Pour la « Reconnaissance des crimes coloniaux commis par la France »

jeudi 31 mai 2018.
 

A) Appel pour la « Reconnaissance des crimes coloniaux commis par la France »

Populations « indigènes » soumises au travail forcé, dispositions racistes et d’exception – codes de l’indigénat, internement administratif, responsabilité collective, etc… - imposées aux colonisés qui, dans leur écrasante majorité, n’étaient pas considérés comme des citoyens mais comme des « sujets français » jusqu’à la Libération, déportations, exécutions sommaires et massacres ; autant de pratiques qui ont été constitutives de la construction et de la défense de l’empire colonial français. Les massacres de Thiaroye au Sénégal (décembre 1944), ceux de Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie, qui débutent le 8 mai 1945 et leurs dizaines de milliers de morts, en témoignent sinistrement.

Il y a soixante-dix ans, au mois de mars 1947, la guerre d’Indochine et l’insurrection malgache débutaient. Le 1er novembre 1954, un conflit long et sanglant commençait en Algérie. Entre 1945 et 1962, la France a donc été presque constamment engagée dans des opérations militaires coloniales qui se sont soldées par près d’un million de morts. N’oublions pas la guerre longtemps occultée menée au Cameroun (1955-1971) et les répressions sanglantes des militants guadeloupéens et kanaks.

Si la loi Taubira et les initiatives de la société civile ont permis un début de reconnaissance sociale et politique de l’esclavage et de la traite négrière, il n’en est pas de même pour les crimes commis avant ou après la Seconde Guerre mondiale. Cette situation est inacceptable, car elle ajoute aux massacres, l’outrage aux victimes, à leurs descendants et leurs proches.

Aussi, nous demandons aux plus hautes autorités de l’Etat et aux candidat-e-s à l’élection présidentielle qu’ils se prononcent pour la création d’un lieu du souvenir à la mémoire de celles et ceux qui furent assassinés, l’ouverture de toutes les archives relatives à ces différents événements et la reconnaissance de ces crimes de guerre et de ces crimes d’Etat. C’est ainsi que justice sera rendue aux héritiers de l’immigration coloniale et post-coloniale, et que les discriminations mémorielles qui les affectent toujours pourront être combattues. Enfin, de tels actes permettront à tous les Français-e-s de mieux connaître cette histoire singulière.

Achcar, Gilbert, sociologue. Alacarz, Nadia, écrivaine. Amar, Habib, écrivain. Aminot. Louis, co-président de Nautilus21. Aouina, Hamadi, artiste groupe Zyriab. Badie, Bertrand, politiste. Bantigny, Ludivine, historienne. Barbier, Michèle, présidente de la LDH Saint-Pons Hauts Cantons. Bavais, Francine, citoyenne du monde. Benaissa, Yourid, syndicaliste. Benatouil, Maxime, co-président de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP). Bennaï, Farid, membre du réseau Reprenons l’initiative contre les politiques de racialisation. Besancenot, Olivier, porte-parole du NPA. Bihr, Alain, sociologue. Bouamama, Saïd, sociologue et membre du FUIQP. Bouffartigue, Maylis, directrice de la Compagnie Monsieur Madame. Bouillon, Florence, sociologue. Boumediene, Alima, avocate. Braun, Henri, avocat. Briant, Jo, militant associatif. Brossat, Ian, PCF, maire-adjoint et élu du 18e arrondissement. Brossat, Alain, philosophe. Bruley, Bernard, (Fédération Anarchiste). Brun, François, militant NPA. Brunet, Philippe, sociologue. Boutault, Jacques, maire du 2e arrondissement de Paris, (Eelv). Candas, Viviane, cinéaste. Charansonnet, Alexis, historien. Clerval, Anne, géographe. Cluzel, Agnès, Mrap. Combes, Maxime, économiste, membre d’ATTAC-France. Cours-Salies, Pierre, sociologue. Daeninckx, Didier, écrivain. Dayan-Herzbrun, Sonia, sociologue. Desjardin, Alain, président de l’association Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre (4ACG). Delphy, Christine, sociologue. Deltombe, Thomas, éditeur. Djardem, Fafia, psychanalyste. Domergue, Manuel, chercheur. Dreano, Bernard, président du CEDETIM. El Korso, Mohamed, professeur des Universités, (Algérie). Epsztajn, Didier, animateur du blog Entre les lignes. Entre les mots. Esquerre, Laurent, Alternative Libertaire. Farbiaz. Patrick Sortir du Colonialisme (SDC). Fassin, Eric, sociologue. Favre, Jean-Louis. Furon, Ferial, présidente de l’association Franco-Algériens Républicains Rassemblés (FARR). Ganem, Valérie, universitaire. Garcia, Marcela, sociologue. Gassa, Amelle, maire-adjointe en charge des affaires juridiques (Givors). Gaudichaud, Franck, historien. Geffrouais, Romain, enseignant d’histoire-géographie, Sud-Education, membre du BN du GFEN. Genestet, Vincent, consultant retraité. Gèze, François, éditeur. Grosdoy, Augustin, co-président du MRAP. Guichard, Serge, membre de l’Association de Soutien en Essonne aux Familles Roms. Hayat, Samuel, politiste. Hakima Houari, membre de l’association Malcom X. Hazemann, Yves, historien et journaliste. Hedna, Toufik, président de l’association Les Amis de l’Algérie (Rennes). Houdy, Philippe, physicien. Ivekovic, Rada, philosophe, Johsua, Samy, élu Front de Gauche, (Marseille). Journard, Robert, chercheur. Kahoul, Yamina, maire-adjointe au développement économique (Givors). Kaki, Mhamed, président de l’association Les Oranges. Khalfa, Pierre, co-président de la Fondation Copernic. Kipfer, Stefan, universitaire. Kodjo-Granvaux, Séverine, philosophe. Kupferstein, Daniel, réalisateur. Laffitte, Roland, chercheur indépendant. Lahmer, Annie, conseillère régionale Ile-de-France (Eelv). Laidoudi, Fahima, militante des Réseaux Interventions Réflexions Quartiers Populaires (RIRQP). Lallaoui, Mehdi, réalisateur. Lavignotte, Stéphane, théologien. Le Bigot, Brenda, géographe, Sud-Education. Le Cour Grandmaison, Olivier, universitaire. Le Maulf, Noëlle, conseillère municipale, Ville d’Ifs. Le Mignot, Renée, co-présidente du MRAP. Lesage, Jean-Yves, animateur du blog des Communistes libertaires de la CGT. Lowy, Elise, membre du bureau exécutif d’Eelv, déléguée aux relations internationales. Luste Boulbina, Seloua, philosophe. Maherzi, Aïcha, universitaire. Mahieux, Christian, cheminot syndicaliste. Mamère, Noël, député. Marlière, Philippe, politiste. Martelli, Roger, historien, co-directeur de Regards. Massiah, Gustavo, économiste. Mbembe, Achille, historien. Messaoudi, Samia, journaliste et responsable Au nom de la Mémoire. Meyer, Jean-Claude, membre du bureau national de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP). Meynier, Gilbert, historien. Mikou, Noufissa, universitaire retraitée. Monsillon, Gilles, Ensemble. Monville-De Cecco, Bénédicte, conseillère régionale Ile-de-France (Eelv). Morillas, Cindy, politiste. Nahori, Michèle, pédiatre. Natanson, Dominique, co-président de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP). Omani, Rania, artiste peintre. Oussedik, Fatma, sociologue. Pape, Elise, sociologue. Passevant, Christiane, Radio Libertaire. Pelletier, Willy, coordinateur général de la Fondation Copernic. Perreau Bezouille, Gérard, premier adjoint honoraire (Nanterre). Pfefferkorn, Roland, sociologue. Poupin, Christine, porte-parole du NPA. Prémel, Gérard, écrivain. Quintal, Yves, président de Egalité-Toulouse Mirail 31 et de Ecoles Tiers-Mondes 46. Raharimanana, Jean-Luc, écrivain. Riceputi, Fabrice, historien. Riot-Sarcey, Michèle, historienne. Rosevègue, André, UJFP Aquitaine. Rousset, Pierre, Europe Solidaire Sans Frontière (ESSF). Ruscio, Alain, historien. Sala-Molins, Lluis, professeur émérite de philosophie politique. Salakdji, Abdelhamid, président de la Fondation du 8 mai 1945 (Algérie). Salem, Jean, philosophe. Samary, Catherine, économiste. Senari, Ali, conseiller municipal (Givors). Sibony, Michèle, Union Juive Française pour la Paix (UJFP). P. Silberstein, Patrick, éditeur. Soncin, Jacques, journaliste, président de Fréquence Paris Plurielle (FPP). Spensky, Martine, historienne. Taraud, Christelle, historienne. Tarrit, Fabrice, co-président de Survie. Tatsitsa, Jacob, historien. Tin, Louis-Georges, président du CRAN. Tobner, Odile. Toulouse, Rémy, éditeur. Vanhoove, Jean-Paul, retraité. Vermeren, Pauline, philosophe. Vianna, Pedro, écrivain. Vollaire, Christiane, philosophe. Zemor, Olivia, présidente de CAPJO-EuroPalestine. Zimmer, Alfred, Mrap Strasbourg ,Debos, Marielle, politiste. Falquet, Jules, sociologue, Prunaud, Christine, PCF, sénatrice des Côtes d’Armor, Al-Matary Sarah, universitaire.

B) Entretien avec Olivier Le Cour Grandmaison sur cet appel 21 février 2017)

Le politologue Olivier Le Cour Grandmaison explique l’urgence de rendre justice aux héritiers de l’immigration coloniale et postcoloniale.

Pourquoi avez-vous lancé un appel pour la reconnaissance des crimes coloniaux commis par la France  ?

Olivier Le Cour Grandmaison Lors de la commémoration du 8 mai 1945, en 2016, il nous a semblé important de lancer un appel relatif à l’ensemble des crimes coloniaux pour qu’ils soient enfin reconnus et qu’on ne s’en tienne pas à des revendications fragmentaires. Cet appel rappelle tout d’abord les moyens employés pendant la période coloniale sous la IIIe République, et notamment la condition des «  indigènes  » comme sujets français, jusqu’en 1945. À ce titre, ils furent assujettis au travail forcé et à un certain nombre de dispositions d’exception. Certaines étaient rassemblées dans le Code de l’indigénat, aussi appelé «  code matraque  » en Algérie par lesdits sujets français. Aujourd’hui encore, pour beaucoup, la fin de la Seconde Guerre mondiale inaugure une période de paix. Or, après 1945, et contrairement à des chronologies oublieuses qui contribuent à entretenir le grand roman national, la France a presque constamment été en guerre dans ses colonies jusqu’au 19 mars 1962.

Comment expliquer les difficultés, sinon les réticences, de l’État français et du corps politique à reconnaître ces massacres  ?

Olivier Le Cour Grandmaison Depuis la loi du 23 février 2005, toujours en vigueur, la droite de gouvernement assume publiquement un discours de réhabilitation du passé colonial français. Cette loi scélérate établit une interprétation positive du passé colonial français. Elle a été le prologue d’un combat qui se poursuit encore. En témoigne le discours de François Fillon, au cours de l’université d’été de son courant, où il a vanté les «  mérites  » de la colonisation française. De même l’extrême droite. Quant à l’actuel chef de l’État, à son gouvernement et à la majorité qui les soutient, ils font preuve d’une pusillanimité qui ne se dément pas.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que faire vivre cette mémoire douloureuse contribuerait à une guerre des mémoires  ?

Olivier Le Cour Grandmaison La reconnaissance des crimes coloniaux mettra enfin un terme à ce qui est vécu par les héritiers de l’émigration coloniale et postcoloniale comme une discrimination mémorielle et commémorielle inacceptable. Contrairement à ceux qui affirment que cela contribue à relancer une guerre des mémoires, une telle reconnaissance permettra aux personnes concernées de voir leur passé singulier enfin publiquement reconnu. Relativement à ces questions, si l’on s’affranchit d’un tropisme hexagonal particulièrement aveuglant, on découvre que la France n’est pas le phare qui illumine le monde mais une bien faible lueur. La Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Canada, les États-Unis, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont tous, pour différents épisodes sanglants de leur passé colonial et conquérant, reconnu les torts terribles infligés aux populations autochtones. Parfois même, cette reconnaissance officielle s’est accompagnée de réparations financières accordées aux victimes. C’est le cas aux États-Unis et en Grande-Bretagne dernièrement où, à la suite d’un jugement prononcé en juin 2013, les victimes mau-mau des massacres perpétrés au Kenya par les Britanniques ont eu gain de cause devant la justice.

Quels sont les enjeux, pour la société française, d’une reconnaissance collective de ces crimes  ?

Olivier Le Cour Grandmaison Il y a en France plusieurs millions d’héritiers de l’émigration coloniale et postcoloniale, qu’ils soient français, algériens ou nationaux d’anciennes colonies. Pour beaucoup d’entre eux, ce passé colonial a parfois gravement et durablement affecté leur histoire personnelle et familiale. L’une des façons de rendre justice aux victimes du colonialisme et à leurs descendants, c’est de reconnaître publiquement les crimes commis.

Pourquoi est-ce si difficile en France  ?

Olivier Le Cour Grandmaison Le passé colonial implique au moins trois Républiques, la IIIe, la IVe et la Ve, ainsi que l’ensemble des forces politiques. La droite, la SFIO et, dans certains cas, aussi la direction du PCF, dont les députés ont voté, le 12 mars 1956, les pouvoirs spéciaux demandés par le socialiste Guy Mollet. Le retour sur ce passé colonial met à mal bien des mythologies nationales et partisanes.

Quels sont ces territoires où la guerre a continué après 1945  ?

Olivier Le Cour Grandmaison D’abord les terribles massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, qui débutent le 8 mai 1945. Outre des milices coloniales, l’ensemble des forces armées françaises sont impliquées. Bilan  : près de 35 000 morts. Il s’agit bien d’un crime d’État. Pour les autorités françaises, il s’agit de faire la démonstration qu’elles ne toléreront aucune velléité d’indépendance dans quelque territoire colonial que ce soit. Sétif est un signal sanglant adressé à la population algérienne et à l’ensemble des colonisés. À preuve les massacres de Haiphong en Indochine, en novembre 1946, puis ceux de Madagascar  : près de 80 000 morts. En juin 1954, la guerre d’Indochine s’achève, le 1er novembre, le conflit algérien débute. Entre 1945 et 1962, le nombre de morts dans les colonies est estimé à un million, soit plus que l’ensemble des civils, militaires et résistants français au cours de la Seconde Guerre mondiale (environ 600 000).

La façon dont on traite les jeunes Noirs et Arabes en France a-t-elle à voir avec ce passé colonial  ?

Olivier Le Cour Grandmaison Y compris après 1945, ceux que j’appelle les colonisés-émigrés ont été soumis à des dispositifs répressifs d’exception. Lors de la manifestation du 14 juillet 1953, six militants du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) sont tués par la police. En octobre 1961, les Français musulmans d’Algérie de Paris et de la banlieue se voient imposer un couvre-feu raciste décidé par le préfet Maurice Papon, avec l’aval du gouvernement de Michel Debré. Les massacres qui vont suivre, les rassemblements pacifiques organisés par le FLN témoignent là encore du recours à des violences extrêmes. Quant aux héritiers de l’immigration coloniale et postcoloniale aujourd’hui, les jeunes des quartiers populaires plus encore, ils sont en quelque sorte l’incarnation des classes pauvres et dangereuses du XXIe siècle, contre lesquelles les violences policières que l’on sait sont couramment employées. De plus, les pratiques policières dans les quartiers populaires – contrôles au faciès réitérés, humiliations et brutalités – tendent à établir une sorte d’état d’urgence permanent qui ne dit pas son nom mais dont l’objectif est bien est d’assigner les jeunes visés à leurs quartiers.

Entretien réalisé par Ixchel Delaporte, L’Humanité


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