Gauche : quelle transformation sociale, quel rassemblement ? Table ronde à la fête de l’Humanité

lundi 21 septembre 2009.
 

avec : Pierre Khalfa (Solidaires), François Delapierre (Parti de gauche), Thierry Le Paon (CGT), Pierre Laurent (PCF), Myriam Martin (NPA), Gilles Moindrot (FSU), Christian Picquet (Gauche unitaire), Jean-Vincent Placé (Verts), Aurélie Trouvé (ATTAC), Alain Vidalies (PS).

Malgré les millions de manifestants rassemblés dans les mouvements sociaux du début d’année, rien ne ralentit le gouvernement dans ses réformes antisociales. Pourquoi le mouvement social n’arrive-t-il pas à enrayer la machine sarkozyste ?

Thierry Le Paon. On a connu un début d’année très revendicatif, mais la rentrée s’annonce très forte aussi sur les enjeux de l’emploi, des salaires et des retraites. Partout on entend parler d’actions revendicatives. Les salariés relèvent la tête, dans des luttes parfois très difficiles comme pour les primes de licenciement. Il y a aussi les rendez-vous intersyndicaux, comme le 7 octobre, et puis il y a les luttes victorieuses, comme à la SBFM. Mais, quand ils regardent le paysage politique à gauche, les salariés ressentent souvent désespoir et désolation. Ils n’y retrouvent pas leurs préoccupations. Les salariés ont besoin d’une gauche qui se rassemble pour apporter des solutions concrètes à leurs problèmes, mais elle a besoin pour cela de clarifier ses objectifs et ses valeurs.

Pierre Khalfa. Les salariés ne se laissent pas écraser par la crise puisqu’ils réagissent. Néanmoins, nous avons le problème stratégique suivant : l’unité syndicale est absolument indispensable si nous voulons créer un rapport de forces. Mais cette unité se fait entre des organisations qui ont des points de vue et des stratégies différents, et le risque est donc qu’elle débouche sur le plus petit dénominateur commun. Les luttes de cette année illustrent cette contradiction. L’unité a permis d’énormes mobilisations, mais nous n’avons pas été capables de monter d’un cran ensuite face à un gouvernement qui ne cédera rien d’autre que ce qui lui sera imposé. C’est donc la question de la stratégie d’action qui est posée au mouvement syndical. Il a manqué la perspective d’un mouvement d’ensemble prolongé pour aller vers une grève générale.

Gilles Moindrot. Tout le monde cherche à la fois à gagner des avancées pour les salariés et à ce qu’émerge l’alternative politique qu’impliquent nos revendications. Dans la déclaration intersyndicale de l’an dernier, a été posée la question du contrôle et de l’utilisation de l’argent public pour qu’il aille à la réponse aux besoins sociaux plutôt qu’au système financier. Le 7 octobre va servir à donner un signal sur l’emploi, les services publics… Mais pour gagner, nos revendications ont besoin d’être vécues comme crédibles et possibles.

Selon les enquêtes, plus de 60 % des Français pensent que la gauche ne ferait pas mieux que la droite si elle était au pouvoir. À quoi attribuez-vous ce manque de crédibilité ?

Aurélie Trouvé. La réponse dominante des gouvernements à la crise est l’appui au néolibéralisme. Nous n’avons pas encore construit un rapport de forces pour créer une brèche dans le mur du capitalisme financier. Il faut admettre les difficultés rencontrées avec les grandes manifestations syndicales, et peut-être faut-il réfléchir à de nouvelles formes d’action qui passent par l’éducation populaire, se fonder sur les luttes locales concrètes et les résistances sur le terrain pour construire des mobilisations larges. Si on rencontre des difficultés, c’est aussi parce qu’il n’existe pas d’alternative claire à gauche structurée autour d’un projet de rupture cohérent : la social-démocratie s’est abandonnée dans les bras du néolibéralisme, elle a participé à la mise en place du capitalisme financier.

Alain Vidalies. Le débat sur le lien entre mouvement social et plate-forme politique est vieux comme la gauche. La question qui se pose est d’abord celle des luttes à venir. Certaines luttes peuvent être fédératrices pour toute la gauche, je pense à celle contre la privatisation de La Poste, comme l’a été en 2006 la bataille contre le CPE. Lutte sociale et lutte institutionnelle se sont alors conjuguées : la gauche a combattu le projet pendant des semaines au Parlement, pendant que les gens manifestaient. On a vu très concrètement comment ce lien pouvait s’opérer. Il ne faut pas faire de choix entre ces deux formes de luttes parce que nous combattons tous la même politique.

Christian Picquet. Le projet de régression de la droite n’est pas majoritaire dans le pays ; amis, on ne pouvait pas battre Nicolas Sarkozy en lui opposant « l’ordre juste » de Ségolène Royal. La question posée est de faire converger les forces sociales pour aller vers un mouvement d’ensemble, mais il faut pour cela qu’il dispose d’une perspective politique, sans attendre 2012. La plate-forme des syndicats n’est pas simplement revendicative : elle exige un changement de cap politique. Le problème posé à la gauche est d’être capable d’avancer un projet sur lequel les mobilisations puissent s’appuyer, dans les luttes dès maintenant et pour les élections futures. Ce projet devra proposer de faire exactement le contraire de ce qui a été fait à gauche depuis une vingtaine d’années. Il suppose que la gauche ne spas à des alliances délétères avec des politiciens de droite comme Bayrou, ni à la présidentialisation des institutions avec des primaires.

Pierre Laurent. Si la gauche était enfin capable d’ouvrir, comme ici, un débat sur le projet et la stratégie à adopter, alors elle donnerait un tout autre spectacle. Il faut affronter franchement les questions en débat entre nous. Si les citoyens s’en mêlent, le peuple de gauche sera capable de reprendre collectivement confiance dans la possibilité d’imposer une autre politique. Pour gagner face à Nicolas Sarkozy, les deux questions de l’unité et des contenus sont indissociables, au niveau syndical mais aussi au niveau politique. Et elles se posent immédiatement, avec l’approche des élections régionales. Va-t-on laisser la droite reconquérir des régions ? Si la gauche réfléchit en termes d’additions électorales avec le Modem, on est très mal partis. Il faut donc s’attaquer à la fois à l’élaboration de contenus et de constructions majoritaires, sans lâcher l’un pour l’autre. Or, c’est là que ça se complique, car la crise oblige à toucher profondément au système : on ne s’en sortira pas avec des solutions d’ajustement à la marge, sur les retraites, les droits des salariés, les salaires, l’écologie, etc.

François Delapierre. La gauche politique doit affronter la crise dans laquelle elle se trouve. C’est d’abord la crise des modèles historiques de la gauche : celle du communisme, mais aussi de la social-démocratie. Il est de la responsabilité de l’autre gauche de construire un outil pour porter une alternative à la droite, et c’est ce que nous avons commencé à faire avec le Front de gauche. L’un des débats entre nous est de savoir comment poursuivre et enraciner cette démarche pour prolonger le succès des élections européennes. Parce que nous ne partageons pas le choix de la social-démocratie d’organiser des primaires sans rien changer sur le fond, nous proposons que nous prenions l’engagement de porter ensemble un projet dans les prochaines élections, aux régionales, aux législatives, à la présidentielle, et d’assumer la confrontation avec les autres propositions à gauche.

Myriam Martin. Nous sommes tous d’accord sur le constat. Pour ce qui est des luttes, nous pouvons nous unir tout de suite, malgré nos divergences. Mais pour aller plus loin et recréer l’espoir dans notre pays, face à la dérive à droite de la social-démocratie, il faut rassembler toutes les forces qui pensent qu’il faut en finir avec ce système. Pour cela, il faut tirer les bilans du passé, faire la clarté sur ce qui fait débat entre nous. Bien évidemment, il faut battre la droite au second tour, mais pour se doter d’élus qui résistent et se battent sur leur projet. C’est pourquoi le NPA a proposé au PCF, à Lutte ouvrière, au Parti de gauche, aux Alternatifs et à la Fédération de mettre en place des groupes de travail tant sur le programme que sur la stratégie électorale pour les élections régionales.

Jean-Vincent Placé. Les Verts, les écologistes sont aussi antilibéraux et anticapitalistes. Mais l’écologie est aussi anticonsumériste, et c’est une question que toute la gauche doit se poser également. Il y a besoin de diversité et d’écoute mutuelle. Nous, les Verts, nous n’acceptons pas les institutions présidentialistes de la Ve République, nous sommes pour différentes approches politiques à gauche. Sur la question énergétique, nous devons nous poser les questions différemment : un nouvel ordre social et financier doit s’accompagner d’un nouvel ordre écologique. Il faut avoir le débat entre nous, car nous ne nous résignons pas à laisser Nicolas Sarkozy au pouvoir en 2012. Chez les Verts, personne ne veut faire main basse sur cette élection en misant sur un désastre de la social-démocratie et la disparition du communisme. Nous avons entendu la proposition de Marie-George Buffet d’ateliers thématiques : nous irons à ces ateliers, comme nous répondrons aux invitations du PS, du Parti de gauche… Du PCF jusqu’aux Verts, il existe une majorité de rechange dans ce pays.

Thierry Le Paon. Il y a une échéance devant nous qui rassemble les syndicats et les partis politiques de gauche, c’est celle de la lutte contre la privatisation de La Poste. C’est l’occasion d’avoir de la mémoire, et de se souvenir du démantèlement des PTT et de la privatisation de France Télécom, qui accule aujourd’hui des salariés au suicide dans le cadre de la réorganisation. Par ailleurs, je ne peux pas laisser dire que la plate-forme syndicale commune est minimaliste. Quand on parle de revalorisation significative des salaires, d’emploi, de retraites, de service public, de contrôle des fonds publics pour la première fois ensemble dans un document, ce n’est quand même pas banal. Il faut maintenant décliner ces objectifs en fonction des situations différentes, selon qu’on est jeune ou âgé, dans le public ou dans le privé, pour que les salariés s’en emparent et portent haut et fort les contenus revendicatifs.

(Le public prend la parole pour plusieurs interventions portant sur la nécessité de rencontres à gauche sur des contenus programmatiques, sur le problème posé au mouvement social par l’absence d’alternative politique, ou encore sur le besoin d’unité sur une politique de gauche pour prévenir la dérive à droite du PS et la main tendue au Modem.)

Alain Vidalies. Concernant les alliances, la position de la direction du PS est claire : c’est le choix du rassemblement de la gauche, à l’exclusion de tout contact politique avec le Modem. François Bayrou est un homme de droite, son seul objectif est de diviser la gauche pour être présent au second tour de l’élection présidentielle. Il na pas de solution avec le Modem, parce que son programme économique dit exactement l’inverse de ce que dit la gauche. Ce qu’attendent les Français, c’est que la gauche avance concrètement des propositions sur l’emploi, les services publics, la redistribution, etc. C’est une responsabilité à assumer collectivement. Il n’y a pas besoin d’un parti unique de la gauche, car ses différences sont une force, mais à condition que cela ne serve pas la division permanente.

Jean-Vincent Placé. Pour nous nous, c’est clair : nous sommes opposés au chef de l’État. Nous sommes à gauche, l’écologie est une idée de gauche. Les valeurs de la droite - consommation, individualisme, repli sur soi - avancent dans la société. Face à cela, il y a besoin de changer le logiciel de la gauche. Ce sont ces débats que nous voulons faire avancer dans la gauche : l’alliance des questions environnementales et sociales. Social-écologie, écosocialisme… Quel que soit le nom qu’on lui donne, nous voulons faire avancer la préoccupation écologique au coeur de la gauche.

Aurélie Trouvé. Nous ne devons pas négliger les rendez-vous internationaux très importants qui interpellent la gauche. D’abord le G20, qui se présente comme une mascarade annoncée pour maintenir le système actuel. Une conférence de l’OMC est également prévue juste avant le sommet de Copenhague. Celle-ci doit servir à mettre en avant l’idée que la solution au climat passe par la libéralisation des marchés : le « marché carbone », l’extension des marchés financiers aux terres, aux forêts cultivés, etc. Il est très important que l’ensemble de la gauche politique, sociale et associative soit présent en portant des propositions fortes sur la suppression des paradis fiscaux, la taxation de la finance…

Pierre Laurent. La question sous-jacente à notre discussion est de savoir s’il est possible de rassembler une majorité de citoyens sur des objectifs communs. Si on estime que oui, alors on peut se fixer des objectifs élevés, c’est-à-dire de gagner rapidement sur une politique de gauche, et non pas dans quinze ou vingt ans. En 2005, on a montré qu’il existait une majorité populaire pour gagner sur des contenus politiques. Le PCF met sur la table la proposition d’ateliers du projet ouverts à toute la gauche sociale, écologique et politique pour pousser le débat entre nous et élaborer des plates-formes partagées et cohérentes à porter ensemble dans des batailles électorales. C’est ce que nous avons commencé à faire avec le Front de gauche aux européennes. Nous voulons aller plus loin. Cette ambition sans cesse réaffirmée d’aller vers des majorités populaires doit aider à créer des dynamiques politiques, car ce qui compte, c’est que les gens retrouvent confiance dans la possibilité de l’emporter.

Christian Picquet. Il y a effectivement une majorité de rechange possible au sarkozysme. Il y a même une majorité populaire antisarkozyste aujourd’hui. Mais le problème est que la scène politique, elle, se déplace vers la droite. Pour le résoudre, il faut répondre à deux questions : sur quoi construire cette majorité, et avec qui ? Il faut discuter concrètement. À gauche, il y a manifestement deux orientations. Celle qui prétend qu’on ne peut pas lutter par des politiques radicales qui portent le fer au coeur des logiques qui nous ont menés à la crise actuelle. Et celle, dont nous sommes au Front de gauche, qui estime que s’en prendre à ces logiques est la condition même d’existence de nos concitoyens. L’ambition du Front de gauche est de sauver la gauche sur une ligne de gauche. Quand Martine Aubry demande à Bayrou de faire la démonstration qu’il est à gauche, elle le met en position d’interlocuteur, sans refuser par principe l’alliance au centre. Le Front de gauche, c’est le rassemblement de tous ceux qui ne veulent pas de ces logiques délétères où la gauche va se détruire.

Pierre Khalfa. Il faut effectivement une perspective politique qui donne confiance, mais en tant que syndicalistes, on ne peut pas se contenter d’attendre. D’où l’importance de la discussion sur la stratégie syndicale. La répétition des journées de vingt-quatre heures de mobilisation ne suffit pas. Il faut une stratégie de montée en puissance du rapport de forces, sinon nous perdrons, comme sur les retraites en 2003. C’est difficile, mais si nous ne sommes pas capables de gagner socialement, nous perdrons aussi politiquement. Au niveau politique, il faut clarifier les contenus. Tout le monde n’est pas égal sur ce point, certains ont tenu un double discours en faisant le contraire de leurs engagements au gouvernement. Il y a un problème de confiance vis-à-vis de la gauche institutionnelle.

François Delapierre. Quelle est la position exacte du PS sur le Modem, si elle change entre Marseille et la Fête de l’Humanité ? Nous n’avons pas donné suite à la proposition de « maison commune » de la gauche de Martine Aubry, car elle n’a pas été présentée au NPA. Nous pensons que c’est une erreur de poser des exclusives à gauche. Cela veut dire qu’il faudra aller chercher des alliés ailleurs pour faire une majorité, et cela renvoie à la question du Modem. Pierre Laurent pose la bonne question quand il évoque une majorité de gauche à construire. Toute la difficulté est de savoir comment. Nous sommes face à une contradiction : pour que la gauche l’emporte, elle doit se rassembler sans exclusive au second tour. Mais en même temps, l’orientation du parti dominant conduit la gauche à la défaite. Fixer au Front de gauche l’ambition de passer en tête de la gauche dans la compétition électorale et se rassembler au second tour, c’est le seul moyen de concilier l’exigence du rassemblement et la nécessité de changer la gauche.

Compte rendu réalisé par Sébastien Crépel


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