« C’est long de remonter la pente après des millénaires de culture patriarcale. » (entretien avec Thérèse Clerc, fondatrice de la Maison des femmes à Montreuil)

mercredi 16 septembre 2009.
 

Quelle est la genèse de votre engagement féministe ?

Thérèse Clerc : Il est né en mai 1968. Vous savez, je suis née dans une famille de droite nationaliste. Mais mes parents étaient adorables. Il était donc diffi cile d’avoir une analyse critique de leurs positions idéologiques. J’ai acquis bien plus tard une conscience politique en côtoyant des prêtres-ouvriers qui m’ont fait découvrir Marx ! Mais le féminisme, c’est mai 68. Je suis sortie de ma cocotte minute ! J’ai rejoint le Mouvement des Femmes où régnaient une euphorie et une insolence magnifiques. Auparavant, chacune restait dans sa cuisine à pleurer sur ses misères. Là, nous nous sommes aperçues que nous étions 10, 100, 1000… à vivre la même chose. Nous nous sommes mises à parler. C’étaient des écluses qui s’ouvraient. Ce qui revenait le plus souvent, c’était l’avortement. L’une de mes amies en avait subi 18. Nous ne pouvions faire l’amour sans craindre de tomber enceinte. Bonjour le plaisir ! La pilule est la plus grande trouvaille du xxe siècle. Mais quand je lis que l’an passé, il y a eu 220 000 avortements en France, je suis affl igée. Après le travail que nous avons fait et les risques que nous avons pris…

Il y a 13 ans, vous ouvrez à Montreuil « La Maison des Femmes ». Quelle est sa vocation ?

Thérèse Clerc : Je souhaitais en faire un lieu militant, un forum permanent de la parole des femmes où l’on aurait pu élaborer un véritable programme politique. Au début, lorsque nous organisions des débats, nous parvenions facilement à réunir 80 personnes. Aujourd’hui, nous dépensons la même énergie pour un public de 15 personnes, dont les plus jeunes ont 50 ans. Il y a un désintérêt pour la chose publique et la citoyenneté. Et puis les femmes sont toujours dans l’urgence. Or, leur urgence aujourd’hui, c’est d’avoir à manger, un toit sur la tête, de pouvoir se soigner et envoyer les enfants à l’école. La Maison des Femmes est devenue un centre social. Nous recevons des femmes qui vivent dans la misère, qui subissent des violences conjugales. Nous nous sommes mises à la formation, à l’alphabétisation, aux ateliers d’écriture, à l’apprentissage du français. Parmi les femmes que nous accueillons, beaucoup ne maîtrisent pas notre langue.

Elles pensent souvent qu’elles sont en France pour peu de temps. La réalité est tout autre. Leurs enfants sont français, font leur vie en France, et elles restent auprès d’eux. Apprendre à parler le français, à lire et à écrire est la condition première de leur émancipation.

Que pensez-vous de la situation des femmes en France au XXIe siècle ?

Thérèse Clerc : On a gagné du terrain. Beaucoup de femmes font des études supérieures. Elles ne sont plus cantonnées aux fi lières littéraires et sociales ; il y en a de plus en plus dans les fi lières scientifi ques. Mais c’est long de remonter la pente après des millénaires de culture patriarcale.

Où en est le projet de Maison des Babayagas ?

Thérèse Clerc : Il y a chaque jour de nouveaux rebondissements. On vient de nous faire savoir que pour des questions de sécurité, nous devions avoir à demeure un salarié. Un jeune et beau pompier, on n’est pas contre ! Mais compte tenu des horaires, il en faut trois. Qui va payer ?

Cette maison sera réservée aux femmes, pourquoi refusez-vous la mixité ?

Thérèse Clerc : D’abord parce que dès lors qu’il y a des hommes et des femmes, il y a lutte et que ce sont toujours les hommes qui l’emportent ! Et puis pour des raisons d’intimité. Les accidents de toilette sont plus simples à régler entre femmes. Mais j’ai suggéré aux hommes de créer une « Maison des Bonobos ». Ils pourront nous y inviter !

Thérèse CLERC


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