"La gauche de gauche ne s’est pas montrée à la hauteur de l’enjeu. Il y avait pourtant une opportunité historique."

dimanche 17 mai 2009.
 

Interview de François Ruffin

Pourquoi cette alliance n’a pas pu se réaliser ?

Je pense que c’est le résultat de tactiques internes. La gauche de gauche ne s’est pas montrée à la hauteur de l’enjeu. Il y avait pourtant une opportunité historique, avec la possibilité de rebondir sur le 29 mai 2005, de réaffirmer l’opposition à l’Europe du libre-échange tout en pointant la crise actuelle. Montrer que cette crise, cette impasse, résulte du libre-échange. C’est un discours crédible qui aurait séduit. "La gauche de gauche ne s’est pas montrée à la hauteur de l’enjeu. Il y avait pourtant une opportunité historique."

Au fond, je pense que ces formations prouvent leur manque de maturité en agissant ainsi. Il n’y a jamais eu de climat aussi favorable à leur discours, et pourtant les scores risquent d’être limités. Pour prendre un exemple historique : à la veille de 1789, quand ils sont arrivés aux États Généraux, Mirabeau, Brissot, Danton et Robespierre ont commencé par marcher ensemble, avant de s’opposer plus tard ; s’ils avaient fait l’inverse, 1789 n’aurait jamais eu lieu. Il me semble que si, avant même la première marche politique, on n’arrive pas à trouver un terrain d’entente, c’est mal barré. En face, il y a une machine de guerre : ils ont les entreprises et les banques, les médias, l’Elysée, l’assemblée, le Sénat… Si on veut leur rentrer dedans, il faut construire une force crédible. Ce n’est pas le cas cette fois-ci.

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Il me semble que si, avant même la première marche politique, on n’arrive pas à trouver un terrain d’entente, c’est mal barré. En face, il y a une machine de guerre : ils ont les entreprises et les banques, les médias, l’Elysée, l’assemblée, le Sénat… Si on veut leur rentrer dedans, il faut construire une force crédible. Ce n’est pas le cas cette fois-ci.

Ils ne vont donc pas être « punis » ?

Il y a de bonnes chances pour qu’ils ne le soient pas. Ceci dit, je pense que se mobiliser de manière marginale peut être utile. Même les petits journaux et les petites réunions servent à quelque chose. Ça s’est vérifié dans le passé : la formation de la classe ouvrière anglaise au 19e ou l’avancée des idées politiques en France au 20e siècle se sont faites par petites étapes. Rappeler que le vote du 29 mai n’a pas été oublié permet de maintenir la flamme allumé. Et un jour, quand il y aura une circonstance historique, cette petite flamme pourra se transformer en incendie.

Tu penses que l’Europe sociale reste une possibilité ?

Non. Si l’Europe sociale est imaginable, ce n’est pas sur les bases de l’Union européenne. Pour exemple, je me suis récemment livré à une généalogie des traités européens pour retracer la genèse de cette idée de libre-circulation des capitaux - y compris avec les pays-tiers - qui m’avait le plus choqué dans le Traité constitutionnel de 2005. Et bien, ça remonte au traité de Rome de 1957 : le vers était déjà dans le fruit à cette époque. Maurice Allais, que je citais tout à l’heure, le remarque également : « Toute la construction européenne et tous les traités relatifs à l’économie internationale (GATT, OCDE, etc.) ont été viciés à leur base par une proposition enseignée et admise sans discussion dans toutes les universités américaines – et à leur suite dans toutes les universités du monde entier : "Le fonctionnement libre et spontané des marchés conduit à une allocation optimale des ressources." »

Bref, le Traité de Rome proclamait déjà la toute-puissance du marché. C’est pour ça que si on veut une Europe sociale, il faut demander des fondements complètement neufs.


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