n’avons plus droit à l’échec. ! R.M.


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