23 janvier 1978 Enlèvement du baron Empain

jeudi 25 janvier 2024.
 

En janvier 1978, toute la presse s’en prend à l’extrême gauche qui aurait enlevé le baron Empain comme symbole du capitalisme sauvage et des licenciements. En fait, l’affaire était plus crapuleuse que politique.

1) Qui a enlevé le baron Empain ?

Le mardi 24 janvier 1978, au lendemain de l’enlèvement, le groupe radiophonique RTL reçoit un coup de téléphone revendiquant le rapt :

« Nous, Noyaux armés pour l’autonomie populaire, revendiquons l’enlèvement du baron Empain.

Nous exigeons la libération de nos camarades avant mercredi midi sinon nous tuerons le baron.

D’autres patrons suivront... »

Comme dans d’autres cas, le pouvoir, la police et les médias s’engagent en coeur sur la piste de l’extrême gauche, en particulier celle des groupes issus de l’ex-Gauche Prolétarienne.

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En fait, il s’agit d’une affaire criminelle ordinaire de rapt pour rançon.

Le groupe de ravisseurs comprend un proxénète marseillais et sa femme, les frères François et Alain Caillol, Georges Bertoncini dit « Joe le marseillais », son beau-frère Marc Le Gayan, Bernard Guillon et deux autres complices tués lors d’autres braquages à la même époque..

2) Emission de France 2 : Faites entrer l’accusé

https://www.dailymotion.com/video/x...

23 janvier 1978. Le baron Edouard-Jean Empain, héritier de la dynastie industrielle Empain-Schneider, est enlevé devant son domicile parisien, avenue Foch. Baron richissime au physique de play-boy, il est, à 41 ans, à la tête d’un empire colossal : pas moins de 300 sociétés, 150 000 employés et 22 milliards de chiffre d’affaires.

Après presque deux mois de détention, plusieurs tentatives de remise de rançon échouées et un auriculaire amputé, Empain est libéré le 24 mars 1978. Le baron découvre avec stupeur, à l’issue de son cauchemar, qu’il est loin d’être le héros d’une aventure infernale, mais bel et bien la victime fragile et banalisée d’un fait divers crapuleux.

Retour sur un dossier qui garde aujourd’hui encore sa part d’ombre.

Cet évènement a lieu dans un contexte international particulier. En effet en Italie les enlèvements crapuleux sont devenus un business ; en France le directeur général de Fiat France Luchiano Revelli-Beaumont est enlevé en avril 1977 -il est libéré après quatre-vingt-neuf jours de captivité contre une rançon ; en Allemagne le 5 septembre 1977 Hanns Martin Schleyer, président du patronat de la République fédérale d’Allemagne, est kidnappé avec brutalité à Cologne par la Fraction armée rouge (RAF), appelée aussi la bande à Baader. Sa libération est monnayée contre la libération de terroristes prisonniers, mais les négociations échouent et son corps est retrouvé dans une automobile à Mulhouse mi-octobre.

3) Une affaire plus crapuleuse que politique (Le Figaro)

LE FIGARO.- Pourquoi avoir attendu trente-trois ans pour sortir du silence ?

Alain CAILLOL.- Je devais la vérité à Empain. La rumeur a longtemps voulu que son rapt soit téléguidé par le monde politique ou celui des affaires car il a eu un effet d’aubaine pour certains. Par ailleurs, le baron a longtemps cherché l’endroit où il a été détenu. Il fallait lui apporter une réponse. D’autant que sa manière de s’être comporté pendant ses 63 jours de camping sauvage mérite mieux que le silence. Avec du recul, je pense que l’on s’est trompé de cible.

C’est-à-dire ?

Au départ, on voulait séquestrer Marcel Dassault. Mais il avait été enfermé dans un camp de concentration et il était hors de question que l’on nous assimile à des nazis. Après avoir aussi écarté à regret Rothschild de la liste car il était juif, on s’est mis à planquer devant le domicile de « Lili » Bettencourt, à Neuilly. Là encore, une partie de l’équipe a fait la grimace à l’idée d’amputer une femme et de gérer son hygiène. En fait, c’est la lecture du Canard enchaîné qui nous a désignés Empain : chaque semaine, il y était épinglé pour des histoires de licenciements massifs. À nos yeux, il faisait alors figure d’aristo contre-révolutionnaire. C’était un bon « client ».

Vous aviez demandé 80 millions de francs de rançon. Votre coup n’était donc pas que crapuleux ?

C’était une histoire de gros sous et de symbole. Empain était la caricature du capitaliste sauvage. On s’est dit qu’il fallait qu’il paie et qu’il connaisse à son tour des conditions très difficiles…

Pouvez-vous décrire les conditions de sa séquestration ?

Hyperdures, au milieu d’une galerie souterraine longue de plusieurs kilomètres, sans eau, ni chauffage. Enchaîné à la cheville pendant trente jours dans le noir et le silence absolu, Empain avait perdu toute notion du temps…

Et il y a aussi eu l’amputation de son doigt, exécutée par un geôlier tiré au sort…

Chaque détail du rapt avait été imaginé mais au dernier moment il a bien fallu désigner celui qui allait faire la sale besogne, à l’aide d’un massicot et d’une massette pendant son sommeil. On l’a joué à la courte paille. Si le sort m’avait désigné, je l’aurais fait. C’était de toute façon une décision collective…

Comment a réagi le baron Empain ?

En silence et de façon bluffante, comme si rien ne s’était passé. Pas une plainte, pas un cri, pas une crise de nerf. Il a fait preuve d’un courage et d’une dignité qui forcent le respect. Nous étions face à un homme, un homme debout.

Vos relations ont alors changé…

Tout à fait. Les gars savaient qu’il était chasseur et parlaient d’armes avec lui, mais aussi de voitures, de sport… On s’est trompé sur toute la ligne car Empain s’est conduit comme un brave type. En plus, il n’était pas aussi riche qu’on le pensait. En fait, l’affaire aurait pu être soldée en quatre jours car deux types de la Brink’s avaient mis 30 millions à notre disposition au lieu des 80 exigés. On a refusé de transiger par principe. Cela a été l’erreur de ma vie car j’aurais peut-être décroché en achetant un bel hôtel sur la Costa Brava et l’affaire ne se serait pas enlisée…

C’est-à-dire ?

Au bout de quelques jours de négociation, le baron a été lâché par son groupe et personne n’a plus voulu bouger, dans le milieu politique ou industriel, pour lui venir en aide. Il était citoyen belge, détenait dans ses mains les clés du nucléaire et n’était pas du sérail : sa disparition arrangeait pas mal de gens.

L’otage était devenu encombrant…

Oui, au point que l’on avait décidé de voter entre nous pour savoir si on devait lui laisser la vie sauve. Personnellement, j’avais voté sa mort car je pensais qu’il n’y avait pas d’autre solution. En tant qu’un des concepteurs de l’opération, je ne pouvais accepter d’avoir préparé le coup pendant un an et qu’on lui ait coupé un doigt pour rien. Mais quand il a été épargné au second tour de scrutin, le soulagement était général.

Vous avez des regrets ?

Je suis heureux de l’issue de cette histoire. Entre sa mort et les onze ans dont j’ai écopé, je vote pour mes onze ans derrière les barreaux. Empain ne méritait pas ce qu’il a enduré. Je l’ai revu deux fois : à ma sortie de prison en 1989, pour lui dire que je n’avais rien à voir avec les menaces qu’il continuait de recevoir. Puis il y a quelques jours, pour faire enfin la paix après la guerre qu’on lui a déclarée il y a plus de trente ans.


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