Ensemble pour changer de gauche (Manifeste de Gauche Unitaire)

jeudi 2 juillet 2009.
 

NOUS SOMMES entrés dans une ère de grands bouleversements, de crises aiguës, d’affrontements majeurs, de réorganisations globales du système économique et des relations internationales, de reclassements politiques fondamentaux.

Le cyclone financier et l’effondrement de l’économie casino, qui prévalent depuis l’été 2008 sur l’ensemble de la planète, confrontent l’humanité à d’authentiques enjeux de civilisation. Hélas, le mouvement ouvrier est sorti des tragédies et défaites du siècle passé en proie à la désorientation. Face à des droites ayant su trouver le chemin de leur ressourcement idéologique à l’occasion de la contre-révolution libérale engagée dès le début des années 1980, les concepts de socialisme, de communisme, de changement radical de société se trouvent mis en doute dans les esprits. Tout un pan de la gauche, autour de la social-démocratie historique, y a trouvé le prétexte à son renoncement définitif à toute perspective transformatrice et à sa rupture avec l’héritage des combats passés pour l’émancipation humaine.

La crise qu’affronte le capitalisme a au moins le mérite de remettre les pendules à l’heure. La domination de la finance et la transnationalisation du capital n’ont nullement débouché sur une période de prospérité, de libération des individus, de paix. Le mythe d’une « fin de l’histoire », qu’était censée favoriser l’autorégulation des marchés, a fait long feu. Les inégalités flambent comme jamais, des zones entières du globe sombrent dans le chaos, le spectre plane d’un désastre écologique sans précédent, les foyers de guerre se multiplient dès lors que multinationales et États se livrent une concurrence acharnée pour la conquête de débouchés rentables et un nouveau partage du monde.

Démentant les pronostics des idéologues du nouveau capitalisme, la lutte des classes hante de nouveau les élites dirigeantes, des États- Unis à la Chine, de l’Europe à l’Amérique latine… Pour l’emploi, pour les salaires, pour les retraites, pour une vie digne, pour l’égalité, de grands affrontements se nouent sur tous les continents, et tout particulièrement au sein de la vieille Europe.

L’heure est à la refondation d’une perspective de libération pour le monde du travail, à l’élaboration d’un projet tirant lucidement le bilan des expériences passées et s’appuyant sur les potentialités prometteuses qui surgissent. Dit autrement, l’urgence est à la reconstruction d’une gauche digne de ce nom et à la création d’outils adaptés pour y parvenir.

En France, la bataille référendaire de 2005 contre le traité constitutionnel européen, qui gravait dans le marbre des politiques dont la faillite s’avère désormais patente, a démontré qu’une autre gauche pouvait voir le jour, qu’il lui était possible de gagner une majorité au sein du peuple de gauche. Elle a prouvé que l’orientation d’accompagnement du libéral-capitalisme, à laquelle s’est entièrement voué le Parti socialiste, pouvait être battue. Depuis, bien que les forces engagées dans la campagne du « non » antilibéral n’aient pas su trouver le chemin de leur unité pour les échéances électorales de 2007, l’apparition du Parti de gauche, ou encore la création du Nouveau Parti anticapitaliste, ont souligné davantage à quel point était posée la question d’une nouvelle représentation politique pour les travailleurs. D’une force politique rassemblant, sur un projet de rupture, l’ensemble des formations, courants et militants voulant offrir aux classes populaires, à la jeunesse, au mouvement social, le correspondant politique qui leur fait si cruellement défaut. D’une organisation, qui par sa surface militante et son implantation, la synthèse qu’elle favoriserait du meilleur des traditions du mouvement ouvrier serait à même de changer la donne politique, à gauche et dans le pays. D’un grand parti, qui puisse porter avec force et crédibilité l’ambition d’un socialisme démocratique adapté à la nouvelle époque, ouvrant la voie à une authentique alternative de société.

De semblables processus sont en gestation un peu partout, notamment en divers pays de l’Union européenne. Le chemin qui conduit à une réorganisation d’ensemble de la gauche et du mouvement ouvrier n’est évidemment pas simple. Il convient, en effet, de surmonter le poids des défaites antérieures, du désarroi que celles-ci ont engendré, des divisions qui opposent entre elles les diverses composantes de la gauche de transformation sociale et écologique. Une chose se confirme néanmoins, jour après jour : aucune organisation, à elle seule, ne saurait se prétendre le creuset d’une réponse crédible à gauche.

Pour dépasser pas à pas tous les obstacles, il convient donc de travailler dans l’immédiat à la mise en place d’un front politique anticapitaliste et antilibéral, permettant à toutes les forces disponibles de répondre en commun aux urgences du moment, de tester à la chaleur de l’expérience pratique la réalité de leurs convergences et de leurs différences.

Telle est la démarche de Gauche unitaire. Créée en mars 2009, à l’initiative de militantes et de militants de l’ex-courant Unir de la LCR et de la sensibilité unitaire du Nouveau Parti anticapitaliste, Gauche unitaire récuse les logiques de division de la gauche de gauche, dont celle à laquelle cède la direction du NPA. Gauche unitaire s’est engagée dans le Front de gauche pour les élections européennes de juin 2009.

lA CRISE qui frappe le mode d’accumulation du capital, dominant depuis trois décennies, s’avère historique, systémique, durable, inédite depuis la Grande Dépression des années 1930. Elle se révèle tout à la fois économique, financière, sociale, écologique, alimentaire… Elle engendre des crises politiques majeures… Elle frappe au coeur le projet autour duquel s’étaient unifiées les classes dominantes, le néolibéralisme…

Au bénéfice des possédants, ce projet visait à réorganiser les rapports sociaux au sein du monde capitaliste développé, ainsi que l’ensemble des rapports de domination à l’échelle de la planète. Il est aujourd’hui plongé dans la tourmente. Sans que, pour autant, les éli- tes dirigeantes disposent du moindre projet alternatif. Le modèle néolibéral et ses soubassements idéologiques – la « théorie » d’une autorégulation des marchés, la thèse d’une victoire définitive du capitalisme libéral, l’idée de l’inévitabilité des politiques de déréglementation… – vont céder la place à une autre construction ; mais rien n’indique encore ce que sera cette dernière. C’est de manière probablement empirique, que vont à présent se tester de nouvelles articulations entre marchés, monde de la finance, firmes multinationales et États.

En attendant, comme toujours dans ce genre de situation, c’est par l’intensification du taux d’exploitation du travail que le capital s’efforce de trouver une issue à sa crise. Déjà, le chômage flambe, les licenciements et les délocalisations se multiplient, on entreprend de réduire partout le coût de la reproduction de la force de travail, on s’emploie à faire baisser encore les salaires, on accélère le démantèlement des dispositifs de protection sociale, on marchandise tout ce qui peut être source de nouveaux profits. Ce sont donc de régressions gravissimes et de destructions aggravées des droits sociaux que nous sommes menacés. L’exemple de l’Autriche en fait foi, en l’absence de riposte sociale à la hauteur et de réponses politiques adaptées à gauche, un tel contexte peut favoriser la remontée des nationalismes et des chauvinismes, des populismes droitiers, voire de courants fascisants.

Dans le même temps, le spectre de la barbarie guerrière plane de nouveau sur l’ensemble du globe. De la Géorgie à l’Afghanistan, de l’Irak à la Corée, les tensions se multiplient et des confrontations militaires se nouent, toujours au nom de la « démocratie » ou de la lutte contre le « terrorisme », en réalité pour imposer de nouveaux rapports de force planétaires et assurer aux plus puissants le contrôle de l’approvisionnement en matières premières. Bras armé des principales puissances impérialistes regroupées sous la houlette de la première d’entre elles, les États-Unis, l’Otan réorganise son dispositif afin de pouvoir frapper partout où ses intérêts pourraient être menacés.

Décidément, comme le disait déjà Jaurès : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. »

Une leçon trouve ici sa confirmation : la crise appelle des réponses radicales ; si une gauche digne de ce nom n’est pas en mesure de les apporter, on peut craindre que ce soit à droite, sinon très à droite, qu’elle se dénoue.

La situation en France en apporte d’ailleurs, jour après jour, l’illustration.

Depuis la victoire de Nicolas Sarkozy, en 2007, s’est installée aux commandes une droite ressoudée autour d’un projet d’adaptation brutale du pays aux nouvelles exigences du capitalisme. Depuis ce moment, s’inspirant ouvertement de l’exemple de la révolution néoconservatrice née aux États-Unis, elle s’est efforcée d’infliger au monde du travail une défaite sociale majeure. Elle a multiplié les cadeaux au monde des affaires et aux actionnaires, comme avec ce « bouclier fiscal » grâce auquel les 834 contribuables les plus riches de France ont empoché 368261 euros, soit l’équivalent de 30 années de Smic. Elle s’est employée à atrophier les libertés, à criminaliser les secteurs combatifs du mouvement social, à domestiquer totalement l’appareil judiciaire, à contrôler étroitement les médias, à attaquer la laïcité, à présidentialiser un peu plus le régime. Elle a opéré un tournant atlantiste qui voit la diplomatie française s’aligner sur les desiderata de l’administration américaine, réintégrer le commandement militaire de l’Otan et s’engager dans de nouvelles aventures impérialistes, comme en Afghanistan. Tout cela allant de pair avec une offensive idéologique permanente, une véritable « bataille des idées », visant à imposer l’hégémonie du libéralisme et étouffer les résistances qui ont émergé depuis novembre-décembre 1995.

Ces attaques, pour brutales et globales qu’elles aient été, n’ont cependant pas tardé à se heurter à la résistance des salariés, de la population, de la jeunesse. Sarkozy l’avait emporté face à une gauche n’incarnant pas une alternative de changement. La société française ne s’était cependant pas convertie aux préceptes d’un néolibéralisme pressé de lui imposer une régression sans précédent. Si les luttes n’ont pu encore faire reculer gouvernement et patronat, Sarkozy a rapidement vu s’affaiblir sa légitimité. Les scrutins municipaux ou cantonaux de mars 2008 lui ont infligé une sanction sans appel. Les mobilisations qui se développent depuis, dans les entreprises du secteur privé, dans les services publics, à l’école, à l’université, dans les hôpitaux, parmi les travailleurs sans papiers, contribuent à déstabiliser son pouvoir. La colère est si grande que, successivement, en février et mars 2009, la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion ont connu des semaines de grève et de confrontation généralisée, contraignant au recul un patronat colonial et un gouvernement français qui cherchait à jouer le pourrissement du conflit. Et la montée du mécontentement parmi les salariés, l’aspiration à l’unité qui se fait jour parmi eux ont débouché, à l’initiative de toutes les organisations du mouvement syndical, sur l’organisation de grandes journées de mobilisation réunissant plusieurs millions de grévistes et de manifestants.

Ne nous y trompons toutefois pas : cette droite à l’initiative ne pourra être défaite sans que s’oppose à elle une gauche « décomplexée », porteuse d’une réponse alternative globale. Faute de quoi, les défaites accumulées ces dernières années viendront faire le lit de postures démagogiques tendant à faire croire aux exploités et aux exclus que le marché et ses valeurs, l’idéologie du mérite et de la compétition, sont une réponse à leurs problèmes. Le succès dont bénéficient en divers pays, par exemple en Italie, des droites prospérant — au moins partiellement — sur le désarroi populaire, atteste des dangers du moment.

La crise de perspective à gauche devient, pour cette raison, un enjeu décisif. C’est parce qu’il n’apparaît pas de débouché politique authentique aux luttes comme à l’attente populaire, que la droite sarkozyenne a pu, jusqu’à présent, conserver l’initiative, la maîtrise du rapport de force, la capacité à choisir les terrains de confrontation avec la société, l’aptitude à déployer ses attaques dans les domaines les plus divers (du repos dominical à l’audiovisuel public, du droit à la retraite à l’hôpital public, du code du travail à l’école, des conditions de séjour des populations immigrées au développement constant des discriminations et des exclusions). Le social-libéralisme, qui constitue la ligne directrice du Parti socialiste, étale ainsi sa totale faillite. Responsables de la défaite électorale de mai 2007, les responsables de ce parti se sont ensuite montrés incapables de s’opposer à la politique du régime et du patronat. Leur démarche d’accompagnement des exigences du capitalisme libéral s’est effondrée avec la crise, sans même qu’ils montrent une quelconque capacité à changer d’orientation. Comme en Italie, en Autriche, en Allemagne, cette orientation ne peut mener qu’à de nouvelles défaites. Il est urgent de faire émerger une autre gauche !

Unir dans les luttes pour battre le sarkozysme et le capitalisme !

LA PREMIÈRE URGENCE est de faire converger les conflits engagés avec le pouvoir et le Medef. L’objectif d’un « tous ensemble » est plus que jamais à l’ordre du jour. Il doit néanmoins se construire à travers la défense de perspectives qui tendent à unifier les résistances, à contrecarrer les tentatives d’isoler chaque lutte dans une posture défensive. Sur chacun des dossiers où se joue la confrontation sociale, à partir de chaque secteur en butte aux attaques, au plan national autant qu’à l’échelon local, il convient de travailler à la construction des cadres unitaires les plus larges. Des cadres associant forces de gauche, organisations syndicales, associations, mouvements de jeunesse, structures démocratiques, féministes, altermondialistes, antiracistes, écologistes.

Cela doit permettre de s’opposer à la logique du capitalisme sur l’ensemble des terrains, celui de l’emploi, des salaires, des retraites, de l’assurance-chômage, de la santé, du temps de travail, des services publics, des droits des femmes, des sans-papiers et des discriminations en général. Sans oublier ce domaine essentiel qu’est la politique européenne : c’est au moment où il allait accéder aux fonctions de président de l’Union européenne, que Nicolas Sarkozy se vanta d’être le père du traité de Lisbonne, ce traité qui recycle toutes les dispositions du traité constitutionnel rejeté par les référendums français et néerlandais de 2005, et que l’on a imposé sans consultation populaire aux citoyens du continent.

Le syndicalisme se voit aujourd’hui menacé par les logiques d’adaptation aux contre-réformes libérales. Les militantes et militants attachés à la transformation radicale de la société sont dès lors concernés par ce qui s’y passe. Il leur appartient de contribuer à faire des syndicats les premiers instruments de la résistance et de la contre-offensive sociales, d’une réorganisation générale et unitaire des forces du salariat, de la formation d’une conscience commune à la classe des travailleurs.

Dans le respect scrupuleux de l’indépendance syndicale, car rien ne serait pire que de reproduire la subordination désastreuse du mouvement social aux stratégies de partis, il leur faut donc militer dans les organisations syndicales, aider à leur développement sur une base d’unité et de lutte de classe.

Sortir de la crise par une alternative de rupture

DEPUIS L’ÉCLATEMENT DE LA CRISE des subprimes aux États-Unis, les dirigeants du monde capitaliste jurent, la main sur le coeur, qu’ils ont compris la leçon, qu’ils vont réguler l’économie, moraliser le capitalisme, assécher les paradis fiscaux, renforcer les institutions financières internationales. En pratique, confrontés à la faillite de leur système, ils se comportent tels des pompiers pyromanes. La production industrielle s’affaisse partout, la récession frappe la quasi-totalité des pays, l’économie mondiale plonge, mais ils continuent à agir comme auparavant, en dépit de la catastrophe présente : ils restent dans les clous de la libre concurrence et de la compétitivité, ils inondent les marchés de liquidités, ils volent au secours des banquiers et infligent aux populations de nouvelles cures d’austérité, ils vont même jusqu’à expliquer cyniquement que la dépression doit être mise à profit pour accélérer ce qu’ils appellent les « réformes »… Ce faisant, ils préparent les crises de demain, lesquelles seront encore plus dramatiques pour le plus grand nombre. Ils peuvent bien nous annoncer quotidiennement que la reprise se profile, que le bout du tunnel est proche, le directeur de l’Organisation mondiale du commerce, le très « socialiste » Pascal Lamy nous a déjà prévenus : nous sommes durablement devant « la première crise globale de l’humanité ».

Ce n’est pas d’une « moralisation » du système que nous avons le plus urgent besoin, c’est d’une logique qui s’attaque enfin aux mécanismes d’un capitalisme toujours plus prédateur. Une alternative de rupture se révèle chaque jour plus indispensable :

> pour donner la priorité à la satisfaction des besoins sociaux, plutôt qu’à la soif de bénéfices de l’infime minorité qui possède déjà tout…

> pour répondre aux revendications populaires en matière de pouvoir d’achat (pas de salaire en dessous de 1600 euros net, 300 euros tout de suite pour toutes les rémunérations), d’emplois (interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits, instauration d’un droit de veto des organisations de salariés sur les plans sociaux…), ou de services publics (arrêt des privatisations et des suppressions de postes dans la fonction publique), il convient de prendre sur les profits, de récupérer les subventions indûment accordées aux entreprises, d’interdire les stocks options et autres parachutes dorés, de s’atteler à une redistribution audacieuse des richesses. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en revenir simplement au partage de la valeur ajoutée qui prévalait voici 20 ans, que le capital a fait évoluer de dix points à son avantage, permettrait par exemple de récupérer 176 milliards d’euros chaque année…

> pour que nos vies cessent d’être systématiquement sacrifiées sur l’autel du tout-marché, la puissance publique doit reprendre possession des leviers essentiels de contrôle de l’économie, un pôle public doit regrouper l’ensemble du système bancaire et de crédit, les notions de propriété sociale et de planification démocratique doivent redevenir d’actualité…

> pour faire face aux menaces de destruction de l’existence humaine que la course au profit, étroitement associée au productivisme, fait peser sur la planète, il faut une grande politique de planification écologique. La logique de l’intérêt général doit s’imposer dans ces domaines essentiels de la vie collective que sont la santé, les équipements, les transports, les activités industrielles ou agricoles…

> pour que la démocratie redevienne synonyme de souveraineté du peuple, en permanence et dans tous les domaines, qu’elle en finisse avec l’atrophie insupportable que lui font subir les institutions quasi-monarchiques de la Ve République, qu’elle fasse tomber cette frontière symbolique qu’est le droit de propriété capitaliste en s’imposant jusque sur les lieux de travail, en faveur des travailleurs.

Nous le savons cependant, pas plus qu’hier face à la mondialisation du capital, la réponse à une crise globalisée ne proviendra du seul cadre des nations. L’Europe peut être un cadre pertinent pour affronter les défis colossaux du moment. À condition qu’elle rompe résolument avec une construction qui discrédite, dans la conscience des peuples, l’idée européenne elle-même.

Nous avons besoin d’une Europe qui s’émancipe de ses traités synonymes de destruction des droits sociaux et de régression démocratique, à commencer par le traité de Lisbonne. D’une Europe d’un bouclier social, qui protège le monde du travail des effets de la crise. D’une Europe de l’interdiction des licenciements et des délocalisations, du Smic européen, du retour au service public. D’une Europe qui mette fin à l’indépendance de la Banque centrale, afin de disposer des moyens de réorienter l’économie. D’une Europe de l’harmonisation sociale et fiscale par le haut. D’une Europe d’une autre politique agricole commune, qui prenne le parti des petits agriculteurs contre les multinationales de l’agroalimentaire. D’une Europe du respect et de l’extension des droits des femmes, à commencer par leur droit à disposer de leur corps, donc de l’Europe d’une laïcité reconquise afin de soustraire le continent à l’influence de ce nouvel obscurantisme qui, depuis le Vatican, excommunie à tout va. D’une Europe de l’égalité des droits pour tous ses résidents, et singulièrement de la régularisation des sans-papiers. D’une Europe de la démocratie, non celle de petits cénacles qui agissent en toute opacité, mais celle des peuples décidant souverainement de la construction poli- tique qu’ils veulent pour eux. D’une Europe de la paix et du co-développement, donc d’une Europe qui renonce aux ingérences impérialistes et néocolonialistes, qui sorte de l’Otan, qui retire toutes ses troupes des théâtres d’opération où elles se trouvent engagées, de l’Irak à l’Afghanistan.

D’une Europe qui s’engage pour le respect des droits des peuples et, par exemple, conditionne tout accord avec l’État d’Israël à la reconnaissance du droit du peuple palestinien à un État viable, sur l’intégralité des territoires occupés avec Jérusalem-Est pour capitale.

Faire front pour rassembler une gauche de gauche

Deux grandes logiques traversent la gauche.

> La première est exprimée par la direction du Parti socialiste. Celle-ci entend pousser les feux de la « modernisation » libérale de la gauche, dont elle cherche en permanence à satelliser les composantes essentielles. Elle se trouve engagée dans une mutation qui la mène — à l’instar des autres sociales-démocraties d’Europe — à n’être plus qu’un centre gauche à la Blair, à la Schröder ou à la Veltroni. Elle est tentée de chercher sur sa droite le chemin de son retour au pouvoir. Elle s’oppose essentiellement sur la forme aux projets de Sarkozy. Faute de répondre aux attentes et revendications populaires, si aucune offre alternative n’émerge, elle ouvre ce faisant la voie à de nouveaux échecs calamiteux, voire à une désintégration comparable à celle de l’Italie.

> L’autre logique est celle de l’affirmation d’une gauche qui se tourne vers les classes populaires et réponde à leurs aspirations, qui ne se dérobe pas à la rupture avec l’ordre établi parce qu’elle entend faire renaître l’espoir du changement social, qui prenne appui sur la redistribution radicale des richesses et la démocratie pour ouvrir un chemin à l’alternative au capitalisme libéral. C’est celle que nous défendons.

Savoir laquelle de ces deux orientations l’emportera est décisif. Mais aucune force ne peut, à elle seule, incarner un début d’alterna- tive crédible au sarkozysme et au social-libéralisme. L’éparpillement, les logiques du repli identitaire ou de la concurrence délétère les menacent toutes d’impuissance, voire, pour certaines, de ralliement au Parti socialiste. C’est la raison pour laquelle le rassemblement de toutes les énergies anticapitalistes et antilibérales se révèle déterminant.

Et c’est autour d’un corps de mesures d’urgence sociales, écologiques, démocratiques que cette convergence peut se réaliser, prolongeant sur le terrain directement politique et électoral les revendications portées par les luttes.

Comme en Allemagne, avec Die Linke, au Portugal, avec le Bloc de gauche, en Grèce, avec la coalition Synaspismos-Syriza, dans d’autres pays d’Europe encore, les forces existent pour y parvenir. Des débats traversent d’ailleurs toute la gauche sur la solution susceptible de sortir de l’impasse où nous enfoncent les sociaux-libéraux. Ils font écho à ceux qui apparaissent, dans le même temps, au sein d’un mouvement social où la conscience grandit du besoin de réponses politiques s’articulant aux confrontations de classes. Preuve d’une disponibilité qui s’accroît, lors des élections municipales de mars 2008, ce sont les listes qui rassemblaient le plus largement des forces d’origines diverses, sur des propositions de changement radical, qui ont obtenu les scores les plus importants, à gauche du PS. Et, pour le scrutin européen du 7 juin 2009, la formation d’un Front de gauche, sur une base de rupture franche avec l’Europe du « marché ouvert et de la concurrence non faussée », est à son tour venue confirmer que le rassemblement de la gauche de gauche est la condition du surgissement d’une proposition politique à la hauteur de la situation.

En pratique, il se vérifie au quotidien que l’émergence d’une véritable alternative à la droite sarkozyenne et au social-libéralisme passe par la construction de fronts politiques unitaires, s’efforçant de rassembler les différentes composantes de la gauche de transformation, du PCF au Parti de gauche et aux diverses composantes de la gauche alternative, du Nouveau Parti anticapitaliste aux courants de gauche encore présents dans le PS ou chez les Verts, en passant par les collectifs antilibéraux…

Il importe, de surcroît, que puissent se joindre au processus des dizaines de milliers de syndicalistes ou de responsables associatifs à la recherche d’une alternative politique, les militantes et militants actifs dans les quartiers populaires, les jeunes qui ont fait ces dernières années leur première expérience collective dans le mouvement altermondialiste ou les combats pour l’école publique…

DANS CE MOUVEMENT de reconstruction unitaire, le débat sur les conditions d’une majorité et d’un gouvernement de rupture est évidemment fondamental. Chacun connaît les raisons des défaites et de la désorientation qu’a connues la gauche ces 25 dernières années, comme de sa crise présente : la domination d’un PS poussant toujours plus loin sa démarche d’adaptation au capitalisme libéral. Les forces qui, dans le passé, à l’instar du Parti communiste ou des Verts, se sont allié à lui dans ces conditions, pour tenter d’infléchir à gauche sa politique, n’ont cessé d’échouer.

Il s’impose d’ouvrir une nouvelle voie au combat pour la transformation sociale. Celle-ci suppose de faire le pari résolu de l’indépendance envers le Parti socialiste et l’orientation qui le domine. D’affirmer, en conséquence, une proposition de nature à faire bouger les lignes au sein de la gauche, à y bouleverser les rapports de force, à mettre un terme à l’hégémonie dont y dispose le social-libéralisme. De créer, ce faisant, les conditions d’un gouvernement portant le fer au coeur des logiques libérales et capitalistes, mettant en oeuvre — sans crainte de s’affronter aux forces dominantes — les grandes mesures d’une politique visant à la satisfaction des besoins sociaux les plus urgents.

Changer de stratégie, pour changer de gauche

Des coalitions gouvernementales ou parlementaires sous la domination d’un PS qui a renoncé à défendre une alternative au libéralisme conduiraient immanquablement à des catastrophes similaires à celles du passé. En prendre acte ne peut toutefois s’apparenter à une indifférence envers les débats traversant le reste de la gauche, voire à une posture qui, sous prétexte de méfiance envers les dérives institutionnelles d’hier, ne répondrait pas à la question centrale du pouvoir.

Cela aboutirait à laisser les dirigeants du PS libres d’accuser la gauche de gauche de céder aux facilités de la « protestation », comme ils aiment à le dire, en leur permettant de conserver le monopole d’un comportement « responsable ». Pire, cela stériliserait la gauche de transformation en une attitude d’incantation impuissante, dans l’attente illusoire que les mobilisations, parvenues à un certain degré de radicalité, se dotent par elles-mêmes d’un débouché politique. Or, l’expérience historique en fait foi : dans nos sociétés complexes disposant d’une réelle vie démocratique, aussi corsetée soit-elle par les institutions de la classe dominante, la rupture avec le capitalisme ne s’opérera pas par la simple généralisation des luttes conduisant à un bref et unique affrontement avec l’État. Si elle veut réellement être l’expression consciente et démocratique des classes populaires, elle s’appuiera inévitablement sur un processus conjoint de mobilisations sociales prolongées et d’élections. Ce qui permettra, à chaque étape, de renforcer, de légitimer et d’exprimer pleinement les aspirations majoritaires du peuple, tout en garantissant à ce dernier le contrôle constant du processus de transformation de la société.

Il convient, par conséquent, sans préalable mais sans atermoiements, d’ouvrir la discussion publique sur les termes du problème à gauche du Parti socialiste : ou l’on gouverne aux conditions du libéralisme et du capitalisme ; ou l’on gouverne à gauche, en s’appuyant sur les aspirations des salariés autant que sur leurs mobilisations propres et en prenant une série de décisions rompant avec la logique libérale-capitaliste. Autrement dit, une gauche de transformation sociale et écologiste se doit de poser les conditions à partir desquelles une solution gouvernementale pourra ouvrir la voie au changement social et marquera une claire rupture avec les alternances calamiteuses que nous avons connues depuis 1981. Elle s’engagera dans le soutien à un gou- vernement s’orientant dans la direction d’une semblable rupture radicale. À l’inverse, elle s’opposera à un gouvernement autant qu’à une majorité parlementaire tournant une fois de plus le dos aux intérêts des travailleurs et de la jeunesse.

Notre horizon : un grand parti pour le socialisme !

A TERME, la question est posée d’une nouvelle représentation politique pour le monde du travail.

Cette dernière ne saurait toutefois procéder de la volonté ou des décisions d’une seule organisation. Elle émergera nécessairement à la faveur d’une redistribution générale des cartes à gauche, de la convergence de courants politiques héritiers d’une série de traditions du mouvement ouvrier organisé, de secteurs porteurs de l’expérience du mouvement social, de militantes et militants issus des nouvelles générations, de forces actives sur les nouveaux terrains de mobilisation. Elle résultera de débats de fond, de la vérification concrète des accords existants entre ces diverses réalités.

Ce grand parti indispensable devra s’identifier par sa contestation conséquente du capitalisme libéral. Il aura à tirer les leçons de la double faillite des régimes bureaucratiques de l’Est européen et de la social-démocratie. Il oeuvrera à une synthèse audacieuse du meilleur des héritages et des cultures ayant jusqu’alors structuré la gauche et le mouvement ouvrier : ceux du socialisme historique se revendiquant toujours de la République sociale, de la visée communiste, de la tradition révolutionnaire, de l’écologie radicale, de l’autogestion sociale…

Il combattra les logiques d’accompagnement sociales-libérales. Il se trouvera fondé sur l’indépendance de classe, illustrera sa vision du changement social par un enracinement sans cesse renouvelé dans les mobilisations populaires, refusera de subordonner sa politique aux contraintes de la participation aux institutions. Il sera résolument internationaliste car, moins que jamais, face à la mondialisation du capital, une transformation radicale ne saurait rester confinée au seul cadre des nations. Il fonctionnera de manière transparente et démocratique, garantissant le pluralisme des opinions et courants en son sein.

Un tel parti aura pour mission fondamentale d’oeuvrer à la renaissance d’une perspective socialiste pour le siècle qui s’ouvre. Un socialisme qui remette à l’ordre du jour l’appropriation sociale des grands moyens de production et qui fasse en sorte que le travail cesse d’être une marchandise. Qui pousse la démocratie jusqu’au bout, étende considérablement les droits et libertés conquis en régime capitaliste, permette au plus grand nombre d’exercer sa souveraineté et d’user de son suffrage dans tous les domaines, de l’entreprise à la cité. Qui récuse aussi les dérives mortifères de l’étatisme, pour organiser le transfert massif des pouvoirs vers un système d’autogestion sociale. Qui libère les aspirations à l’autonomie des individus, intègre les apports du féminisme dans une lutte résolue contre la division sexuée du travail, récuse le productivisme dont l’humanité a pu mesurer les dégâts. Qui encourage le droit à l’expérimentation, la libre circulation du savoir et de l’expérience, conditions d’un développement équilibré des forces productives.

Qui, au final, autorise à entrevoir la possibilité de cette « société fondée sur la multiplication des besoins et de leurs satisfactions » que le grand philosophe marxiste Henri Lefevbre appelait de ses voeux. Nous restons, quant à nous, convaincus que le capitalisme ne peut être dépassé graduellement, qu’une rupture révolutionnaire autant que profondément démocratique s’imposera avec l’ordre dominant. Mais nous considérons que cela n’interdit en rien de faire, en compagnie d’autres courants, l’expérience loyale d’une même formation politique, dès lors qu’existerait une vision commune des enjeux du moment et des tâches qui en découlent.

C’est dans cette mesure que le rassemblement unitaire d’une gauche de gauche, la reconstruction d’une gauche de combat, un front constitué au départ sur une série d’objectifs communs dans le dessein de changer de gauche, un rassemblement de forces et de militants voulant agir ensemble dans les luttes et les élections doivent permettre de faire mûrir la perspective de ce grand parti pour le socialisme. Gauche unitaire, un outil pour le rassemblement SI LE BUT EST, à terme, de parvenir à un tel parti, si une politique de front des sensibilités antilibérales et anticapitalistes peut en poser les jalons, il ne saurait être question d’attendre que les conditions de la convergence soient réunies. C’est en ce sens que le Nouveau Parti anticapitaliste aurait pu être un levier précieux. Il lui fallait cependant se construire comme une étape vers la réorganisation indispensable de la gauche et du mouvement ouvrier, un moyen de faire bouger les lignes au sein de ces derniers et d’ouvrir le débat sur l’avenir, un levier pour engager un vaste débat à gauche, un premier pas et non une fin en soi. Au lieu de cela, sa majorité de direction l’a entraîné dans l’ornière consistant à le présenter comme l’unique réponse à la crise d’alternative à gauche, l’instrument censé aider « ceux d’en bas », et eux seuls, à se « représenter eux-mêmes ». Jusqu’au refus obstiné de s’engager dans la constitution d’un Front de gauche pour les élections européennes de 2009…

Gauche unitaire est née de ce contexte général et, plus particulièrement, de la conviction qu’il ne fallait sous aucun prétexte gâcher une nouvelle opportunité de changer la donne à gauche, de faire confluer des cultures et des traditions différentes dans une affirmation commune d’une politique de rupture anticapitaliste.

En se constituant, notre collectif militant est d’abord soucieux de combattre l’éparpillement des forces de la gauche de gauche. Par son existence sur le champ politique, par sa participation à toutes les possibilités de former un front défendant un début d’alternative à la droite et au social-libéralisme, il s’emploiera à nourrir le débat sur la refondation d’un projet de transformation radicale de la société. Animé de l’unique volonté que la gauche anticapitaliste finisse par devenir une force qui compte et soit à même de disputer au Parti socialiste la rente de situation dont il jouit par défaut, à l’image des processus qui se sont fait jour dans d’autres pays d’Europe, il se veut d’abord le trait d’union d’un rassemblement durable, porteur d’une ambition majoritaire à gauche.

L’heure est par trop décisive pour que chacun et chacune ne prennent pas le chemin d’un engagement aussi résolu qu’unitaire. Soucieux de prendre nos responsabilités à un moment crucial, par-delà les histoires qui peuvent être les nôtres, nous appelons celles et ceux qui partagent nos convictions à accomplir la même démarche. Qu’ils soient issus du Nouveau Parti anticapitaliste ou aient simplement espéré que celui-ci aiderait au renouvellement des pratiques dans le mouvement ouvrier, qu’ils aient milité dans d’autres formations politiques, qu’ils soient syndicalistes ou animateurs du mouvement associatif, qu’ils se considèrent simplement comme des citoyens en quête d’une gauche réellement à gauche, nous les appelons à agir avec nous. Il n’est pas possible de laisser les frilosités, les conservatismes de boutique, les calculs à courte vue passer avant l’intérêt de millions d’hommes et de femmes que désespère l’absence de toute réponse crédible à leurs attentes.

Rejoignez-nous ! L’enjeu est vital : il est de faire exister une alternative pour les luttes et pour les élections, autrement dit de faire renaître un espoir.

Ensemble, nous pouvons contribuer à une dynamique qui bousculera tous les statu quo !


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