Testament de Jean Meslier, curé athée révolutionnaire

mardi 10 octobre 2023.
 

Notre lecteur trouvera ci-dessous quelques textes qui nous paraissent apporter les informations les plus pertinentes sur l’oeuvre posthume de Jean Meslier :

- Partie A : Une petite introduction sur sa vie et son importance historique

- Partie B : l’analyse de Serge Deruette qui analyse ce prêtre particulier comme un précurseur du communisme

- Partie B : l’analyse d’un site anarchiste sous le titre Jean Meslier, un curé sans dieu ni maître

- Partie C : des extraits du "Testament" de Jean Meslier

- Partie D : un dernier article en guise de conclusion

Jacques Serieys

A) Jean Meslier, honnête homme et précurseur du socialisme (Jacques Serieys)

Jean Meslier, curé d’une communauté paroissiale d’environ trente familles dans les Ardennes, est un grand oublié dans l’histoire française de la littérature, de la philosophie et de la pensée politique.

Pourtant, ni Montesquieu, ni Voltaire, n’atteignent son niveau de réflexion. Pourtant, il est plus agréable à lire que bien des auteurs au programme dans le cadre scolaire.

Pourtant, né avant les auteurs connus du siècle des Lumières, il les a largement nourri de ses pensées fort avancées.

Jean Meslier heurte les bien-pensants par son athéisme, par son universalisme, par la force de son attaque contre les nobles et la monarchie, contre le haut clergé... Surtout, il appelle à la mobilisation des innombrables opprimés écrasés de travail pour qu’ils construisent une société répondant à leurs besoins. Aussi, les programmes scolaires préfèrent l’oublier.

A1) Vie de Jean Meslier, mort le 28 ou 29 juin 1729

Il naît le 15 juin 1664 à Mazerny (Ardennes), fils d’un paysan, ouvrier du textile à domicile. D’une intelligence précoce, un curé des environs lui apprend le latin et le dirige vers le séminaire où il découvre Descartes et affirme son profond attachement à la justice.

Devenu curé d’Etrépigny et But ( dans les Ardennes, près de Charleville Mézières) le 7 janvier 1689, il gagne l’estime des habitants (une trentaine de familles, cultivateurs, scieurs de long, bûcherons...) par sa générosité ; souvent il ne se fait pas payer pour un mariage ou un enterrement et distribue aux pauvres le restant de ses gains.

Pour compléter sa culture classique (auteurs de l’Antiquité, Bible, Pères de l’Eglise...), il achète beaucoup de livres (Montaigne, Vanini, La Boétie...) , épluche leur contenu, retient l’essentiel pour sa propre réflexion.

Il subit les foudres épiscopales parce qu’il ne respecte pas l’obligation d’embaucher une servante de plus de quarante ans.

Il marque sa réserve vis à vis du seigneur local, Sieur de Touilly qui maltraite les paysans. Condamné par son archevêque, il proclame en chaire le dimanche suivant :

"Voici le sort ordinaire des pauvres Curés de Campagne ; les Archevêques, qui sont de grands Seigneurs, les méprisent et ne les écoutent pas. Recommandons donc le Seigneur de ce lieu. Nous prierons Dieu pour Antoine de Touilly ; qu’il le convertisse et lui fasse la grâce de ne point maltraiter le pauvre, et dépouiller l’orphelin. »

Terrassé par la réaction de l’Eglise, Jean Meslier n’ose plus aucun éclat durant sa vie. Par contre, il écrit un Testament à rendre public après son décès : " « J’ai vu et reconnu les erreurs, les abus, les vanités, les folies et les méchancetés des hommes ; je les ai haïs et détestés, je ne l’ai osé dire pendant ma vie, mais je le dirai au moins en mourant et après ma mort ; et c’est afin qu’on le sache, que je fais et écris le présent Mémoire, afin qu’il puisse servir de témoignage de vérité à tous ceux qui le verront et qui le liront si bon leur semble. »

L’original du Testament (déposé au greffe de la Justice d’Etrepigny) disparaît très vite après son décès. Meslier s’y attendait et avait copié, à la main, quatre exemplaires remis à des paroissiens ainsi qu’à des prêtres proches. C’est ainsi que sa pensée profondément nouvelle va traverser les siècles, de son inscription par les bolchéviks sur l’obélisque de Moscou consacrée aux "précurseurs du socialisme" aux années 1968 qui en font le religieux le plus connu du 18ème siècle.

A2) Quelques affirmations argumentées de Jean Meslier

Sa cohérence philosophique et politique ne fait pas de doute, même si la colère relaie parfois l’argumentation :

-> « (Que) tous les grands de la terre et tous les nobles soient pendus et étranglés avec des boyaux de prêtre ».

Le curé Jean Meslier est-il athée ? Oui, le premier de l’histoire humaine semble-t-il.

- >« Il n’y a point de Dieu »

- >« La Religion Chrétienne n’est, elle-même, qu’un ridicule mélange de Judaïsme et de Paganisme »

- > « C’est l’égoïsme et l’ambition brutale qui sont la source et l’origine de tous ces superbes titres de seigneurs, de prince, de roi, de monarque et autres tyrans qui nous oppriment. Et aussi la source et l’origine de tous ces prétendus saints et sacrés caractères d’ordre et de puissance ecclésiastique et spirituelle que s’attribuent les prêtres et les évêques. La religion soutient le gouvernement politique, si méchant qu’il puisse être, et à son tour le gouvernement soutient la religion, si sotte et si vaine qu’elle puisse être. »

- > "Levez-vous, unissez-vous contre vos ennemis, contre ceux qui vous accablent de misère et d’ignorance. Rejetez entièrement toutes les vaines et superstitieuses pratiques des religions"

- > "Unissez-vous donc, ô peuples ! unissez-vous tous, si vous avez du coeur, pour vous délivrer de vos misères communes".

- > "Retenez pour vous-mêmes ces richesses et ces biens que vous faites venir à la sueur de votre corps"

A3) Jean Meslier : « Il n’y a point de Dieu » (court extrait de la longue argumentation de son Testament sur ce sujet, en réponse en particulier à Saint Augustin, Saint Ambroise et Saint Thomas d’Aquin)

« Pour qu’un seul être particulier tout-puissant et infiniment sage et éclairé puisse produire tous les effets de la nature, et qu’il puisse impulser et régler le mouvement de toutes les parties de la matière, dans quelques corps et dans quelque endroit de quelque corps que ce puisse être, il faut nécessairement... qu’il soit tout entier dans chaque atome de matière, c’est-à-dire tout entier dans chacune des plus petites parties de la matière, et c’est en quelque façon comme si on disait, qu’il y aurait autant de Dieux que d’atomes de matière, ou que chaque atome de matière serait Dieu ou contiendrait en soi toute la nature et toute la substance d’un Dieu. Et comme tous ces atomes, qui sont les plus petites parties de la matière, sont infinis en nombre, c’est comme si on disait encore, qu’il y aurait des nombres infinis de Dieux, tous lesquels Dieux néanmoins ne feraient et ne seraient tous ensemble qu’un seul et même Dieu, lequel, sans avoir aucune étendue, ni aucune partie en lui-même, ne laisserait pas que d’être infiniment étendu et souverainement tout-puissant partout. Qu’y a-t’-il de plus ridicule et de plus absurde que toutes ces imaginations-là ?

Si un tel être tout-puissant était, comme on le suppose, tout entier dans tous les corps et tout entier dans chaque partie des corps... Ce ne pourrait être sans division de lui-même ; car comment pourrait-il être tout entier dans tant de différents corps si distingués et si éloignés les uns des autres, sans division... Ce ne pourrait être avec division de lui-même ; car il est assez évident que rien ne peut être divisé de soi-même et demeurer toujours dans son entier... il faut vouloir fermer les yeux à toutes les lumières de la Raison pour pouvoir se laisser persuader par de telles choses.

Mais comment est-ce encore qu’une pénétration si générale et si intime et qu’une si souveraine force et puissance d’agir ne se feraient point sentir, ni apercevoir nulle part ? Il faudrait assurément que la substance de cet être, qui pénétrerait ainsi tous les autres, fût bien fine, bien déliée et bien subtile, puisqu’elle se glisserait et s’insinuerait si imperceptiblement et si insensiblement partout, sans tenir aucune place nulle part, et sans se faire sentir, ni apercevoir en aucun endroit...

Il est visible, pour peu d’attention qu’on y fasse, que toutes ces choses-là ne sont que des imaginations creuses et des chimères, qui surpassent non seulement toute intelligence, mais aussi toute possibilité...

Si c’est un être tout-puissant, infiniment sage et éclairé, qui forme et qui dirige dans nous- mêmes et dans tous les autres êtres tous les mouve- mens internes et externes qui se font dans les corps et dans toute la nature, comment peut-il y avoir dans nous et dans tous les autres êtres aucun mouvement qui soit tant soit peu déréglé et irrégulier ?... Or il est constant et évident qu’il se fait tous les jours dans nous et dans toute la nature mille et mille sortes de mouvements déréglés et irréguliers, qui causent une infinité de maux partout ; donc on ne peut dire qu’ils soient formés, ni qu’ils soient dirigés par un être tout-puissant, infiniment sage et éclairé.

Si d’un autre côté on dit, qu’un seul premier moteur ne suffirait véritablement pas pour remuer ou imprimer le mouvement à toute l’étendue de la matière, qui est infinie et sans bornes... mais qu’il y aurait plusieurs premiers moteurs qui leur donneraient leur mouvement et que ce serait même de-là principalement que viendraient toutes les contrariétés, toutes les oppositions et toutes les antipathies naturelles ou casuelles qui se voient entre plusieurs espèces de choses tant animées qu’inanimées... je nierai néanmoins toujours qu’une telle supposition puisse subsister, parce qu’il est inutile de recourir a la pluralité et à la contrariété des premiers moteurs, pour expliquer cette opposition et cette antipathie, qui se trouvent naturellement entre plusieurs corps...

Il est donc bien plus convenable et plus sûr d’attribuer à la matière même la force qu’elle a de se mouvoir, que de s’embarrasser vainement et sans nécessité dans tant de difficultés insurmontables, pour chercher hors d’elle-même un principe faux de son mouvement.

De l’aveu même de nos Déicoles ce seul prétendu premier moteur, qu’ils appellent Dieu, et auquel ils attribuent une puissance et une connaissance infinie, est un être qui, suivant leur Doctrine, est non seulement sans corps et sans forme et sans étendue aucune, mais est encore entièrement immobile, immuable dans sa nature, immuable en lui-même, immuable en ses pensées, immuable dans sa connaissance, immuable dans ses desseins et immuable dans ses volontés ; en sorte qu’il ne peut nullement être sujet à aucun changement et à aucune vicissitude de temps. Cela supposé, il est clair et évident qu’un tel être, quand il serait véritablement ; ne pourrait nullement remuer la matière. Je le prouve ainsi : Un être, qui est entièrement immuable en lui-même, qui est même de sa nature tout-à-fait immuable, ne peut rien mouvoir hors de soi ; car comment pourrait-il remuer quelque chose, lorsqu’il ne pourrait se remuer lui-même, il n’est nullement possible de concevoir, qu’un être qui demeure immuable et qui est même de sa nature immuable, puisse jamais mouvoir aucune chose.

Non seulement il est inutile à nos Déicoles de vouloir attribuer le principe du mouvement de la matière à la prétendue toute- puissance d’un Dieu, puisque, quand il serait, il ne pourrait lui-même se mouvoir, puisqu’il est immuable de sa nature ; mais pour cette même raison il est encore tout-à-fait inutile à eux de le prier et de l’adorer, et il est inutile à eux de lui offrir des sacrifices, comme ils font, afin d’obtenir de lui par ce moyen quelque grâce ou quelque faveur que ce puisse être, dont ils auraient besoin. Car puisqu’il est immuable de sa nature, comme ils le prétendent, et que toutes ses pensées, que tous ses désirs, que toutes ses volontés sont prises de toute éternité, il est sûr qu’il ne changera pas de pensée et de volonté à leur égard pour toutes les prières qu’ils sauraient lui faire, ni pour toutes les adorations qu’ils pourraient lui rendre, non plus que pour tous les sacrifices qu’ils pourraient lui offrir ; rien ne pourrait le fléchir, ni le faire pencher plutôt d’un côté que de l’autre ; et ainsi, soit que l’on prie ou que l’on ne prie pas un tel être, soit qu’on l’adore ou qu’on ne l’adore pas, soit qu’on lui offre des sacrifices, ou qu’on ne lui en offre pas, il ne ferait jamais, ni en bien ni en mal, que ce que de toute éternité il aurait résolu de faire ; c’est ce qui est marqué même dans leurs prétendus Prophètes...

Si Dieu avait fait, comme disent nos Déicoles, de tels commandements aux hommes, de le prier, de l’adorer et de lui offrir des sacrifices, il aurait sans doute, ou au moins il devrait avoir plus d’égard à ceux qui observent fidèlement ses commandements, qu’à ceux qui ne les observent point, et il serait sans doute, ou au moins il devrait être plus favorable à ceux qui le prieraient, qui l’adoreraient et qui lui offriraient dévotement des sacrifices, qu’à ceux qui ne le prieraient point, qui ne l’adoreraient point et qui ne lui offriraient point de sacrifices. Or nous voyons manifestement tous les jours qu’il n’a pas plus d’égard, ni de considération pour les uns que pour les autres, et que les biens et les maux viennent et arrivent indifféremment aux uns comme aux autres. Il n’y a donc nulle apparence que Dieu ait fait de tels commandements aux hommes.

Nous voyons encore manifestement tous les jours qu’une infinité de ceux et celles qui prient et qui offrent des sacrifices et qui servent dévotement leur Dieu, et qui l’invoquent et le réclament de tout leur coeur et de toutes leurs forces dans leurs pressants besoins, n’obtiennent cependant pas l’effet de leur de- mande, ni de leurs prières, mais périssent souvent misérablement dans leurs besoins ou languissent dans leur misère jusqu’à la fin de leurs jours. Pourquoi leurs prières ne sont-elles pas exaucées ? Pourquoi n’obtiennent- ils pas l’effet de leurs demandes ? C’est, suivant nos Déicoles, parce qu’il ne plaisait pas à Dieu de les exaucer, ni de leur accorder l’effet de leurs demandes, ce n’était pas sa volonté et ce ne l’avait jamais été. Si donc Dieu leur commandait, dans ces occasions-là, d’avoir recours à lui par la prière et de lui demander les grâces et l’assistance dont ils auraient besoin, il leur commanderait de lui demander par des prières et par des sacrifices des grâces et des faveurs qu’il n’aurait pas la volonté, ni le dessein de leur accorder et qu’il aurait même résolu de ne jamais leur accorder, ce qui n’est nullement croyable d’un Dieu qui serait infiniment bon et infiniment sage...

Comme il est évident que le monde n’est presque partout rempli que de maux, que de misères, que de vices, que de méchancetés, que de tromperies, que d’injustices, que de vols, que de larcins, que de cruautés, que de tyrannie, que de désordres et de confusion, c’est une preuve certaine et évidente qu’il n’y a point d’être infiniment bon et infiniment sage, qui soit capable d’empêcher tous ces maux, ni de sagesse qui soit capable d’y apporter un remède convenable, et par conséquent qu’il n’y a point d’être tout-puissant, qui soit infiniment bon et infiniment sage...

Qui diriez-vous Mrs. les Déicoles et Mrs. les Chris- ticoles, que diriez-vous, par exemple, d’un père de fa- mille, qui, pouvant sans peine et sans s’incommoder bien régler et bien gouverner toute sa famille, et qui, pouvant même facilement donner à tous ses enfants de bonnes inclinations et toutes sortes de belles perfections, voudrait néanmoins tout abandonner à la conduite du hasard et laisser venir ses enfants beaux ou laids, sains ou malades, sages ou fous, et les laisser indifféremment faire le bien ou le mal, et même le plus souvent leur laisser faire le mal plutôt que le bien ? Que diriez-vous d’un tel père ? Diriez- vous que ce serait-là un parfaitement bon père de famille ? Quand vous voudriez le dire, je suis sûr que vous ne le penseriez point ? Que diriez-vous d’un berger ou d’un pasteur de brebis, qui, ayant un troupeau à garder et à conduire, les laisserait négligemment aller dans toutes sortes de pâturages bon ou mauvais, les laisserait négligemment infecter et corrompre de gale, et qui, avec tout cela, les laisserait encore misérablement disperser et déchirer par la fureur enragée des chiens et des loups ? Diriez- vous que ce serait-là un parfaitement bon berger ?

Que diriez-vous d’un juge, qui, au lieu de rendre fidèlement la justice à un chacun, favori- serait au contraire l’injustice et le crime et punirait également et sans discernement les bons avec les méchants, et qui s’entendrait même avec les voleurs et les méchants ; diriez-vous qu’un tel juge serait parfaitement juste ? Point du tout. Vous diriez au contraire, qu’il serait le plus injuste du monde et qu’il mériterait lui-même d’être sévèrement jugé et puni.

Enfin, que diriez-vous d’un gouverneur de ville ou de province, même d’un Prince souverain, qui aurait des Etats à gouverner, si, au lieu d’établir ou de faire observer partout de bons règlements et de bonnes lois pour maintenir ses peuples dans la paix et dans l’abondance de tout bien, il les laisserait se brouiller, se persécuter, se ruiner, se désoler et se détruire misérablement les uns et les autres, par de continu- elles divisions et par de continuelles guerres et si c’était encore ce Prince-là lui-même, qui suscitât et qui fomentât ces funestes divisions et ces cruelles guerres parmi ses peuples, diriez- vous qu’un tel Prince serait un parfaitement bon Prince ? Point du tout. Vous diriez plutôt, qu’il mériterait d’être dégradé et dé- pouillé de toute autorité, de tout honneur, de toute dignité et de tout commandement...

Si un Médecin, par exemple, pouvait facilement guérir toutes sortes de maladies, et même préserver les hommes de toutes maladies, et les empêcher même de mourir et de souffrir aucun mal, et qu’il ne voulut pas néanmoins les guérir de leurs maladies, ni les préserver d’aucun mal, et qu’il voulut les laisser mourir dans leurs maux et dans leurs infirmités, ne serait-il pas tout-à-fait blâmable et punissable ?

Vous dites Mrs. les Déicoles et Mrs. les Christicoles, vous dites que votre Dieu est le souverain père de tous les hommes et de toutes les créatures vivantes ; vous dites, qu’il est le souverain pasteur et le souverain conducteur des hommes et particulièrement qu’il est le souverain pasteur des âmes ; vous dites, qu’il est le souverain juge de tous les hommes et qu’il est enfin le souverain Maître et Seigneur de tout le monde, ou plutôt c’est lui-même, dites-vous, qui s’attribue toutes ces belles et honorables qualités de père, de pasteur, de juge et de souverain Seigneur ; com- ment donc pouvez- vous dire qu’il est un père infini- ment bon et infiniment sage, puisqu’il abandonne toute sa famille, qui est le monde, à la conduite du hasard, et qu’il laisse devenir tant de ces enfants, qui sont les hommes, si laids, si difformes, si vicieux et si méchants, sujets à tant de maladies et d’infirmités, et qu’il les laisse faire impunément et insolemment toutes sortes de méchancetés ; cela, à votre avis, convient-il à un parfaitement bon et parfaitement sage père de fa- mille ?...

Ne savez-vous pas que plus un être est bon et parfait, plus parfaitement aussi et plus sagement doit- il agir, de sorte que si votre Dieu était, comme vous dites, infiniment bon, infiniment sage et tout- puissant, il aurait certainement très-sagement et très- parfaitement fait et ordonné toutes choses... Il est pareillement clair et constant, qu’il serait de la bonté et de la sagesse d’un être tout-puissant, infiniment bon et infiniment sage, et il serait de sa gloire, aussi bien que de sa bonté et de sa sagesse, de faire parfaitement bien tout ce qu’il fait, et par conséquent de n’y laisser aucun défaut, ni même aucune imperfection, et, pour la même raison, il serait de la bonté, de la gloire et de la sagesse infinies d’un tel être, de maintenir et de conserver toujours ses ouvrages dans un état entier et parfait, et s’il ne le fait pas, c’est sans doute parce qu’il ne le peut ou parce qu’il ne le veut : Si c’est parce qu’il ne le veut, il n’est assurément pas infiniment bon, puisqu’il ne voudrait pas faire tout le bien qu’il pourrait faire, et si c’est parce qu’il ne le peut, il n’est donc certaine- ment pas tout-puissant, puisqu’il ne peut faire tout le bien qu’il voudrait bien faire : et ainsi, soit qu’il manque de bonté, soit qu’il manque de puissance pour bien faire parfaitement toutes choses, il s’en suit évidemment qu’il n’est pas infiniment parfait et, par conséquent, qu’il ne serait pas Dieu, comme nos Christicoles l’entendent.

Quoi ! ce sont les Dieux eux-mêmes, disent les Déicoles, c’est Dieu lui-même, disent nos Cbristicoles, c’est Dieu lui-même ou ce sont les Dieux eux-mêmes qui recommandent et qui ordonnent aux hommes de faire tout le bien qu’ils peuvent et d’empêcher le mal autant qu’il leur est possible, et Dieu lui-même ou les Dieux eux-mêmes ne voudraient pas faire tout le bien qu’ils pourraient faire, ni empêcher le mal autant qu’ils pourraient l’empêcher ? Ils se rendraient en cela mille fois plus blâmables que les hommes...

Comme on voit que les hommes n’ont jamais pu convenir tous d’une seule et même religion, et que même dans chaque religion il y a plusieurs sortes de sectes différentes, qui se blâment et qui se condamnent les unes les autres, et dont les partisans de différentes sectes se persécutent à feu et à sang, les unes les autres, au sujet de la diversité et contrariété d’opinions et de sentiments, qu’ils ont sur leurs différentes lois et sur l’explication de leurs prétendues lois divines, c’est une preuve manifeste, que les volontés et que les intentions de leur Dieu ne leur sont point manifestement, ni suffisamment connues, car, si elles leur étaient manifestement ou suffisamment connues, il leur serait facile de s’accorder et ils n’auraient que faire, comme j’ai dit, de disputer avec tant de chaleur, ni de se persécuter, comme ils font, les uns les autres avec tant d’animosité...

Ceux, qui admettent les Anges, disent, qu’il y en a de bons, qu’ils appellent des Anges de lumières, et qu’il y en a de méchants, qu’ils appellent des Anges de ténèbres, et ils disent que souvent les Anges de ténèbres se transfigurent en Anges de lumière, pour tromper et pour séduire les hommes. C’est pour cela que le grand Mirmadolin de nos Christicoles, je veux dire le grand St. Paul défendait expressément à ses sectateurs de croire autre chose que ce qu’il leur avait enseigné, quand même ce serait, leur disait-il, un Ange du ciel, qui viendrait pour leur enseigner autre chose. S’il est vrai qu’il y ait de mauvais Anges, il n’est pas moins vrai qu’il y a de faux prophètes, je dis plus, il n’est pas certain qu’il y ait aucun véritable prophète, comme on l’entend ici, on peut assurer même qu’il n’y en a aucun, mais il est certain qu’il y en a quantité de faux, lesquels néanmoins se donnent tous la qualité de vrais prophètes et qui, sous ce beau et spécieux pré- texte, débitent leurs mensonges et leurs impostures avec autant d’assurance, que s’ils étaient effectivement de vrais prophètes, spécialement et expressément envoyés de Dieu, pour faire connaître ses volontés aux hommes. C’est ce que nos Déicoles ne sauraient nier, puisque l’on voit, que de toutes les religions qui sont dans le monde, il n’y en a pas une, qui ne prétende être fondée sur l’autorité et sur le témoignage de quelques-uns de ces prétendus Prophètes, qui se disent être spécialement envoyés et inspirés de Dieu ; c’est particulièrement ce que nos Christicoles ne sauraient nier, puisqu’ils ont vu dans leur Religion, toute sainte et divine qu’ils la croient/ quantité de ces faux prophètes et qu’ils y ont paru même dès le commencement de son institution. C’est de quoi se plaignait leur S. Paul dans son temps, en parlant de ces faux prophètes ; il les appelle de faux apôtres et des ouvriers trompeurs, qui se transforment, disait-il, en Apôtres de Jésus-Christ. Et il ne faut pas s’en étonner, disait-il, puisque Satan lui-même se transfigure bien en Ange de lumière. Dans un autre endroit ils sont appelés : faux docteurs, des séducteurs, des hommes trompeurs et moqueurs, et enfin des Antéchrists et des impies, qui se trouvaient déjà en grand nombre dès le commencement du Christianisme...

Et leur Christ même se doutait bien, qu’il en viendraient plusieurs semblables à lui et qu’ils en séduiraient plusieurs ; c’est pourquoi aussi il avertissait soigneusement ses disciples... Cela étant, quelle assurance peut-on prudemment avoir sur ce que disent des hommes trompeurs, des moqueurs, des visionnaires, des fanatiques ou des imposteurs, qui se contredisent et se condamnent les uns les autres ; car il est tout visible que ceux, qui se mêlent de faire ce beau métier de prophétiser et de contrefaire les confidents et les messagers de Dieu, ne sont que des impudents menteurs, des insensés, des visionnaires, des fanatiques, de méchants imposteurs, des moqueurs, ou de fins et rusés politiques trompeurs, qui ne se servent du nom et de l’autorité de Dieu, que pour mieux jouer leur personnage, en trompant ainsi les hommes...

Moïse, par exemple, ce grand Moïse égyptien, Législateur du peuple juif, qui a fait, dit-on, de si grands prodiges dans son temps, et qui parlait, dit-il, à Dieu, ou à qui Dieu parlait aussi familièrement qu’il aurait parlé à son ami, a été regardé du peuple juif comme un très-grand et véritable Prophète... Il n’était pas même de son temps si généralement reconnu des siens pour un vrai prophète, que plusieurs de sa troupe ne lui aient disputé cette gloire. Témoins les murmures de son Frère Aaron et de sa soeur Marie, témoins aussi les murmures de tout le peuple qu’il conduisait, et principalement le soulèvement que firent contre lui Coré, Athan et Abiron, soutenus de 250 des principaux du peuple ; car s’ils l’eussent véritablement reconnu pour un si grand prophète, il n’est guère probable qu’ils auraient osé se soulever, comme ils firent, contre lui et lui résister aussi hardiment qu’ils firent...

Le Galiléen Jésus-Christ, que les Chrétiens appellent leur divin sauveur et qu’ils adorent comme un vrai Dieu incarné, n’était regardé des Juifs et des Gentils que comme un insensé fanatique et comme un misérable pendart : c’est ce que les Chrétiens eux-mêmes ne sauraient nier, puisque les premiers et les plus zélés prédicateurs de leur foi avouaient eux-mêmes, que le crucifié Jésus-Christ, qu’ils prêchaient et qu’ils annonçaient au monde, n’était qu’un sujet de scandale aux Juifs, et un sujet de risée aux Gentils, qui ne regardaient ce qu’on leur en disait que comme une folie ; ce n’était pas pour le reconnaître pour un vrai prophète, ni pour un vrai Dieu incarné...

Il serait facile à tout un chacun et particulièrement à des gens qui viennent de loin, d’alléguer des révélations divines et de forger des miracles, pour appuyer tous les mensonges qu’ils voudraient débiter, et s’il ne tenait qu’à raconter ces prétendus miracles et ces prétendues révélations, pour que ceux à qui on les raconterait, soient obligés de les croire, où en seraient-ils ? Ils seraient donc obligés de croire tous ces conteurs de miracles et tous ces conteurs de révélations, et par conséquent obligés de croire une infinité d’impostures et de mensonges, qui se débiteraient tous les jours, comme si c’étaient des vérités les plus, certaines et les plus importantes...

Quoi ! sous prétexte, par exemple, qu’il y aurait eu autrefois, dans la Judée, un homme qui se disait être le Fils de Dieu, qui faisait des miracles et des prodiges, non seulement tous ceux qui l’auraient vu, mais aussi tous ceux qui ne l’auraient pas vu, ou qui auraient même été dans les pays les plus éloignés, auraient été obligés, aussi bien que ceux qui l’auraient vu, de croire tout ce que quelques personnes inconnues leur en auraient été dire, plusieurs années et même plusieurs centaines d’années après, et maintenant qu’il y a plusieurs milliers d’années que les choses se sont passées à plusieurs milliers de lieues, de quantité de peuples, tous les hommes de la terre seraient encore obligés de croire tout ce que des inconnus leur en iraient dire, sous le spécieux prétexte de religion, de zèle du salut de leurs âmes ; et ils seraient condamnés à être malheureux à tout jamais dans les flammes horribles d’un Enfer, s’ils ne croyaient pas aveuglément tout ce que ces inconnus leur en auraient été dire ? Vous êtes fols, Christicoles, d’avoir de telles pensées, et pour vous faire d’autant mieux connaître votre folie, supposons qu’il vienne en ce pays- ci quelques hommes inconnus des pays étrangers, comme par exemple des Docteurs et des Bonzes de la Chine ou du Japon, qui sont à 2 ou 3 mille lieues d’ici ; si ces bons Prêtres étrangers vous disaient sérieusement, qu’ils ne sont venus de si loin, que par un zèle qu’ils auraient du salut de vos âmes et pour vous instruire dans les mystères et cérémonies de leur prétendue sainte religion, et que sur cela ils commençassent à vous dire des merveilles de leur grand législateur, et à vouloir vous persuader d’abandonner votre religion pour embrasser la leur, vous seriez d’abord tout étonnés d’une telle nouveauté ; mais si dans la suite de leur discours vous remarquiez, qu’ils voulus- sent vous persuader de croire des mystères ridicules et absurdes, vous faire observer des cérémonies vaines et superstitieuses, et vous faire adorer et révérer quelques idoles de leurs fausses Divinités, ne ririez- vous pas de leurs sottises, et ne diriez-vous pas que ces gens-là seraient des fols et des insensés, de venir de si loin, et avec tant de peine et de fatigue, pour vous dire de telles sottises ?  »

Suite en LXXIX.

B) Jean Meslier : curé athée, matérialiste et révolutionnaire au XVIIIème siècle

par Serge Deruette, universitaire belge qui a publié un ouvrage intitulé "Lire Jean Meslier"

B1) Le Mémoire de l’abbé Meslier, une oeuvre révolutionnaire

Surveillé de près par les seigneurs et par la hiérarchie ecclésiastique, le curé Jean Meslier a eu l’intelligence de ne pas leur donner l’occasion de le réprimer. Dans le même temps, il a passé sa vie à lire, étudier, réfléchir, écrire des Mémoires nettement en avance sur son temps sur de nombreux sujets.

Il est le premier critique social à considérer la religion comme le produit et la preuve de l’oppression et de l’exploitation sociales, à voir dans la propriété privée la cause de l’inégalité et de la domination, à reconnaître que toutes les richesses viennent du travail et à avancer l’idée de la grève générale.

Le premier à prôner l’idée de la dictature des opprimés (il revendique ouvertement d’"opprimer tous les oppresseurs") et à se prononcer pour la transformation de la guerre des nations en guerre des classes.

Précurseur du féminisme, sans être aucunement libertin (le libertinage est un courant élitiste méprisant les masses), il se prononce contre l’indissolubilité des mariages et ses conséquences néfastes pour les hommes comme pour les femmes et pour leurs enfants. Il défend l’union libre et s’indigne que l’Eglise condamne ce qu’il appelle si joliment "ce doux et violent penchant de la nature."

B2) Le Mémoire de l’abbé Meslier, une oeuvre athée et matérialiste

Avec le volumineux "Mémoire" qu’il laisse à sa mort, le curé Meslier offre une philosophie complète de la nature et de la société humaine en rupture radicale avec la pensée religieuse et philosophiques ainsi qu’avec les idées sociales et politiques de son temps.

Seul et solitaire pour mener cette gigantesque entreprise, il dénonce à la fois la tyrannie des puissants et l’imposture religieuse qui la bénit. "La religion, écrit-il, soutient le gouvernement politique, si méchant qu’il puisse être et, à son tour, le gouvernement politique soutient la religion si vaine et si fausse qu’elle puisse être".

En le démontrant, Meslier s’affirme comme le premier théoricien systématique de l’athéisme à se lancer dans une attaque exhaustive et radicale de la croyance en un dieu, le premier à sortir l’athéisme de sa culture élitaire et à la revendiquer pour les masses populaires, le premier athée communiste connu dans l’histoire universelle de la pensée. Le premier philosophe à vouloir transformer le monde, donc !

Il est également le premier matérialiste systématique et conséquent depuis l’Antiquité. Il expose longuement le point de vue que la matière ne peut avoir été créée, que le mouvement lui est indissolublement lié, que "la matière a d’elle-même son mouvement".

B3) L’abbé Meslier, un précurseur du communisme

Prônant l’égalitarisme communiste, il est aussi le premier à vouloir fonder une société sans classes par l’action révolutionnaire, qu’il conçoit comme une action populaire de masse, à la différence de tant d’autres auteurs de son temps qui l’envisagent au travers de l’imagination utopique. Meslier décrit peu les formes politiques de la société future, mais il forge en revanche un projet et un programme révolutionnaires pour la réaliser.

Comme s’il exprimait l’irruption du peuple paysan brandissant sa misère au sein des salons, Meslier doit sa radicalité à son expérience pratique de la vie paysanne d’Ancien régime qu’aucun autre penseur de son temps ne connaît comme lui. Il est, avant la Révolution, le seul penseur à concevoir l’athéisme, non comme un privilège des puissants, mais comme une arme pour libérer les masses asservies.

Pour que la pensée accède à nouveau en un seul mouvement à la conjonction de ces quatre domaines que sont la négation de Dieu, la matière, le communisme et la révolution, il faudra attendre Marx et Engels, c’est à dire plus d’un siècle de transformations profondes de la société, parmi lesquelles la Révolution française et la révolution industrielle, le triomphe de la bourgeoisie et la constitution du prolétariat industriel.

C) Jean Meslier, un curé sans dieu ni maître

"Que tous les Grands de la terre et que tous les nobles fussent pendus avec les boyaux des prêtres." Ces fortes paroles inspirèrent plusieurs variantes égayant les murs en mai 1968. Qui se rappelle qu’elles furent écrites il y a près de 300 ans par un curé de campagne ? Son Mémoire est un cri universel pour que l’humanité s’émancipe de ce qui l’infantilise et l’exploite, les religions et les pouvoirs."

Une vie après la mort

Par une nuit, probablement sans lune, trois silhouettes, dont deux portent ce qui semble être une soutane, enterrent discrètement un cadavre dans le jardin du presbytère. Nous sommes à Etrépigny, petit village ardennais de 400 âmes, le 28 juin 1729. Pourquoi le clerc du lieu et deux curés du voisinage se débarrassent-ils d’un corps, sans plaque ni pierre tombale ? Le lendemain les habitants, demandant des nouvelles de leur prêtre, il leur est ordonné de ne plus s’enquérir de Jean MESLIER, qui fut pourtant leur curé durant quarante ans ! Le spectre de Jean MESLIER terrorise ces serviteurs de Dieu : il a laissé deux lettres, affirmant "ne plus devoir maintenant faire encore difficulté de dire la vérité", "avoir mille fois maudit dans le coeur les vaines et abusives fonctions de ce vain ministère" et que "toutes les religions ne sont qu’invention à la solde du pouvoir pour abuser le peuple." Diable, cela sent l’apostasie ! Ce maudit curé précise qu’il a écrit un Mémoire. Ciel !

Il suffit de quelques années pour que des copies du Mémoire circulent. Voltaire y fait allusion dans une lettre de 1735. En 1762 il en tire un abrégé, Le Testament du curé Meslier, qui se révélera un détournement du texte original. Ce n’est qu’en 1864 qu’une version complète sera éditée à Amsterdam en seulement 500 exemplaires. Jean MESLIER ne sortira de l’oubli qu’en 1965, à travers la biographie que lui consacre Maurice Dommanget. Paradoxalement son nom figure sur un obélisque à Moscou, gravé par les bolcheviques en 1919 ! Ainsi les bourreaux des marins de Cronstadt et des paysans anarchistes makhnovistes glorifient un homme qu’un de ses contempteurs accuse d’avoir "composé au seuil de sa vie une oeuvre anarchiste, destructrice de la Société" !

Docteur Jekyll et mister Hyde

Jean MESLIER naît dans une famille aisée ardennaise. Malgré son peu d’enthousiasme, son père l’inscrit au séminaire de Reims et son chemin (de croix ?) le conduit à la cure d’Etrépigny, village de paysans, de bûcherons, de manouvriers. L’église jouxte un château, et la forêt voisine abrite une abbaye qui prélève la dîme sur les paroissiens. Contrairement à ses prédécesseurs, il est cultivé et ne boit pas, ce qui lui vaut d’être bien noté par ses supérieurs. Certes, il ne moralise ses ouailles que très modérément et il prend une servante de 23 ans, car "il faut être sot pour ne pas par bigoterie et par superstition goûter au moins quelques fois à ce doux penchant de la nature". Il aime bien ses fidèles, même s’il regrette leur penchant pour la superstition. Cette vie paisible est bouleversée par deux évènements qui le marquent profondément.

Le "grand hyver" de 1709 décime animaux, plantes, humains. Mais le châtelain, les moines et le roi continuent à prélever les impôts. Jean MESLIER enrage de voir ses paroissiens réclamer des prières collectives, au lieu de s’en prendre aux puissants.

"Comment Dieu peut-il affliger les hommes de peste, de maladie, de guerre et de famine ? Comment se plairait-il à les voir mourir de faim et de misère ?" Il prononce plusieurs sermons hostiles à la noblesse.

En 1716 il admoneste le seigneur du lieu. "Nous prierons Dieu pour Antoine de Touilly, qu’il lui fasse grâce de ne point maltraiter le pauvre et dépouiller l’orphelin." Ses prêches deviennent des réquisitoires et le châtelain sollicite l’intervention de l’archevêché, qui lui impose de s’amender, de se séparer de sa servante de 23 ans et de passer un mois de méditation au séminaire de Reims. Il renonce à l’affrontement direct, pas à ses idées.

Prêtre docile le jour, il va consacrer les dix dernières années de sa vie à la rédaction nocturne d’un mémoire contre Dieu, contre les religions, contre le roi et la noblesse. "Les pauvres sont soumis au régime de l’espérance, rien sur terre, tout au ciel, les derniers seront les premiers et autres mensonges inventés pour les tenir en rang, leur faire payer moult impôts sans protestation, ni révolte."

Des dieux et des puissants faisons table rase

"Vous serez misérables et malheureux, vous et vos descendants, tant que vous souffrirez la domination des princes et des rois de la terre, vous serez misérables et malheureux, tant que vous suivrez les erreurs de la religion." Dans le Mémoire de nombreux exemples montrent que la foi est l’abdication de la raison, où l’homme-boa avale n’importe quoi. Jean MESLIER met le doigt sur les contradictions des textes sacrés, les fausses prédictions des prophètes, la notion guerrière de "peuple élu" citée dans l’Ancien Testament : "Vous ne ferez point d’alliance avec les autres Peuples, et vous ne leur ferez aucune grâce, au contraire vous les détruirez." Il dénonce l’Eglise qui justifie cyniquement sa richesse dans le Nouveau Testament : "Si nous avons semé parmi vous les biens spirituels, est-ce une grosse affaire si nous moissonnons vos biens corporels." Se débarrassant de Dieu, il jette avec l’eau (bénite) du bain ses thuriféraires : "Les ecclésiastiques, moines et abbés richement dotés de revenus, ces diseurs de messes et de bréviaires ridiculement déguisés n’ont aucune utilité, qu’on les mette au travail pour le bien commun." L’alliance du trône et de l’autel est permanente : "La religion soutient le gouvernement politique si méchant qu’il puisse être ; et à son tour le gouvernement soutient la religion si sotte qu’elle puisse être." Pour faire table rase il fait appel aux tyrannicides : "Où sont passés ces généreux meurtriers de Tyrans que l’on a vu dans les siècles passés ?"

Ouvrant des chemins qu’emprunteront plus tard Babeuf, Pierre KROPOTKINE, Michel BAKOUNINE, il propose de construire un monde basé sur la collectivisation des terres, la jouissance commune des biens, l’égalité communautaire, l’amour libre : "Un autre abus est l’appropriation particulière que les hommes font des biens et des richesses de la terre, au lieu qu’ils devraient tous également les posséder en commun et en jouir aussi tous également en commun." La misère renforce une société de domination : "Si vous mettez les peuples dans l’abondance, ils ne travailleront plus, ils deviendront fiers et indociles et seront toujours prêts à se révolter ; il n’y a que la misère et la faiblesse qui les rend souples."

C’est la faute à Voltaire

"Le peuple sera toujours sot et barbare, ce sont des boeufs auxquels il faut un joug et du foin." L’auteur de ces fortes paroles n’est autre que le symbole des Lumières, François Marie Arouet, dit Voltaire. Celui qui fréquenta les Grands et laissa une énorme fortune s’éteint en disant : "Je meurs en adorant Dieu." C’est le même qui fait imprimer en Hollande un abrégé à sa sauce du Mémoire, intitulé Le Testament du curé Meslier, présenté comme "témoignage d’un curé qui, en mourant, demande pardon à Dieu d’avoir enseigné le christianisme". Il en fait un texte déiste, en efface toute référence sociale. Il est vrai que, pour lui "le mensonge est un vice quand il fait du mal, c’est une grande vertu quand il fait du bien". Car "ce curé voulait anéantir toute religion et même la naturelle, aussi ses abrégés sont-ils purgés du poison de l’athéisme". De toute façon la populace est ignorante et doit le rester : "Pourquoi adresser ce testament à des hommes agrestes qui ne savent pas lire ? Et s’ils avaient pu lire, pourquoi leur ôter un joug salutaire, une crainte nécessaire qui seule peut prévenir les crimes secrets ? La croyance des peines et des récompenses est un frein dont le peuple a besoin, la religion bien épurée serait le premier lien de la Société." La messe est dite...

L’Histoire est encombrée de nombreux intellectuels libéraux qui adorent le "peuple", tant qu’il reste soumis. Dès qu’il se révolte, s’unit, s’autonomise, il faut vite refermer la cage. Emile Zola se remet ainsi de sa terreur du printemps 1871 : "Le bain de sang que le peuple de Paris vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. Vous le verrez maintenant grandir en sagesse et en splendeur." Dans Germinal transpire sa hantise d’une révolution populaire : "C’est la vision rouge de la révolution qui les emporterait tous, par une soirée sanglante de cette fin de siècle. Oui, un soir, le peuple lâché, débridé, galoperait ainsi sur les chemins ; et il ruissellerait du sang des bourgeois. Oui ce serait la même cohue effroyable, de peau sale, d’haleine empestée, balayant le vieux monde, sous leur poussée débordante de barbares."

Jean MESLIER doit, encore aujourd’hui, se retourner dans sa tombe, car les religions conservent tout leur parfum d’opium du peuple. Les mouvements sociaux sont contrôlés, endigués, redirigés vers les urnes et le "Parti-Eglise" s’oppose à tout débordement qui pourrait conduire à l’auto-organisation, à l’autogestion. Pourtant "s’il est douloureux de subir ses chefs, il est encore plus bête de les choisir"...

Elan NOIR

(Texte publié dans Creuse-Citron, le journal de la Creuse libertaire, n° 26, hiver 2010).

http://anarchie23.centerblog.net/65...

A voir : Le curé Meslier. Précurseur du Siècle des Lumières, un film d’Alain Dhouailly, produit par Général Memo Kyoko Nagasawa et les Jardins-Jeudis de La Spouze 2007.

D) Testament de l’abbé Meslier (extraits)

"Mes chers amis, puisqu’il ne m’aurait pas été permis et qu’il aurait été d’une trop dangereuse et trop fâcheuse conséquence de dire ouvertement, pendant ma vie, ce que je pensais de la conduite et du gouvernement des hommes, de leurs religions et de leurs moeurs, j’ai résolu de vous le dire après ma mort.

Ce serait bien mon inclination de vous le dire de vive voix avant que je meure, si je me voyais proche de la fin de mes jours et que j’eusse encore pour lors l’usage libre de la parole et du jugement. Mais comme je ne suis pas sûr d’avoir, dans ces derniers jours, le temps ni toute la présence d’esprit qui me seraient nécessaires pour vous déclarer alors mes sentiments, c’est ce qui m’a fait maintenant entreprendre de vous les déclarer ici par écrit, afin de tâcher de vous désabuser, au moins tard et autant qu’il serait en moi, des vaines erreurs dans lesquelles nous avons eu tous, tant que nous sommes, le malheur de naître et de vivre.(...)

C’est l’égoïsme et l’ambition brutale qui sont la source et l’origine de tous ces superbes titres de seigneurs, de prince, de roi, de monarque et autres tyrans qui nous oppriment. Et aussi la source et l’origine de tous ces prétendus saints et sacrés caractères d’ordre et de puissance ecclésiastique et spirituelle que s’attribuent les prêtres et les évêques. La religion soutient le gouvernement politique, si méchant qu’il puisse être, et à son tour le gouvernement soutient la religion, si sotte et si vaine qu’elle puisse être. Plus j’ai avancé en âge et en connaissance, plus j’ai reconnu l’aveuglement et la méchanceté des hommes, plus j’ai reconnu la vanité de leurs superstitions et l’injustice de leur gouvernement(...)

J’ai vu, et on voit encore tous les jours, une infinité d’innocents malheureux, persécutés sans raison et opprimés avec injustice, sans qu’ils trouvassent aucun protecteur secourable pour les secourir(...)

D’un côté, les prêtres recommandent, sous peine de malédiction et de damnation éternelle, d’obéir aux magistrats, aux princes et aux souverains, comme étant établis de Dieu pour gouverner les autres, et les princes de leur côté font respecter les prêtres, leur font donner de bons appointements et de bons revenus et les maintiennent dans les fonctions vaines et abusives de leur faux ministère, contraignant le peuple de regarder comme saint et sacré tout ce qu’ils font et tout ce qu’ils ordonnent aux autres de croire et de faire, sous ce beau et spécieux prétexte de religion et de culte divin.

Et ne croyez pas que je vise ici seulement les religions dites fausses, en exceptant au moins de ce nombre la religion catholique. Point. Elle n’est pas moins superstitieuse qu’une autre ; elle n’est pas moins fausse dans ses principes, ni moins ridicule et moins absurde dans ses dogmes et maximes."

"Il serait juste que les grands de la terre et que tous les nobles fussent pendus et étranglés avec les boyaux de prêtres. Cette expression ne doit pas manquer de paraître assez rude et grossière, mais il faut avouer qu’elle est franche et naïve. Elle est courte, mais elle exprime assez, en peu de mots, tout ce que ces sortes de gens-là méritent.(...)

Il n’y en a point qui aient poussé si loin l’autorité absolue, ni qui aient rendu leurs peuples si pauvres, si esclaves et si misérables ; il n’y en a point qui aient fait répandre tant de sang, qui aient fait tuer tant d’hommes, qui aient fait tant verser de larmes aux veuves et aux orphelins que ce dernier roi Louis XIV, surnommé le Grand, non véritablement pour les grandes injustices, pour les grandes voleries, pour les grandes usurpations, pour les grandes désolations, et pour les grands ravages et carnages d’hommes qu’il a fait faire de tous côtés, tant sur terre que mer.(...)

Où sont ces généreux meurtriers des tyrans que l’on a vus aux siècles passés ? Où sont les Brutus et les Cassius ? Où sont ces généreux défenseurs de la liberté publique, qui chassèrent les rois et les tyrans de leur pays, en donnant licence à quiconque de les tuer ? Où sont Jacques Clément et les Ravaillac de notre France ? Que ne vivent-ils encore de nos jours pour assommer et pour poignarder tous ces détestables monstres et ennemis du genre humain et pour délivrer, par ce moyen, les peuples de la tyrannie ? Non,ils ne vivent plus, ces grands hommes, et on ne voit plus maintenant dans le monde que de lâches et misérables esclaves !

"La première erreur morale du christianisme, c’est qu’elle fait consister la perfection de la vertu et le plus grand bien dans l’amour et la recherche des douleurs et des souffrances, suivant les maximes de jésus Christ, qui disait que bienheureux sont les pauvres, que bienheureux sont ceux qui ont faim et qui ont soif, que bienheureux sont ceux qui souffrent persécution pour la justice."

"Cette maxime morale de nos Christicoles est absolument fausse, parce que c’est toujours une erreur et même une folie d’aimer et de rechercher des douleurs et des souffrances, sous prétexte de conquérir des biens et des récompenses éternelles qui ne sont qu’imaginaires."

"Pareillement ; c’est une erreur de la morale chrétienne de condamner, comme elle le fait, tous les plaisirs naturels de la chair, et non seulement les actions et les oeuvres naturelles de la chair, mais aussi tous les désirs et toutes les pensées volontaires d’en jouir. C’est une erreur dans cette morale de regarder toutes ces choses comme des actions ou des pensées criminelles dignes de punition éternelle. Car, comme il n’y a rien de plus naturel et de plus légitime que cette inclination qui porte tous les hommes à ce penchant, c’est en quelque sorte condamner la nature même que de considérer comme vicieuse et comme criminelle, dans les hommes et dans les femmes, une inclination qui leur est si naturelle et qui leur vient du fond le plus intime de leur nature, pensées, désirs qui sont si légitimes et si nécessaires à la conservation et à la multiplication du genre humain."

"Sots à mon avis, ceux qui, par bigoterie et superstition n’oseraient goûter au moins quelquefois ce qui en est."

"Une autre erreur de cette morale, c’est qu’il faille aimer ses ennemis, qu’il ne faille pas se venger des injures et qu’il ne faille pas même résister aux méchants." Ainsi, il faut bénir ceux qui nous maudissent, faire du bien à ceux qui nous font du mal, nous laisser dépouiller, et souffrir toujours paisiblement les injures et les mauvais traitements. Ce sont là des maximes contraires au Droit naturel, à la raison, et à la justice qui nous conseillent de repousser le mal et de nous défendre quand nous sommes injustement attaqués."

"Elles tendent à favoriser les méchants et leur oppression des bons et des faibles, elles les autorisent dans leur malice et leur méchanceté. N’est-ce pas vouloir que les bons s’abandonnent eux-mêmes en proie aux méchants et à leurs ennemis, les laissent librement faire tout ce qu’ils veulent ?"

Tous les hommes sont égaux par la nature, ils ont tous également le droit de vivre et de marcher sur la terre, et d’avoir part aux biens de la terre en travaillant utilement les uns et les autres pour avoir les choses nécessaires et utiles à la vie."

"Il n’y a rien de si abject, de si pauvre, de si méprisé que les paysans de France : ils sont les esclaves des grand et des nobles, sans compter ce que les ecclésiastiques exigent injustement de ces pauvres malheureux."

Riches privilégiés, riches fainéants

"On a bien raison de comparer ces gens-là à des vermines, car ils ne font que tourmenter, ronger et manger le pauvre peuple. La religion se fait leur complice. Elle menace les ignorants du diable, comme si les diables pouvaient être plus hideux que tous les beaux messieurs, grands et nobles, que toutes les belles demoiselles, parées, frisées et poudrées, qui sont les plus grands ennemis du peuple et lui font tant de mal." "...cette quantité de riches fainéants qui, sous prétexte qu’ils ont de quoi vivre de ce qu’ils appellent leurs rentes, ne se livrent à aucun travail ! De quelle utilité sont ces gens-là, riches fainéants et mangeurs de la substance du peuple ? N’est-ce pas la misère que cette quantité prodigieuse d’ecclésiastiques et de prêtres inutiles, d’abbés, de prieurs et de chanoines, de moines et de moinesses, qui ne sont d’aucune nécessité ? Quels services rendent-ils au public ?

Aucun. Et, cependant, ce sont les mieux rentés et les mieux pourvus de tous les biens et de toutes les commodités de la vie : ils sont les mieux logés, les mieux chaussés, les mieux nourris, les moins exposés aux injures du temps et des saisons. S’ils tombent quelquefois dans des maladies ou des infirmités, ils sont si promptement et si soigneusement secourus que le mal n’a presque pas le temps de les offenser. Ils font des voeux de pauvreté et de renoncement, ils font profession de vivre dans la mortification du corps et de l’esprit."

"C’est pourquoi leurs couvents sont comme des maisons de seigneurs, comme des palais de princes, leurs jardins sont commes des paradis terrestres, leurs cuisines sont toujours abondamment fournies. Ils ont le bonheur de récolter abondamment là où ils n’ont rien semé."

"C’est une injustice, criante de faire manger ainsi à des fainéants la nourriture que, seuls, les bons ouvriers devraient avoir ; c’est une injustice criante d’arracher de leurs mains ce qu’ils gagnent et ce qu’ils font venir à la sueur de leur corps pour le donner à des moines inutiles.

Comme si on avait à faire de tous ces gens-là, de tous ces diseurs de messes et de bréviaires, d’oraisons et de chapelets ! A quoi sert qu’ils se déguisent sous tent de diverses et ridicules formes d’habits, qu’ils s’enferment dans des cloîtres, qu’ils marchent pieds nus, qu’ils se donnent la discipline, qu’ils aillent à certaines heures du jour ou de la nuit chanter psaumes et cantiques ? Les oiseaux sauvages chantent et ramassent assez dans les champs et dans les bois. Les peuples n’ont que faire de nourrir tant de gens pour ne faire que chanter dans les temples.""Quand tous les moines et tous les prêtres célébreraient chacun vingt, trente et même cinquante messes par jour, elles ne vaudraient pas à elles toutes un seul clou à soufflet, comme on dit. Un clou est utile et nécessaire, on ne saurait s’en passer en nombre de choses, mais toutes les prières, toutes les oraisons et toutes les messes ne sont utiles qu’à faire venir de l’argent à ceux qui les disent. Un seul coup de hoyau qu’un pauvre manouvrier donne en terre pour la cultiver est utile et sert à faire venir du grain pour nourrir l’homme. Un bon laboureur en fait venir avec sa charrue plus qu’il ne lui en faut pour vivre ; mais tous les prêtres ensemble ne sauraient avec toutes leurs prières et tous leurs prétendus saints sacrifices de messes, contribuer à la production d’un seul grain.

"La profession des moindres artisans est utile et nécessaire dans les Républiques, celles même des comédiens et des joueurs de flûte et de violon ont leur mérite et leur utilité, car les gens de cette profession servent au moins à réjouir et à divertir agréablement les peuples. Il est bien juste que ceux qui, tous les jours, s’occupent utilement au travail et m^me à des travaux pénibles et laborieux, il est bien juste, di-je, qu’ils aient au moins quelques heures de divertissement. Mais la profession des prêtres et des moines n’est qu’une profession d’erreurs, de supertitions et d’impostures, et, par conséquent, bien loin qu’elle doive être censée utile et nécessaire dans une bonne et sage République, elle devrait, au contraire, y être regardée comme nuisible et pernicieuse, et ainsi, au lieu de gratifier si bien les gens d’une telle profession, il faudrait absolument les interdire e toutes les superstitieuses et abusives fonctions de leur ministère et les obliger à s’occuper à quelque honnête et utile exercice, comme font les autres."

"On a besoin dans toutes les paroisses de quelque berger ou de quelque porcher pour garder les troupeaux, on a besoin partout de fileuses de laine et de blanchisseuses de linge. Mais quel besoin a-t-on, dans une République, de tant de prières, de tant de moines et de moinesses, qui vivent dans l’oisiveté et dans la fainéantise ?"

" Si les hommes possédaient et jouissaient également en commun des richesses, des biens et de commodités de la vie, s’ils s’occupaient unanimement tous à quelque honnête et utile travail, ils vivraient tous heureux et contents, car la terre produit assez abondamment pour les nourrir et les entretenir ; personne ne serait en peine ni pour soi, ni pour ses enfants de savoir où il logerait, peronne n’aurait à se tuer soi-même par des excès de fatigue et de travail."

"Vous étonnez-vous, pauvres peuples, que vous ayez tant de mal et tant de peines dans la vie ? C’est que vous portez seuls tout le poids du jour, c’est que vous êtes chargés non seulement du fardeau de vos rois et de vos princes qui sont vos premiers tyrans, mais encore de toute la noblesse, de tout le clergé, de toute la moinerie, de tous les gens de justice, en un mot e tout ce qu’il y a de gens fainéants et inutiles dans le monde."

"Les moines n’ont eu garde de renoncer aux avantages de la vie en commun. Aussi sont-ils toujours dans un état florissant, ne sentent-ils jamais les misères ni les incommodités de la pauvreté : leurs couvents sont aussi superbement bâtis que des palais, leurs maisons sont des réservoirs de tous les biens et de toutes les commodités. Que les hommes ne s’entensent-ils pas de même pour jouir de la vie en commun, dont les avantages sont évidents et incalculables ? Mais les grands et les nobles ont intérêt à ce que cet état ne s’établisse pas. Ils préfèrent la division des hommes qui leur permet de les pressurer, de les dépouiller, sachant leur inspirer une telle crainte que ceux-ci n’osent même résister, alors même que les princes les obligent à se précipiter sur les autres peuples pour des intérêts qui ne sont pas les leurs."

"L’ordre naturel est ainsi entièrement perverti dans le royaume. La France est victime de l’ambition de ses rois, tout s’y rapporte à une vaine image de gloire et ne rend que plus pesantes les chaînes sous lesquelles elle gémit."

"Sur quelles bases ont-ils fondé cette prétendue certitude de l’existence d’un Dieu ? Sur la beauté, l’ordre, sur les perfections des ouvrages de la nature ? Mais pourquoi aller chercher un Dieu invisible et inconnu pour créateur des êtres et des choses, alors que les êtres et les choses existent et que, par conséquent, il est bien plus simple d’attribuer la force créatrice, organisatrice, à ce que nous voyons, à ce que nous touchons, c’est à dire à la matière elle-même ?

Toutes les qualités et puissances qu’on attribue à un Dieu placé en dehors de la nature, pourquoi ne pas les attribuer à la nature même qui est éternelle ?" "Rien ne se crée. Rien ne se perd. Le temps ni l’espace n’ont été créés : car si un être avait créé le temps, il eût fallu qu’il fût hors du temps et rien ne peut être hors du temps. Pour créer l’espace, il eût fallu qu’il fût hors de l’espace, et rien ne peut être hors de l’espace. Enfin pour créer la matière, il eût fallu qu’il fût hors de la matière et rien ne peut être hors la matière."

"Le monde est un mélange confus de bien et mal ; il s’ensuit évidemment qu’il n’a pas été créé par un être infiniment parfait, et, par conséquent, il n’y a pas de Dieu."

"Que diriez-vous, Messieurs les Déicoles, d’un père de famille qui pouvant tout bien régler et gouverner, qui pouvant donner à ses enfants de belles perfections, voudrait néanmoins tout abandonner à la conduite du hasard et laisser venir les enfants beaux ou laids, sains ou malades ? Serait-ce là un père parfaitement bon ? Le berger qui n’a pas créé ses brebis s’efforce de les protéger contre les dangers, la maladie ou la dent du loup. Que diriez-vous de lui s’il prenait plaisir à les regarder aller à leurs risques dans les marécages pestiférés ou dans les antres des bêtes féroces ?

Ah ! l’autre vie ! l’âme immortelle ! Est-ce que nous ne sentons pas, intérieurement et extérieurement par nous-mêmes, que nous ne sommes que matière, et que nos pensées les plus spirituelles ne sont que de la matière de notre cerveau, qu’elles sont le résultat de sa constitution matérielle et que ce que nous appelons notre âme n’est en réalité qu’une portion de la matière, la plus délicate et la plus subtile ?"

"L’âme n’est ni spirituelle ni immortelle. Elle est matérielle et mortelle aussi bien que le corps. Il n’y a donc point de récompense à espérer ni de châtiments à craindre après cette vie. Il n’y a point de bonté souveraine pour récompenser les justes et les innocents, point de justice souveraine pour punir les méchants. Il n’y a point de Dieu."

"Mais il y a l’homme, il y a la terre, il y a la vie, il y a le sentiment de l’équilibre et de la justice, et c’est sur cette terre qui lui appartient, dans cette vie qui est sienne, que l’homme doit réaliser la justice, le bonheur, la solidarité et la fraternité universelles. Ce n’est pas en Dieu que l’homme doit chercher la puissance, la bonté, la perfection, c’est en lui-même : par l’instruction il deviendra savant, c’est à dire puissant ; par l’éducation, il se fera juste, c’est à dire bon ; par l’aide mutuelle et la solidarité, il réalisera sur la planète qui est son domaine la perfection possible. Il faut avoir le courage de rejeter toutes les idées préconçues et surtout d’effacer ce préjugé de la perfection des choses actuelles, comme ayant été créées définitivement par l’ordre d’un Dieu. Tout est en mouvement, tout se transforme, tout progresse."

" La matière a institué, par des modes de mouvement, tous les différents effets ou ouvrages que nous voyons dans la nature : il n’y a que des efforts naturels. La matière obéit à des lois qui, jusqu’ici, nous semblent toujours identiques à elles-mêmes, et ce pendant il nous appartient d’en modifier l’expression, par exemple, dans les plantes ou arbres sur lesquels nous pouvons mettre des greffes de différentes natures. La vie corporelle, soit des hommes, soit des bêtes, soit des plantes, n’est qu’une espèce de modification et de fermentation continuelle de leur être, c’est à dire de la matière dont ils sont composés, et toutes les connaissances, les pensées et les sensations qu’ils peuvent avoir ne sont, que diverses autres modifications et fermentations."

"Bientôt je ne serai plus rien.

"Levez-vous, unissez-vous contre vos ennemis, contre ceux qui vous accablent de misère et d’ignorance. Rejetez entièrement toutes les vaines et superstitieuses pratiques des religions.

" N’ajoutez aucune foi aux faux mystères, moquez-vous de tout ce que les prêtres intéressés vous disent. car c’est là la cause funeste et véritable de tous vos maux...Votre salut est entre vos mains, votre délivrance ne dépend que de vous, car c’est de vous seuls que les tyrans obtiennent leur force et leur puissance."

"Unissez-vous donc, ô peuples ! unissez-vous tous, si vous avez du coeur, pour vous délivrer de vos misères communes. Commencez d’abord par vous communiquer secrètement vos pensées et vos désirs. Répandez partout le plus habilement possible des écrits semblables à celui-ci par exemple, rendez odieux partout le gouvernement tyrannique des princes et des prêtres. Secourez-vous dans une cause si juste et si nécessaire et où il s’agit de l’intérêt commun de tous les peuples..."

"Retenez pour vous-mêmes ces richesses et ces biens que vous faites venir à la sueur de votre corps, n’en donnez rien à tous ces superbes et inutiles fainéants, rien à tous ces moines et à ces ecclésistiques qui vivent inutilement sur la terre, rien à ces orgueilleux tyrans qui vous méprisent...que vos enfants, vos parents, vos alliés quittent leur service, excommuniez-les de votre société. Ils ne peuvent pas se passer de vous, vous pouvez vous passer d’eux et n’ayez pas d’autre religion que de maintenir partout la justice et l’équité, de vous aimer les uns les autres et de garder inviolablement la paix et la bonne union entre vous."

"Après cela, qu’on en pense, qu’on en juge, qu’on en dise ce que l’on voudra, je ne m’embarrasse pas. Que les hommes s’accomodent et se gouvernent comme ils veulent, qu’ils soient sages ou qu’ils soient fous, qu’ils disent ou qu’ils fassent de moi ce qu’ils voudront après ma mort, je m’en soucie fort peu. Je ne prends déjà presque plus de part à ce qui se fait dans le monde. Les morts avec lesquels je suis sur le point d’aller ne s’embarrassent plus de rien et ne se soucient plus de rien. Je finirai donc ceci par le rien, aussi ne suis-je guère plus que rien et bientôt je ne serai plus rien"

Ci-dessus la version révisée par Voltaire

E) Jean Meslier, curé athée et révolutionnaire

Une fois n’est pas coutume, rendons hommage à un curé. Un curé pas ordinaire il est vrai puisque, comme l’indique le titre du livre écrit par Thierry Guilabert, Jean Meslier (1664-1729) fut athée et révolutionnaire avant l’heure.

« Que tous les grands de la terre et que tous les nobles fussent pendus et étranglés avec les boyaux des prêtres. » Cette proposition tonitruante est extraite du testament de notre bon curé. Elle montre que notre homme n’y allait pas avec le dos de la cuillère. C’est que, curé le jour, athée la nuit, le gaillard en avait gros sur la patate après quarante ans de messes indigestes à Etrépigny, dans les Ardennes. N’en déplaise à ceux qui affirmaient que ce curé était une invention de Voltaire, Jean Meslier est bien né le 14 juin 1664 à Mazerny. L’année où Molière montait Tartuffe. Meslier a vécu toute sa vie dans une région où les chasses aux sorcières avaient marqué les esprits. En ce temps-là, on ne rigolait pas non plus avec les hérétiques. Toute critique de la religion sentait le fagot. La mode des bûchers dura un bon moment dans notre douce France. On se souvient du supplice infligé au Chevalier de la Barre en 1766. On l’avait exécuté après d’horribles tortures parce qu’il avait refusé de se prosterner devant une procession religieuse.

De son vivant, Meslier ne fit pas trop parler de lui. On lui reprochait juste de vivre avec une jeune servante de 23 ans. « C’est une cousine germaine ! », rétorquait-il. La tenue de son église laissait aussi un peu à désirer : pas de chaire ni d’ornements, des bancs pour les pauvres qui auraient dû rester debout… Dans ses prêches, il malmenait un peu la noblesse locale qui alla se plaindre à l’archevêque. Rien de dramatique. La servante fut remerciée et le curé se retrouva pendant un mois derrière les murs du séminaire de Reims. La sanction aurait pu être plus méchante.

C’est après sa mort que Meslier va faire parler de lui. Les conditions de son décès, d’abord, ne plurent guère. Le curé de 65 ans gisait sur son lit. Près de lui, deux lettres adressées à des prêtres du voisinage. Meslier reniait la religion. « J’ai mille fois maudit dans le cœur les vaines et abusives fonctions de votre vain ministère », leur disait-il avant de signaler l’existence d’un copieux manuscrit du même acabit déposé au greffe de la justice. Un testament qui rimait avec bombe à retardement.

Le corps du curé apostat suicidé n’eut bien sûr pas les faveurs de la terre sacrée du cimetière. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais les prières de ceux qui espéraient voir disparaître les écrits de Meslier ne furent pas exaucées. Cinq ans après sa mort, la sulfureuse confession était vendue à prix d’or dans Paris. C’est là que l’on a pu mesurer l’exceptionnelle entreprise du petit curé de campagne. Dans la journée, impénétrable, il ravalait sa rage. La nuit venue, il maudissait les hommes, les puissants mais aussi les faibles, les superstitieux qui pliaient l’échine devant les seigneurs et qui n’étaient pas dépourvus de cruauté eux-mêmes.

Frôlant la schizophrénie, le curé voulait en finir avec Dieu, avec l’Église, avec les imposteurs, avec les nobles et avec les rois.

Au-delà du brûlot athée, Meslier se mit à écrire un essai philosophique si explosif qu’il ne put envisager, malgré son envie de bousculer ses ouailles, qu’une publication post-mortem… un long chantier où il poussa dans leurs derniers retranchements les fondements de la société d’alors.

À la plume, à la lueur des chandelles, il réfuta les penseurs qui voyaient dans la nature la main divine. Nuit après nuit, l’insomniaque dénonçait les fables et les inepties de la religion avec la trouille de ne pas avoir le temps de finir son œuvre. Sous Louis XIV, l’espérance de vie dépassait rarement la quarantaine.

Après diverses lectures (Fénelon, Montaigne, Descartes, La Boétie, etc.) et travaux préparatoires, Meslier commença la rédaction de son Mémoire vers 1722. Il en rédigera plusieurs exemplaires. Trois copies, comptant de 311 à 358 pages, sont conservées à la Bibliothèque nationale. Avec entrain, Thierry Guilabert nous offre un best-off de citations croustillantes qui cassent l’Ancien et le Nouveau Testament, les doctrines, les idoles de plâtre, démontrent l’inexistence de Dieu et expliquent comment l’Église favorise la tyrannie des grands au préjudice des pauvres. Pour Meslier, les ecclésiastiques sont inutiles et dangereux. Ventripotents, ils se nourrissent du travail du peuple. Qu’on les mette au travail pour le bien commun ! Inutiles aussi « les gens d’injustice comme sont les sergents, les procureurs, les avocats, les greffiers, les notaires, les conseillers… », ces corrompus qui ne vivent que du pillage du peuple.

Le radicalisme de Meslier annonce avec pas mal de longueurs d’avance les discours anarchistes sur la liberté, la propriété, l’action révolutionnaire… et l’internationalisme. « Unissez-vous donc, peuples ! », lance-t-il d’outre-tombe. Venant d’un cureton, ça ne manque pas de sel. Pourtant, les biographes ne se sont pas bousculés au portillon. Il a fallu attendre 1965, avec les travaux de Maurice Dommanget, pour en savoir plus sur la vie et l’œuvre de Meslier. Voltaire était sur le coup avant, mais, opposé à l’athéisme et au communisme libertaire du prêtre, il a purgé le texte original pour le plier à ses desseins.

Ce n’est qu’en 1864 qu’une édition authentique fut disponible. Libre penseur, matérialiste, communiste primitif, féministe, partisan de l’amour libre, défenseur du droit animal…, Jean Meslier était aussi à sa façon un apôtre de l’action directe : « Où sont ces généreux meurtriers des Tyrans que l’on a vus dans les siècles passés. Que ne vivent-ils encore de nos jours pour assommer ou pour poignarder tous ces détestables monstres et ennemis du genre humain, et pour délivrer par ce moyen les peuples de leur tyrannie. » Des curés comme ça, franchement, ça mérite le détour.

Source : http://www.monde-libertaire.fr/port...

Paco

Sitographie

https://archive.org/stream/letestam...

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