Du 19 au 25 août 1944, insurrection et libération de Paris

samedi 21 août 2021.
 

À l’occasion du 70e anniversaire de la Libération, entretien avec André Carrel, président de l’Association nationale de la Résistance.

Comment s’est fait votre engagement au sein de la résistance ?

André Carrel. Ma mère était au Parti communiste et a fait partie de la première délégation qui s’est rendue en Union soviétique. Naturellement, après mon bac, j’ai adhéré aux Jeunesses Communistes en 1933 puis au Parti. Lorsque la guerre a éclaté, j’étais journaliste au Peuple, journal de la CGT, tiré à l’époque à 200 000 exemplaires. J’ai été mobilisé dans un régiment hippomobile. J’avais gardé des contacts avec le Mouvement mondial de la jeunesse, dont j’avais été un des dirigeants et j’ai eu la chance de rencontrer par hasard le Dr Victor Laffitte en septembre 1940. J’ai ainsi pu reprendre contact avec les membres du Parti et j’ai intégré l’office spécial pour surveiller les Allemands.

Quelles étaient les actions ?

André Carrel. Je diffusais les tracts et je surveillais les mouvements qui pouvaient s’opérer. Il venait d’y avoir une rafle monstre et de nombreuses arrestations en Seine-et-Marne. J’ai donc été transféré là-bas pour remettre sur pied le Front national. À l’époque la Seine-et-Marne était un point névralgique. C’est là qu’arrivaient les trains d’Allemagne. J’y suis resté un an jusqu’au jour de l’arrestation par les Allemands de l’écrivain Streber. On m’a nommé à sa place pour représenter le Front national au Comité parisien de la Libération (CPL).

Quelle était la fonction du Front national ?

André Carrel. Le Front national a été constitué grâce à l’action d’André Tollet, son président. Ce dernier a également réussi à réunir les représentants de la plupart des organisations de résistance clandestines à Paris. Il y avait les républicains avec Léo Hamon, les gaullistes avec Mme Lefaucheux, dont le mari avait été déporté, Albert Rigal pour le PCF, Tollet pour les syndicats et moi pour le Front national. Il a ainsi monté le CPL en accord avec le Conseil national de la Résistance (CNR). La première réunion a eu lieu en 1943 dans un appartement, au-dessus duquel habitait Céline ! Nous avons eu beaucoup de discussions mais nous avons pu maintenir le CPL jusqu’au déclenchement de l’insurrection de la région parisienne. Pour ma part, j’avais comme charge essentielle les questions militaires ainsi que les liaisons avec les FFI, les FTP et le CNR.

De quoi étiez-vous chargé pendant ce mois d’août 1944 ?

André Carrel. Le bureau du CPL m’avait confié une mission très compliquée : transformer la police parisienne en police patriotique. Après toutes les arrestations qu’ils avaient faites, vous imaginez les difficultés ! Pour déclencher la grève générale de la police, il a fallu prendre contact avec des colonels de la gendarmerie et de la police. Nous avons pu transformer cette masse qui, jusque-là, avait comme seul objectif d’arrêter les patriotes et de les mettre dans les mains de la gestapo. Il ne faut pas oublier qu’en août 1944, les départs de déportés de la région parisienne continuaient. La grève a eu plus de succès dans les branches les plus « ouvrières » de la police. Puis elle s’est généralisée lorsque les Allemands ont volé des armes à des commissaires de police en Seine-Saint-Denis.

Ce mouvement s’est aussi cristallisé dans la manifestation du 14 juillet 1944 dont les flics n’ont pas empêché la tenue. Cet événement montrait à quel point la population était prête mentalement pour une insurrection. D’autant plus que le 6 juin 1944, il y avait eu le débarquement des alliées en Normandie et que de Gaulle était à Bayeux.

Concernant la mise en place de l’insurrection, quelles étaient les consignes ?

André Carrel. Le CPL a lancé un appel à toutes les entreprises de la région parisienne afin de créer des milices patriotiques pour neutraliser les Allemands. Nous avons eu de nombreuses discussions avec Rol-Tanguy pour savoir si nous étions prêts à lancer le mot d’ordre de l’insurrection. En tant que dirigeant des FFI, il était d’accord. Je me suis ensuite rendu avec Tollet à la réunion du CNR où unanimement le CPL et le CNR ont déclenché l’insurrection. À peine avait-on fini d’écrire l’appel, qu’on entendait déjà des coups de feu dans les rues. La reprise des mairies a été un événement considérable. Il y avait un double mouvement : mettre les Allemands à la porte et revenir sur Vichy.

Où étiez-vous le jour de l’insurrection ?

André Carrel. La direction du Front national, du Parti communiste et des FTP étions retranchés à Montfermeil. Nous avions décidé de ne pas prendre les zones officielles pour éviter la répression allemande. Sauf que Léo Hamon et quelques autres ont décidé de prendre l’Hôtel de Ville. Lorsqu’il est entré, d’autres s’y étaient déjà infiltrés. Il nous a appelés et nous sommes rentrés à quatre pattes avec Tollet dans l’Hôtel de Ville. Nous nous sommes installés là. Nous avons mis en place une série d’opérations pour garder des liens avec les mairies reprises, les policiers et les groupes de résistance. Les avant-gardes de l’armée Leclerc sont arrivées. J’ai accueilli le capitaine Dronne. L’insurrection a été ainsi dirigée depuis l’Hôtel de Ville. Cet élan national, exceptionnel, doit être raconté, en particulier aux jeunes générations. Il est essentiel de leur expliquer ce qu’a été la Résistance car elle fait partie de leur histoire et de l’histoire de France.

Au cœur de la Libération de Paris, André Carrel, Éditions sociales, 1994.

Entretien réalisé par Ixchel Delaporte, L’Humanité


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