La République doit réhabiliter la Commune !

dimanche 23 octobre 2016.
 

Réhabilitez la Commune, Monsieur le président  ! par Roger Martelli et Joël Ragonneau, coprésidents de l’association des Amies et Amis de la Commune de Paris 1871

Notre association mène depuis longtemps des actions publiques pour la réhabilitation de la Commune de Paris. Cette expérience unique de notre histoire sort peu à peu de la zone grise du dédain et de l’invisibilité. L’apposition de plaques et l’attribution de noms de rues, d’écoles ou d’édifices culturels commencent à lui redonner sa place au cœur de la mémoire nationale. Nous pensons qu’il est temps de franchir un nouveau seuil significatif.

On sait les souffrances qu’endura le peuple de Paris, de septembre 1870 à mai 1871. On connaît l’héroïsme dont il témoigna, la brutalité inouïe que l’on manifesta à son encontre. Des dizaines de milliers de morts, d’arrestations, de réclusions, de déportations et d’exils… Il fallut attendre de longues années pour que, enfin, les républicains se décidassent à lever les condamnations par une loi d’amnistie, partielle (3 mars 1879) puis totale (11 juillet 1880). Il s’agissait, comme le disait alors Léon Gambetta, de « mettre la pierre tumulaire de l’oubli sur les crimes et les vestiges de la Commune ». Les survivants de la Commune pouvaient espérer une réhabilitation  ; on leur accorda l’amnésie et l’oubli…

Cent quarante-cinq ans après l’événement, cette amnésie n’est plus tolérable. Dans une période de déstabilisation nationale, devant le désastre de la guerre franco-prussienne de 1870, après vingt années de régime autoritaire napoléonien, la Commune de Paris tenta une expérience originale de gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Elle essaya de consolider pour l’avenir une République alors fragile, à un moment où les antirépublicains dominaient numériquement la représentation nationale. Elle voulut, dans l’esprit de 1792-1794 et de 1848, raccorder l’idéal démocratique et la République « sociale », la liberté sanctionnée par le suffrage universel et la « Sainte Égalité » des sans-culottes. Elle s’y essaya dans un laps de temps très court, alors que les combats occupaient l’essentiel des forces matérielles et des énergies.

Cette expérience a marqué l’histoire française et républicaine. Elle est un « chaînon manquant » entre l’idéal de 1789-1793 et les lendemains de la Libération. Elle fut à la base de l’expansion du mouvement ouvrier. Elle servit, directement ou indirectement, d’inspiration pour la rédaction du programme commun de la Résistance, au printemps de 1944. Elle est, avec l’impulsion populaire de 1789, l’un des événements qui a le plus fortement marqué toute l’histoire humaine, et pas seulement celle de la France.

Et pourtant, l’amnistie de 1880 annula la peine, mais n’effaça pas la condamnation. Aux yeux de l’histoire officielle de la France, les communards sont restés coupables, puisque la justice légale les a considérés comme tels. On sait que l’histoire est cruelle. Elle est d’abord celle des vainqueurs. Or, par-delà leurs différences, les historiens savent aujourd’hui qu’il est pour le moins hasardeux de faire reporter la faute des drames de la guerre civile sur les communards.

Tous les responsables de la Commune ne souhaitaient sans doute pas un compromis avec Versailles, avant que la sauvagerie de la guerre civile n’emporte tout. Mais la plupart ne voulaient pas d’un conflit dont ils devinaient la dureté, après des mois de siège éprouvant qui meurtrirent Paris. De l’autre côté, à Versailles, quelques voix se firent certes entendre pour prôner la modération. Mais, à l’image du chef du pouvoir exécutif Adolphe Thiers, les plus nombreux voulaient, en châtiant Paris, faire un exemple pour la France entière. C’est donc la même autorité légale qui fit tout pour que l’affrontement eût lieu, qui organisa le massacre de milliers de Parisiens, qui impulsa la répression légale contre les communards, responsables « d’en haut » comme acteurs « d’en bas », puis qui refusa systématiquement de voter l’amnistie jusqu’en 1879. Quant aux responsables des massacres de Parisiens, pourtant non combattants pour un très grand nombre, ils ne furent jamais désavoués et, a fortiori, jamais déférés devant des juges.

Il y a déni de justice à maintenir encore aujourd’hui cette hypocrisie. Au moment où, à nouveau, la République vacille sur ses bases, perd de son épaisseur sociale et fait douter de sa force même dans l’esprit de nombreux citoyennes et citoyens désorientés, il est plus important que jamais de revenir sur ce déni.

Ainsi, il serait bon que les autorités officielles de la République, exécutives comme législatives, corrigent l’amnésie officielle que leurs prédécesseurs ont décidée et que d’autres ont continuée. Il ne s’agit plus de décision de portée judiciaire, le temps ayant fait disparaître celles et ceux qui pouvaient bénéficier d’une révision ou d’une réhabilitation individuelle. Il s’agit seulement, pour cet événement majeur de notre histoire contemporaine, de faire ce que d’autres responsables firent, en reconnaissant ces crimes qui accompagnèrent la colonisation ou la tache indélébile des politiques antisémites françaises de 1940 à 1944.

Nous souhaitons que les autorités républicaines disent solennellement qu’elles ne peuvent couvrir les erreurs ou les fautes de celles qui les précédèrent. Rien ne peut justifier la répression massive qui s’abattit sur les combattants de la Commune. Fût-ce avec retard, la République réhabilitera donc sans attendre la Commune et ses acteurs, connus ou anonymes. Dans le même moment, elle affirmera que la Commune de Paris de 1871 est une composante à part entière de l’histoire nationale. Des actes concrets dans l’espace public, notamment dans les institutions républicaines comme l’école, mettront en œuvre et afficheront cette réinsertion.

Étant doté des pouvoirs que lui accorde la Constitution de 1958, le plus haut magistrat de l’État se devrait, à nos yeux, d’agir en ce sens. C’est pourquoi nous nous tournons vers vous pour vous demander de le faire. Nous espérons que vous voudrez bien donner suite à cette requête et vous prions d’agréer, Monsieur le président de la République, l’expression de notre très haute considération.


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