Privatisation de La Poste : interview d’Olivier Besancenot

lundi 14 juillet 2008.
 

Que vous inspire l’annonce de la transformation de La Poste en société anonyme ?

On le pressentait, on était déjà dans un processus de privatisation depuis plusieurs mois. La Poste fonctionne déjà par bien des aspects comme une entreprise privée. On nous demande de faire du chiffre et du rendement, on appelle désormais son receveur "manager" et on ne parle surtout plus "d’usager" mais "de client"...

Ça n’enlève rien à la violence de l’annonce de l’ouverture du capital, qui n’est rien d’autre qu’une privatisation déguisée, sous couvert d’une adaptation législative à la directive européenne qui devrait entrer en vigueur au premier semestre 2009. C’est une vraie déclaration de guerre, et notre riposte doit être à la hauteur.

Mais comment échapper aux contraintes imposées par une directive européenne ?

Les organisations syndicales demandent depuis longtemps la réalisation d’études d’impact sur le bilan des libéralisations de services publics en cours. Ce bilan est catastrophique en Europe. On se rend compte que ça ne fonctionne pas et que ça ne satisfait que quelques actionnaires au détriment des usagers.

Ça s’est partout concrétisé par des dizaines de milliers de suppressions d’emplois, mais aussi pas une augmentation de tarif. En Suède, la privatisation de la poste a entraîné la suppression de 25% des effectifs et 70% d’augmentation des tarifs. Aujourd’hui, l’action de la Deutsche Post se casse la gueule.

Comment aller contre ?

En plus de ne pas marcher, c’est une stratégie complètement hypocrite. Ce n’est pas une loi invisible du marché qui s’abat sur l’Europe, mais des décisions purement politiques. En France, La Poste est concurrencée par de nombreuses entreprises publiques ou ex-entreprises publiques qui se déguisent en opérateurs privés à l’étranger. Derrière DHL, il y a la poste allemande. Et La Poste fait exactement la même chose hors de France. Cela signifie qu’on pourrait très bien, par le biais d’une nouvelle directive courageuse, envisager une coordination des divers acteurs publics de l’Union pour mettre en œuvre un service public postal européen.

Comment voyez-vous l’opposition à cette réforme ?

Il va se nouer dans les prochains jours toute une série de contacts pour mener à bien une reconquête globale de tous les services publics menacés de privatisation. Pour parler clairement, les postiers seuls n’arriveront pas à s’opposer, mais auront besoin d’une convergence avec la population et du combat des élus des petites communes et des quartiers populaires, car ce sont eux qui sont dans le collimateur.

Sur les 12.000 bureaux de postes qui fonctionnent à plein aujourd’hui, il est évident qu’il y en aura la moitié qui seront fermés. Enfin, on a besoin de faire aussi converger ce combat avec celui engagé contre la privatisation du service public hospitalier. On doit être capable de mener cette grande lutte de défense des services publics, et même de l’étendre à des domaines comme le quatrième âge, la petite enfance ou la gestion de l’eau.

Ni la poste ni la santé ne doivent être cotées en bourse. Car il va y avoir des conséquences très concrètes pour les usagers. Par exemple, la péréquation tarifaire n’aura plus lieu d’être, puisque d’un point de vue rentable, c’est complètement absurde.

Les engagements pris dans le cadre du contrat de service public signé par La Poste et l’Etat d’ici un mois ne vous semblent pas suffisants ?

[Pour mémoire, assurer le courrier 6 jours sur sept, assurer la continuité territoriale du service public, garantir l’accessibilité bancaire, assurer le maintien du statut de fonctionnaire]

Il s’agit là du "service universel" tel qu’il est défini par l’Europe, mais qui n’est rien d’autre en réalité qu’un rabais de service public, le minimum de prestations. En réalité, on aura un système à deux vitesses, avec d’un côté la Banque postale qui sera « la banque des pauvres », et de l’autre une organisation de placements financiers.

Tout ça n’est qu’un grand bluff. Aujourd’hui, il y a des "opérateurs" qui font exactement le même boulot que moi, qui sont habillés exactement comme moi avec le même vélo, mais qui travaillent pour Adrexo. En fait, on sera bientôt autant à faire le même boulot, mais dans plusieurs entreprises différentes. Et sous la règle du moins-disant social.

Que pensez-vous de la proposition avancée par certains sénateurs de réorganiser les postes en "guichet unique allant au-delà des services postaux" dans les campagnes ?

Je n’ai pas lu dans le détail ce type de proposition. Mais c’est aussi d’une hypocrisie totale. Les postiers n’ont pas attendu les sénateurs pour apporter de l’argent, du pain ou des paquets de cigarettes aux usagers, notamment les personnes âgées. Et certains se font même sanctionner pour ça, comme dans la Creuse. Mais lors de la canicule, on a utilisé les postiers pour faire du recensement de "petits vieux". Et cette prestation était facturée par La Poste auprès des collectivités territoriales.

Derrière cette question de la polyvalence, on va demander aux commerçants d’assurer le travail d’un bureau de poste dans les endroits où il sera fermé. Je n’ai rien contre les commerçants, mais ils n’assureront pas des prestations comme le suivi du courrier ou les retraits bancaires. Et puis, sans en faire des tartines, on prête un serment de probité et on ne divulguera jamais le fait qu’un tel est abonné à Playboy ou un autre à Rouge ! Idem pour le secret bancaire.

« L’intéressement, c’est de la carotte »

En tant que postier, quel regard portez-vous sur l’évolution des dernières années ?

J’y suis rentré il y a pratiquement 10 ans, et c’est déjà le jour et la nuit. Un exemple tout bête : à mon arrivée, on accompagnait un titulaire pour faire deux à trois jours de "doublure", afin d’apprendre le métier, de savoir où sont les boîtes aux lettres… Cela n’existe plus et, pire, on demande aujourd’hui à des "rouleurs", c’est-à-dire des remplaçants, de faire des tournées "à découvert", c’est-à-dire qui ne sont pas assurées par manque de personnel depuis une semaine, sans aucune journée de "doublure"…

Aujourd’hui, il y a des "rouleurs" qui embauchent à 6h et qui reviennent à 16 heures et quand ils voient leurs payes à la fin du mois, ils démissionnent. Et puis je vois aussi les prestations qu’on n’assure plus. Le "J+1", c’est-à-dire la certitude de recevoir son courrier le lendemain du jour où il a été posté, n’est plus garanti. Car il n’y a plus assez d’employés et qu’on a fermé la moitié des centres de tri, pour les "reconcentrer".

A l’intérieur de la boîte, on a établi des priorités. Le "cedex", c’est-à-dire les entreprises, passe en premier, devant le "ménage", c’est-à-dire les particuliers, et "l’import", c’est-à-dire l’étranger.

Qu’attendez-vous du PS sur cette mobilisation ?

On va déjà les écouter, pour savoir ce qu’ils ont à dire sur le sujet. C’est évidemment une mobilisation de toute la gauche sociale. Mais je pense que c’est par le bas que ça va prendre, au niveau des maires de milieux ruraux, au-delà de la gauche. On a tous les ingrédients pour avoir un mouvement populaire, pas que de salariés, qui peut même aller jusqu’à la désobéissance. Si l’Etat s’entête à enlever les services publics à certains, pourquoi paieraient-ils des impôts pour les financer ?

Il est évoqué dans la réforme des mécanismes d’intéressements des salariés. Dans certaines réunions du NPA, on a vu des oreilles attentives à ce type de propositions, comme "réappropriation de l’entreprise". Qu’en pensez-vous ?

C’est une carotte qui développe les inégalités de salaires entre les gens. Les professions les mieux rémunérées en profitent plus et plus vite que les autres au sein d’une entreprise. Et c’est un moyen de ne pas augmenter les salaires. C’est vrai que c’est enveloppé d’une reprise de notre discours sur le partage des gains.

Que répondez-vous à Sarkozy quand il déclare qu’on « n’entend même plus les grèves » ?

Que ça sent bon l’arrogance de classe. Cela revient à dire : « Je vous marche dessus, je vous le dis bien en face et je vais continuer à le faire. » Mais peut-être qu’il surestime un peu trop son rapport de force. Quand on commence à parler fort, ce n’est pas forcément une preuve de force. Pour le gouvernement, le plus gros n’est pas derrière, mais devant lui.

Interview fait par Stéphane Alliès, site Médiapart


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