L’OTAN ET COMPAGNIE (par Jean-Luc Mélenchon)

mardi 7 avril 2009.
 

Avec la venue du président Obama à Strasbourg pour le sommet de l’OTAN et la capitulation sans condition devant l’empire que Nicolas Sarkozy a mis en scène avec le retour de la France dans le commandement intégré de l’alliance, les Français goûtent une forme oubliée de l’humiliation nationale. A Strasbourg les paranoïaques américains de la sécurité cadenassent la ville et parquent la population. On ne circule plus sans son badge. Tout le périmètre de la ville est bouclé. Les militaires américains font la pluie et le beau temps. Courrez dire à monsieur Ménard qu’on circulait plus librement en Chine pour les jeux olympiques ! C’est une vieille habitude de la superbe impériale des yankees ! Pour la venue de Clinton à Goré, au Sénégal, un comble, l’île entière avait été vidée de ses non résidents et les habitants réguliers avaient été contraints de rester enfermés chez eux. La semaine a été marquée fort opportunément aussi par quelques déclarations bellicistes des américains contre les chinois et la Chine dont le budget militaire "inquiète l’Asie". La cible promise de la vindicte future des faucons étatsuniens fait bien un peu rire les spécialistes mais on doit comprendre que l’accusation sans preuve n’est pas une science exacte. Dans cette ambiance le sommet de l’Otan doit conduire les consciences libres à se méfier plus que de coutume de la propagande officielle et de ses griots officieux. Ces lignes se proposent de distribuer quelques contre poisons.

L’EMPIRE EN MAJESTE

Si les États unis agitent à intervalle régulier l’image d’un ennemi opportunément invisible, sournois et tout puissant pour faire ses mauvais coups, c’est surtout une façon de justifier ce qui serait sans cela totalement insupportable dans l’opinion. Il s’agit d’empêcher la prise de conscience de la situation réelle. La situation est tellement incroyable qu’il y faut un décor tout aussi incroyable pour la faire oublier. Seul un ennemi de confort comme Ben Laden, opportunément insaisissable et magnifiquement imprévisible est à la hauteur des besoins de la propagande américaine. La vérité est ailleurs. Elle est inouïe. En fait la domination militaire des États-Unis est aujourd’hui totale. Elle est même sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Alors que les États-Unis ne comptent quasiment aucune nation ennemie dans le monde, leurs dépenses militaires sont égales à celles de tous les autres pays du monde réunis. Si l’on ajoute les dépenses de leurs alliés, on atteint le total pharamineux de 83% des budgets militaires mondiaux. C’est ce chiffre qu’il faut avoir à l’esprit quand on entend s’exprimer l’inquiétude des griots de l’atlantisme face au « réarmement » des Russes ou au « bond » des dépenses militaires des Chinois. Les chiffres réels sont consternants. Mais pas dans le sens de la propagande ! Voyons plutôt. Le budget militaire américain s’élève à 730 milliards de dollars. Celui de la Russie qui « organise son réarmement » atteint 70 milliards ! Celui de la Chine qui « inquiète l’Asie » est entre 100 et 120 milliards ! L’impact de l’existence d’un tel budget militaire sur la société américaine est considérable. Une masse considérable de militaires, fonctionnaires du Pentagone, intérêts industriels et financiers vivent de ce budget. Son maintien et son élargissement est une question vitale personnelle pour des dizaines de milliers de personnes. Donnons quelques chiffres. Il y a 735 bases militaires officielles dans le monde. Sans compter les bases secrètes, bien sûr. Ces bases sont réparties sur 130 pays. Elles sont situées sur les cinq continents. Cela représente 288 627 soldats stationnés hors du sol national. A cela s’ajoutent 221 700 militaires déployés en Irak et Afghanistan. Ce n’est pas tout. On doit y ajouter encore au moins 100 000 mercenaires, surtout en Irak. Car dorénavant, dans le cadre de la marchandisation générale, l’armée aussi fait l’objet de la libéralisation des activités des États Unis ! Au total cela fait donc 600 000 hommes à l’étranger ! Et tout ceci sans compter les agents de renseignement : 45 milliards de dollars, 100 000 hommes. En comparaison, les troupes françaises à l’étranger représentent environ 15 000 hommes, celles de la Grande-Bretagne 40 000 hommes. Et celle de la Chine ? Oui, combien de soldats chinois dont l’armée « inquiète l’Asie » hors de leur pays ? C’est simple. Zéro. Il n’y en a pas un. Nulle part ! Pas un ! Et les Russes qui « réarment » ? Quasiment rien également, à part quelques effectifs marginaux en Géorgie et dans le Caucase pour faire face aux agressions du dictateur Géorgien. Voila l’arrière plan réel des gesticulations sur le besoin de sécurité que satisferait l’OTAN. Il donne la mesure de l’abaissement auquel Nicolas Sarkozy accepte de soumettre la France sans aucune contre partie pour la paix du monde.

L’EMPIRE EN MOUVEMENT

De toutes les formes de la propagande, celle des bellicistes est toujours la plus difficile à contre battre. Les arguments qu’ils présentent sont le plus souvent entourés de flots d’incitations pulsionnelles qui parlent beaucoup au cerveau reptilien de chacun de ses auditeurs. L’arrière plan suggéré est toujours celui du massacre cruel des siens, innocentes victimes pantelantes, de la menace insaisissable qui surgit de l’obscurité où l’ennemi incompréhensible et barbare se complait, si étrange, si différent ! Le reproche est toujours celui de ne pas vouloir voir la menace en face, de se cacher derrière son petit doigt et ainsi de suite. En fin de parcours, bien sûr, tout récalcitrant est vu comme un suspect. Pourquoi refuse-t-il de voir ce qui tombe sous le sens ? C’est sans doute que le récalcitrant est naïf avec l’ennemi. A moins qu’il n’ait de la complaisance pour lui. A moins qu’il ne soit en fait son complice. Ou, pire, son agent stipendié. Quand on a commencé à me dire sur des plateaux de télé que j’étais un « ami de la Chine » à propos de mon opposition aux provocations du dalaï-lama et de Robert Ménard, j’ai bien compris tout de suite ce que cela voulait dire sans le dire. Certains de mes contradicteurs ne s’en cachaient pas hors caméras. Il ne faut pas croire que cela soit anecdotique. C’est la figure de base de l’esprit belliciste. Samuel Huntington, théoricien du « Choc de civilisations » fait fond sur cet instinct grégaire des violents quand ils affirment que les êtres humains ont « besoin de haïr » leurs concurrents quel que soit le domaine de cette concurrence. Les Etats unis d’Amérique multiplient les métaphores inclusives pour enrôler et lier leurs obligés. Le « monde libre », les « alliés », la « communauté internationale » sont les termes ordinaires de cet abus de langage destiné à tracer une frontière aussi évidente et bienfaisante que possible « entre eux et nous » comme dit Samuel Huntington. Sinon que faudrait-il dire ? La vérité est trop prosaïque, trop vulgaire. L’OTAN, est une alliance militaire. Mais c’est d’abord une lourde bureaucratie militaire. Des milliers de postes de commandements pour des milliers de militaires qui y font un parcours jalonné de primes de toutes sortes. A la fin de la guerre froide, cette bureaucratie, exact parallèle de celle qui parasitait l’économie soviétique a du inventer les raisons de sa survie. Les hommes de la sécurité nationale se sont répandus davantage encore que par le passé dans tous les rouages de l’appareil d’état nord américain. Les investissements de recherches, les conférences et les séminaires de la sécurité nationale en direction des intellectuels, journalistes et élites de tout rang aux États unis et dans le monde ont accéléré leur cadence, distribuant des flots d’argent plus ou moins propre. Les militaires sont aujourd’hui plus nombreux que jamais dans l’administration de Obama. Auparavant est intervenue l’affaire de l’attentat du 11 septembre qui a ouvert l’ère bénie pour eux de la paranoïa universelle permanente. Ce que nous avons sous les yeux est donc un empire intellectuellement et économiquement décadent, dont les élites et les relais de toutes natures sont sous l’influence croissante des militaires. Nicolas Sarkozy, l’américain de la vingt cinquième heure, nous a lié à son sort. Le retour de la France dans l’OTAN enterre aussi toute perspective de défense européenne indépendante. Ce n’est pas surprenant. Il y a une logique globale à l’œuvre. Elle passe par l’Europe actuelle. En effet en matière de défense, le traité de Lisbonne impose que « les engagements et la coopération » soient « conformes aux engagements souscrits au sein de OTAN qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de leur mise en œuvre. » (article 27 TUE). Exit donc toute défense européenne indépendante des États-Unis.

L’ALLIANCE NOUVELLE

L’alliance a donc bien survécu à la guerre froide. Mais bien sur c’est au moyen d’un double changement de nature. D’abord un changement de nature stratégique. L’alliance atlantique initiale était strictement défensive. On est passé au fil des révisions de concept stratégique à une alliance y compris à vocation préventive. C’est le concept qui a justifié l’injustifiable intervention en Irak. Ce glissement est évidemment un facteur d’instabilité. Il génère de lui-même des tensions avec tout pays qu’il n’inclut pas. C’est ce qu’on voit avec la tentative d’encerclement de la Russie qui pousse ce pays aux mesures de contre pressions militaires. C’est donc un concept formellement contraire aux principes de l’ONU qui vise au contraire à garantir la « sécurité collective ». Ensuite l’alliance a opéré un changement de signification géographique. D’une alliance « atlantique », « l’organisation du traité de l’atlantique nord » est passée à une alliance planétaire. Et quand on y regarde de près s’applique le vieil adage : « suivez le pipe line ». La ligne de front de l’OTAN est disposée en fonction des seuls intérêts stratégiques américains. Parmi ceux-ci évidemment leurs intérêts pétroliers. Car depuis vingt ans un grand retournement des conditions stratégiques s’est opéré. 60 % de la consommation de carburant des Etats unis est importée, contre 0 % avant 1971. Dès lors, dans ce nouveau dispositif, l’OTAN est intervenue continuellement « hors zone », loin de l’atlantique nord, c’est le moins qu’on puisse dire. Au Kosovo pour imposer la partition de l’ex Yougoslavie et mater la Russie. En Irak. En Afghanistan. A présent, les extensions aux anciens pays de l’est, comme l’a montré l’adhésion de la Bulgarie, Roumanie, Slovaquie et pays baltes en 2004 crée un nouveau contexte plus tendu encore. Cela va s’aggravant en Asie centrale avec le projet d’adhésion provocatrice de l’Ukraine et de la Géorgie. L’OTAN est désormais essentiellement utilisée par les États-Unis comme un instrument de rapport de force face au reste du monde, et notamment face à la Russie.

L’ABAISSEMENT DE LA FRANCE

L’intégration du commandement signifiera que les États-Majors de l’OTAN disposeront désormais d’une capacité d’engagement de certaines unités françaises, rendues directement inter opérables avec celles de l’alliance. Tirez en tout seuls les conclusions qui s’imposent a propos du matériel militaire, de sa conception, de ses décisions d’utilisation. Mais cela va plus loin que le disent quelques beaux parleurs qui veulent minimiser l’impact de la nouvelle situation. Aujourd’hui les officiers français qui participent aux structure de l’OTAN sont « insérés » et non pas « intégrés ». Nuance ! Cela signifie qu’ils continuent à obéir à une chaîne de commandement strictement française. Ce qui ne sera plus le cas pour une partie d’entre eux. La suite logique de cette réintégration est l’ouverture de bases militaires américaines en France. Leur fermeture avait été la conséquence logique du retrait de 1966. Actuellement, les ouvertures de telles bases se multiplient dans tous les pays qui intègrent l’alliance. On n’a donc pas fini de manifester dans notre pays contre la présence de troupes étrangères ! Enfin signalons pour les naïfs qui annoncent des économies d’échelle liées à l’intégration du dispositif français que c’est tout le contraire qui s’annonce. L’appartenance de la France à l’OTAN a déjà un coût : plus de 100 millions d’euros par an. Le surcoût lié à la réintégration du commandement militaire pourrait atteindre les 70 millions par an. Cela sera une lourde charge pour la France. De plus, plusieurs centaines d’officiers seront à mobiliser en plus dans les commandements OTAN. Tant mieux pour leur paye mais ce n’est pas le plus important on en conviendra. Personne ne le dit mais ce sera au détriment des capacités opérationnelles déjà actuellement limitées de l’armée française. Et tout cela pourquoi ? Quel bénéfice notre pays pense-t-il tirer de tout cela ? Il n’y en a pas. Mais bien sûr n’est-ce pas là faire preuve de naïveté ? N’est-ce pas déjà montrer une certaine complaisance avec les ennemis potentiels quoi qu’inconnaissables aujourd’hui ?


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