Novembre 1956,la tragédie de Budapest (par Roger Martelli)

lundi 28 septembre 2009.
 

Le 1er novembre 1956, au petit matin, des troupes soviétiques – 150 000 hommes et 2 500 chars – encerclent Budapest. Quelques jours plus tard, une sanglante répression met fin au soulèvement déclenché le 23 octobre. L’image du communisme politique en est cruellement ternie.

Tout a commencé neuf mois plus tôt. Le 25 février 1956 au matin, le secrétaire général du Parti communiste d’Union soviétique, Nikita Khrouchtchev, se livre, devant les délégués au XXe congrès du PC, à un violent réquisitoire contre l’icône des décennies précédentes, Joseph Staline. Il y parle d’exécutions sommaires et de procès truqués en URSS et dans les démocraties populaires. Officiellement, ce rapport devait rester secret. Dans les faits, il est lu à des millions de communistes en URSS. Il circule sous le manteau dans tout l’Est européen. Partout, il constitue un choc. En Pologne et en Hongrie, il provoque un traumatisme.

Mobilisation des intellectuels et des conseils ouvriers hongrois

À Varsovie, la catastrophe est évitée de justesse. Là-bas, Edward Ochab, le premier secrétaire du PC, comprend à l’automne qu’un seul homme peut sauver la mise, Wladyslaw Gomulka, un ancien dirigeant emprisonné après 1949. Excédée et inquiète, la direction soviétique tempête, menace. Les 19 et 20 octobre, après une visite houleuse en Pologne, Khrouchtchev est prêt à envoyer les chars soviétiques. Des ordres sont même donnés, l’état-major du maréchal Joukov se met en ordre de bataille. Au dernier moment, le secrétaire général renonce. Il sait que le sentiment antirusse peut déchaîner la colère de la population. Et, surtout, il sent qu’une partie plus difficile encore est en train de se jouer en Hongrie.

Il est vrai que ce pays a déjà connu une période troublée après 1953. Une première tentative de libéralisation du régime y est tentée, sous la houlette du communiste Imre Nagy. Elle échoue et les conservateurs locaux reprennent la main. En 1956, ils sont face à une explosion. Mais nul, à la tête de l’État hongrois, n’a la clairvoyance d’Ochab. En octobre, les intellectuels se mobilisent et des conseils ouvriers se forment un peu partout, défiant le régime. Le 23 octobre, une manifestation, interdite puis autorisée, rassemble près de 300 000 personnes à Budapest. Le secrétaire général du PC s’affole, des coups de feu sont tirés, des casernes sont prises d’assaut. La manifestation tourne à l’émeute.

Le 24 octobre, dans la nuit, des troupes soviétiques entrent en Hongrie. Entre-temps, les dirigeants hongrois se sont résolus à remettre au pouvoir Imre Nagy, pour calmer la tension. Il est trop tard. Ni la présence des Soviétiques ni les discours rassurants du nouveau chef de gouvernement ne peuvent arrêter les émeutiers. Conscient du caractère massif de la colère, patriote convaincu, Nagy lâche de plus en plus de lest.

Les Soviétiques vont-ils l’admettre  ? Dans un premier temps, ils s’y résolvent, à l’instigation du chef de leur diplomatie, Anastase Mikoyan. Le 30 octobre, désarçonnés par la persistance de la contestation, les dirigeants du Kremlin décident de donner des gages sérieux aux insurgés de Budapest. Ils amorcent le retrait des troupes soviétiques et adressent aux leaders des démocraties populaires une résolution qui desserre de façon spectaculaire le contrôle que l’URSS fait peser sur le « bloc » oriental.

Ce jour-là, tout le monde est d’accord pour jouer la carte de l’apaisement. Même les traditionalistes les plus acharnés, Viatcheslav Molotov en tête, ont dû appuyer la proposition d’ouverture de Khrouchtchev.

La résistance écrasée en quelques jours, le contrôle soviétique intact

Or, le lendemain matin, après une nuit de veille et d’angoisse, le numéro un a changé d’avis. « Il faut réévaluer la situation. Il ne faut pas sortir nos troupes de Hongrie ou de Budapest. C’est à nous de prendre l’initiative de rétablir l’ordre dans ce pays. » Khrouchtchev n’a pas eu le courage de prolonger ses audaces du début d’année. Harcelé à Moscou par les conservateurs, critiqué par le mouvement communiste international, il ne veut pas être taxé de liquidateur d’une puissance soviétique durement forgée dans le second conflit mondial. Cette fois, il n’est pas seul. Le maréchal Joukov, conciliant la veille, acquiesce au nouveau cours. Son collègue, le maréchal Koniev, met en place le plan « Tornade ».

Le 1er novembre, avant l’aube, ses troupes marchent vers Budapest. Le 4 novembre, elles lancent l’offensive pour écraser la « contre-révolution ». En quelques jours, la résistance est balayée. Nagy, réfugié à l’ambassade de Yougoslavie, est arrêté le 22 novembre et transféré en Roumanie, pour être secrètement exécuté deux ans plus tard. Les combats et la répression sont sans pitié. On évoque près de 3 000 morts, plus de 25 000 arrestations, des centaines d’exécutions, 13 000 emprisonnés et 300 000 exilés.

Le régime communiste hongrois est préservé, le contrôle soviétique est intact. Mais si le communisme n’est pas d’un seul siècle, celui du XXe est fragilisé. Sa variante soviétique ne parviendra jamais à effacer la tache de novembre 1956.

Roger Martelli

Révolution anti-stalinienne ou contre-révolution

Pour les Soviétiques de 1956, les événements de l’automne hongrois relèvent de la « contre-révolution », ce qui légitime la violence exercée. Pour d’autres, au contraire, la présence d’authentiques contrerévolutionnaires parmi les émeutiers de Budapest n’estompe pas la dimension démocratique illustrée par l’éclosion des « conseils ouvriers ». Quant à Imre Nagy (1896-1958), il participe à la révolution hongroise de 1919. Exilé en URSS de 1930 à 1944, il est des premiers gouvernements de la libération. Mis à l’écart en 1949, il revient au pouvoir en 1953. À nouveau écarté, il revient sur le devant de la scène en octobre 1956.

Courageux mais revenu trop tard, dépassé par les événements, il est arrêté, puis exécuté en juin 1958.

Repères

25 février 1956 Khrouchtchev dénonce les crimes du stalinisme lors du XIXe congrès du PCUS. 23 octobre Manifestation énorme à Budapest. 24 octobre Les troupes soviétiques entrent en Hongrie. 1er novembre Les troupes marchent sur la capitale hongroise. 4 novembre Les troupes écrasent la « contre-révolution ».


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