1949-2011 : La RDA dans le siècle, du capitalisme d’Etat au capitalisme libéral

samedi 31 octobre 2015.
 

En cette période de crise du capitalisme, les classes dirigeantes ne manquent l’occasion des anniversaires de la chute du mur de Berlin pour prétendre qu’il n’existe pas d’alternative possible au système capitaliste. Nous devrions attendre sagement que l’orage passe en nous serrant la ceinture dans l’attente de lendemains qui chantent.

Les origines de la RDA

Après la chute du Troisième Reich, en 1945, une certaine espérance s’est développée au sein du peuple allemand pour un monde nouveau. Le capitalisme avait apporté la Seconde guerre mondiale, le nazisme et les atrocités sans commune mesure qui vont avec. Le slogan des survivants de Buchenwald était alors « Jamais plus la guerre, jamais plus le fascisme » (1). Ils souhaitaient bâtir un monde meilleur, libre, pacifique et dénué d’idée de profit. Bien que méconnue en France, la résistance intérieure allemande au régime hitlérien fut un phénomène d’importance notamment avec la constitution de l’orchestre rouge par le Parti Communiste d’Allemagne (KPD). A travers toute l’Allemagne on dénombrait des dizaines de milliers de personnes engagées dans les Comités Antifascistes. Rien qu’à Chemnitz on pouvait compter 1300 membres dans le Front Antifasciste. Ces comités, dont les noyaux étaient composés de communistes (KPD), de sociaux-démocrates (SPD) et de syndicalistes, ont organisés par en bas la vie quotidienne, remis sur pied les usines et pris le contrôle des administrations locales ainsi que des entreprises débarrassées de leurs anciens dirigeants nazis (2).

La demande pour une véritable démocratisation du système économique était très présente, tout comme l’espoir d’une société socialiste. Cela a amené des milliers d’artistes et d’intellectuels à revenir d’exil et à s’installer à l’est pour contribuer à l’émergence d’une Allemagne socialiste. Parmi eux Bertolt Brecht fut l’un des plus célèbres à s’engager dans ce sens (3).

Cependant les projets de Staline étaient bien différents. A la base il n’était même pas prévu de transposer système soviétique en Allemagne. Au contraire Staline souhaitait la création d’une Allemagne unifiée, démilitarisée et diplomatiquement neutre qui soit une démocratie bourgeoise participant à la reconstruction de l’URSS. Cependant les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France, opposés à une politique commune de l’Allemagne, firent le choix de constituer la République Fédérale Allemande (RFA) le 23 mai 1949 sur leur zone d’occupation afin d’endiguer la puissance soviétique. L’URSS fait donc le choix de fonder la République Démocratique Allemande (RDA) le 7 octobre 1949 sur sa zone d’occupation, amputée des territoires à l’est de l’Oder qui ont été intégrés à la Pologne.

Dans le même temps l’URSS a fortement encouragé le rapprochement entre le KPD et le SPD, ce qui a amené le 21 avril 1946 à la fusion des deux partis dans la zone soviétique et la naissance du Parti d’Unification Socialiste d’Allemagne (SED). Moscou espérait que cette fusion se réalise aussi dans les zones d’occupation occidentales mais sans succès. Beaucoup de militants des deux partis n’étaient pas favorables à ce processus qui était aussi un compromis entre les bureaucraties. Les militants ouvriers, à l’image d’Oskar Hippe qui fut un grand résistant antifasciste, qui prônaient une construction démocratique du socialisme ont rapidement été exclus du SED. Hippe a même été condamné à 25 ans de camp de travail. C’est près de 10 000 personnes qui furent exclues du SED entre 1948 et 1954 qui est alors définitivement devenu le cœur de la machine étatique est-allemande.

La grève générale de 1953

En 1953, huit ans après la reconstruction, le sentiment d’appartenance à un Etat des ouvriers et paysans se faisait très peu ressentir. Cela n’a pas de quoi étonner puisque le gouvernement a pris la décision d’augmenter les cadences de travail sans contrepartie. Ce fut le déclencheur de la première grande grève générale d’après guerre. Des centaines de milliers de travailleurs sont descendus dans les rues, encouragés par la grève spontanée des ouvriers du chantier de construction de l’avenue Staline à Berlin-est. Plus d’un millier d’entreprises et de coopératives se sont mis en grève et un nombre conséquent d’entre elles ont eu des comités de grève élus par les ouvriers. Les revendications du mouvement sont rapidement devenus politiques : démission des dirigeants du SED, élections libres, libération des prisonniers politiques et réunification du pays. Le 17 juillet 1953 marque l’apogée du mouvement. Les sièges locaux du SED subirent des attaques des travailleurs. A Görlitz, dans le district de Dresde, ce fut une véritable insurrection puisque le maire et le conseil municipal furent démis de leur fonction par 30 000 travailleurs qui ont ensuite constitués une milice (4). Dans ce mouvement les travailleurs insurgés ont symbolisé le fait que l’on ne passe pas au socialisme par des mesures administratives mais bien par la démocratisation de l’économie et de la production.

Les autorités ont réagit avec une grande violence face au potentiel révolutionnaire de ce mouvement. Les SED s’est appuyé sur les chars soviétiques pour chasser les foules des rues et imposer la reprise du travail. Dans les semaines qui suivirent les 17 juin, la Stasi (police secrète) procéda à plus de 10 000 arrestations et on dénombra 55 morts. L’insurrection écrasée, le mécontentement était toujours bien présent. Cela poussa des dizaines de milliers de personnes à s’exiler en RFA (5).

La construction du mur de Berlin

Les autorités est-allemandes n’avaient plus aucun contrôle sur les flux d’émigration vers la RFA. Jusqu’en 1961 nombre de travailleurs berlinois habitaient dans la partie est et travaillaient dans la partie ouest. Il suffisait alors de prendre le bus ou le métro pour passer d’une zone à l’autre. Face à l’importance de l’émigration il fut décidé de renforcer considérablement la police des frontières. De plus John F. Kennedy avait tenté de défier Nikita Krouchtchev sur la question de Berlin lors d’une rencontre en juin 1961. Le dirigeant soviétique reposa les conditions de l’ultimatum de novembre 1958 visant au départ des occidentaux de Berlin-ouest. Le président américain menaça alors les soviétiques de faire usage des armes nucléaires s’ils maintenaient leurs ambitions sur la partie ouest de la ville. Walter Ulbricht, dirigeant de la RDA, décida alors de construire ce qui allait officiellement être dénommé le « mur de protection antifasciste ». La construction fut réalisée dans la nuit du 12 au 13 août 1961 séparant des familles entières entre les deux zones et marquant la division imposée du peuple allemand par les impérialismes rivaux.

La RDA et le bloc soviétique face à la crise des années 1970

Le système économique du bloc soviétique était un capitalisme d’Etat monopolistique, le plus poussé que l’on ai connu jusque là. L’Europe de l’est avait un retard chronique face l’Europe occidentale. La Russie, ayant quasiment perdu son développement industriel balbutiant et l’essentiel de sa classe ouvrière suite à la guerre civile (1917-1921), a lancé sa nouvelle révolution industrielle en 1929 avec le grand tournant initié par Staline. Les Etats ayant été intégrés au bloc soviétique après la seconde guerre mondiale étaient pour la plupart d’anciennes possessions des puissances impériales d’avant la première guerre mondiale. Leurs économies étaient donc majoritairement agraires. La RDA quand a elle a payé le prix fort pour la reconstruction de l’URSS ravagée par la guerre. Cela a considérablement ralenti son redémarrage économique et sa propre reconstruction. Face à la course aux armements le bloc soviétique a opté pour une économie permanente d’armement.

Les années 1970 furent une décennie charnière pour l’Europe de l’est. Avant 1973, les marchés mondiaux en pleine expansion et les taux d’intérêts toujours bas ont encouragé une explosion du crédit bancaire à la fois en Europe de l’Est et dans le Tiers Monde. Les États et les entreprises avaient de grandes facilités à emprunter. Erich Honecker, successeur de Walter Ulbricht à la tête de la RDA déclara même que « Dans le monde d’aujourd’hui, seuls les imbéciles refusent l’usage des prêts » (6), mais son empressement ne fut pas de longue durée.

La concentration du bloc soviétique sur l’industrie lourde, due à la fois à la course aux armements et au retard économique originel de ces Etats depuis leur formation, n’a pas permis de stimuler l’innovation technologique des autres secteurs. Le retard chronique de l’industrie légère soviétique a donc contribué à la limitation du développement de l’industrie du bloc de l’est dans sa globalité. Cela car l’industrie lourde n’a pas pu bénéficier d’éventuels apports de l’industrie légère.

Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 ont permis dans un premier temps à l’URSS de vendre à un prix plus élevé ses barils de pétrole lui permettant d’acheter des devises étrangères (7) et d’importer notamment des céréales. Une intégration plus étroite avec l’économie de l’Ouest n’était donc pas un pari irrationnel. Cependant étant donnée la mauvaise situation économique de l’Europe de l’est rendaient les chances de succès incertaines. En fait cette intégration a aggravé la vulnérabilité de l’économie du bloc soviétique aux fluctuations des taux d’intérêt et de la demande mondiale. Ce processus a généré un effet d’entraînement entre les crises de l’Ouest et de l’Est. L’endettement net de la RDA auprès de l’OCDE a augmenté de plus de 29% par ans dans la dernière moitié des années 70 (8).

L’URSS avait plus ou moins réussi à développer une croissance extensive de ses ressources pétrolifères des années 30 au début des années 80. Cependant le manque d’innovation technologique générée par un système quasi-exclusivement centrée sur une économie permanente d’armement n’a pas permis une croissance intensive lorsque les ressources exploitées ont commencées à se raréfier.

Dans les années 80 la RDA et les économies du bloc de l’Est se sont engagées de plus en plus étroitement avec l’Ouest. Dans le milieu de la décennie, les deux cinquièmes des importations de l’Allemagne de l’est provenaient de l’Ouest tandis qu’elle y envoyait la moitié de ses exportations. La réorientation économique vers l’ouest a posé des difficultés aux dirigeants est-allemands. Le débat se posait entre une politique d’austérité plus autarcique ou une augmentation de la dette envers les créanciers occidentaux et une plus grande intégration économique. Aucune de ces deux réponses n’offrant de véritables solutions à la crise les divisions au sein de la classe dirigeante est-allemande se creusèrent contribuant à la paralysie du système.

Un mur qui se fissure

Fin 1988 le bloc soviétique connu une forte accélération de la crise entamée au début des années 70. Ainsi la production pétrolière soviétique chuta de 30% entre 1988 et 1992. Le projet de libéralisation économique et politique de Gorbatchev échappa au contrôle des dirigeants soviétiques. Celui-ci dû faire face aux bouleversements économiques et aux soulèvements nationaux. Les premières semaines de 1989 ont vu une série de changements politiques fondamentaux comme la reconnaissance de partis non-staliniens en Hongrie ou l’organisation de tables rondes réunissant gouvernement et opposants en Pologne. Moscou a laissé faire ces évènement depuis le précédant polonais de 1980 avec la montée en puissance du syndicat ouvrier Solidarność. L’Union Soviétique craignait qu’une intervention en Pologne ne mette le feu aux poudres dans toute l’Europe de l’est.

Encouragée par les promesses d’aide économique par la RFA, la Hongrie a choisit à partir de Mai de démanteler ses fortifications frontalières avec l’Autriche. Ainsi de nombreux « vacanciers » est-allemands en Hongrie en profitèrent pour passer la frontière avec l’Autriche afin de rejoindre la RFA. Cela ne se fit pas sans heurt et les forces de sécurité hongroises blessèrent plusieurs personnes. L’incapacité des autorités est-allemandes à stopper cette vague d’émigration signifia un approfondissement de la crise de régime. En septembre l’Allemagne de l’est était en effervescence avec nombre de discussions politiques dans les entreprises, les cafés, les universités et les lycées. La Stasi, police secrète est-allemande, rapporta qu’un « grand nombre de travailleurs, en particulier dans les usines, montrèrent une tendance croissante à blâmer l’Etat et la direction du SED » (9) pour la situation économique de plus en plus dramatique. De plus en plus de monde en RDA réfléchi à la manière d’agir pour le changement et des protestations publiques sont de plus en plus envisagées.

Le renversement d’un dictateur

Début octobre Honecker a tenté de resserrer la vis en supprimant les visas touristiques de sortie vers la Tchécoslovaquie. Il a aussi ordonné à la Stasi de briser la contestation. La protestation pris différentes formes illégales : distributions de tracts, manifestations et émeutes. Dresde connu sa plus importante émeute depuis 1953. En septembre et octobre les rapports de la Stasi démontrent l’acuité avec laquelle des changements économiques et politiques sont revendiqués dans les lieux de travail. Plusieurs grèves spontanées ont éclatées et durant la première semaine d’octobre les chauffeurs de bus et les infirmiers ont lancé le mouvement. A proximité de la Tchécoslovaquie, 600 mineurs de la ville d’Altenberg se sont mis en grève pour exiger la réouverture de la frontière. Les dirigeants étaient conscients qu’une répression militaire des manifestations de masse à Dresde, Plauen ou Leipzig risquait d’étendre les mouvements de grève s’ils ne promulguaient pas l’état d’urgence. A Dresde le 7 octobre et à Plauen le 8 les manifestations obligèrent les autorités municipales à négocier sur les changements politiques. Plusieurs arrestations eurent lieu et la répression semblait aller en s’augmentant. Mais le 9 octobre a marqué le tournant du mouvement. A Leipzig la répression militaire était programmé par les instructions du ministre de l’intérieur, qui avait déjà participé à l’écrasement de l’insurrection de 1953, et des dizaines de milliers de soldats, membres des forces de sécurité et de la Stasi ont été dépêchés sur place. La plus grande manifestation de l’histoire de la RDA eu lieu et une face à face tendu avec les forces de sécurité s’établit. Mais face au nombre de manifestant les forces de sécurité tirèrent en l’air. Le chef de la Stasi Eric Mielke reprocha à Honecker le fait de croire à la possibilité de « battre des centaines de milliers de personnes » (10).

Le mouvement montra donc qu’il ne reculerait pas. Les dirigeants du régime ont montré l’épuisement de leur stratégie répressive, se trouvant dans un état de siège. Des flottements et des menaces de grève au sein même des forces de sécurité ont été rapportés par la Stasi. Avec l’approbation tacite de Gorbatchev les membres du Bureau Politique du SED ont finalement organisé l’éviction de Honecker. Mais cela ne fut que pour le remplacer par Egon Krenz qui était déjà considéré comme son « dauphin ». Cependant cela brisait l’inflexible continuité du pouvoir auparavant détenu 18 ans durant par Honecker. L’espoir des dirigeants est-allemands était que le remplacement de Honecker plus un léger adoucissement de la rhétorique et quelques réformes suffiraient à convaincre le public que le changement était en cours et ainsi apaiser le mouvement de protestation. En fait le résultat fut à l’opposé, les manifestants augmentèrent en nombre pensant que désormais tout était possible.

Un des aspects les plus mémorables de l’automne 1989 fut l’irruption de la société civile. Chaque jour deux à trois demandes d’enregistrement de nouvelles associations parvenaient au ministère de l’Intérieur. On vit l’apparition ouverte de groupes politiques, libéraux, conservateurs, trotskystes, anarchistes et bien d’autres. Des comités furent formés pour ouvrir des enquêtes sur les violences policières. La censure a commencé a être levée et les ouvrages et films auparavant interdit furent disponibles.

La chute du mur de Berlin

N’ayant pas réussi à arrêter le mouvement dans son élan, le régime choisi d’introduire des réformes considérés jusqu’alors inconcevables. A peine eu-t-il pris ses fonction que Krenz dû rapidement faire face aux même critiques que Honecker. Le mouvement se radicalisait encore plus et réclamait tout tout de suite. Les bannières et les slogans des manifestations étaient dirigés directement contre les institutions d’Etat dont le ministère de l’intérieur. On appelait alors le gouvernement a démissionner, le SED à lâcher son monopole du pouvoir, un procès pour Honecker et ses acolytes ainsi que l’abolition de la Stasi. Mais la revendication la plus symbolique fut celle sur la liberté de mouvement, de déplacement et de voyage. En novembre le gouvernement céda et publia une loi donnant le droit de voyager. Cependant aucune référence à la date d’entrée en vigueur ne fut inscrite et le pouvoir cherchait à gagner du temps. Un fois encore les manifestants ont appuyé sur ce recul absolu du gouvernement en réclamant la dissolution de la Stasi. Pris dans le désarroi le gouvernement annonça l’ouverture de la frontière avec la RFA marquant ainsi le triomphe du mouvement.

Contre les privilégiés !

Un des aspects a avoir été dénoncé par les manifestants étaient les privilèges de la nomenklatura du SED et c’est dans cette optique que nombre d’entre-eux lancèrent le slogan « nous sommes le peuple ». Le mode de vie luxueux des dirigeants de l’Etat, qui avaient prêché inlassablement l’égalité et l’austérité des citoyens est-allemands, a été exposé à la vue du public. Honecker possédait 14 voitures, dont une Mercedes, alors qu’il était à la tête d’un système dans lequel ses administrés étaient obligés d’attendre 14 ans pour acheter une Trabant. Il a été révélé que chaque année des millions de Deutsche marks ont été détournées de l’économie afin d’acheter des biens de l’Ouest pour les bureaucrates qui, en public, présentaient sans honte la supériorité de « leur » économie.

Ces scandales ont enflammé l’opinion publique, et les banderoles dans les manifestations reflétèrent cet état d’esprit nouveau avec des slogans comme "Le travail manuel pour les bureaucrates !" et "salaire minimum pour le Politburo !" Beaucoup espéraient un avenir meilleur où ces privilèges seraient abolis.

Des mouvements de grève se poursuivirent notamment en décembre en réclamant des hausses de salaires, de meilleurs logements. Des revendications contre les dirigeants d’usines et les patrons se firent même entendre. Les succès des manifestations publiques entraînant une baisse de moral chez les cadres a encouragé les travailleurs à se réunir, discuter, formuler des revendications et prendre des mesures. Dans plusieurs cas les employés ont revendiqué le licenciement de certains cadres, ou la suppression des organisations de travail de l’État.

L’appel à l’ouverture des comptes des entreprises (ou, moins fréquemment, des données écologiques) sous contrôle de la main-d’œuvre ou du public était très répandu. Les travailleurs de l’usine d’ampoule Narva à Berlin ont exigé que les comptes de l’entreprise soient publiés afin que les effectifs puissent participer à l’élaboration et à la planification des activités futures (11).

Cependant, le Nouveau Forum, qui coordonnait les groupes d’opposition civiques, à préféré participer à des négociations avec le pouvoir déclinant plutôt que de faire face à une grève générale. Les États occidentaux craignaient eux aussi cette éventualité de peur qu’elle ne contamine le bloc de l’ouest de la même manière que les évènements de 1968 ont touché les deux parties de l’Europe. En janvier 1990 le Nouveau Forum accepta de participer à un gouvernement d’union nationale dirigé par le SED.

La réunification allemande et le passage au néolibéralisme

Il y avait un réel fossé entre un bon nombre de groupes d’opposition et les manifestants. La plupart de ces groupes souhaitait une réforme de la RDA, voulait négocier dans son cadre. Au même nomment la revendication pour une Allemagne unifiée se faisait de plus en plus présente dans les manifestations. La majeure partie des manifestants ne montrait une attache particulière pour l’Etat est-allemand et souhaitaient voir terminé la division de leur pays par les impérialismes américains et soviétiques.

La poursuite de la crise économique en RDA a rendu de plus en plus pragmatique la nécessité de la réunification. La bourgeoisie ouest-allemande y voyait de son côté une opportunité d’étendre la puissance de la RFA. C’est cela même qui effraya François Mitterrand et Margaret Thatcher opposés à une réunification de peur de l’émergence d’une Allemagne trop puissante. Depuis la crise des années 70 plusieurs dirigeants du bloc soviétiques furent convaincus du besoin de passer du système de capitalisme d’Etat au capitalisme libéral. Seuls les vieux caciques des régimes de l’est étaient persuadés de devoir maintenir les choses en l’état. C’est pourquoi Honecker a été lâché par Gorbatchev.

La bourgeoisie ouest-allemande a vu l’opportunité de faire des est-allemands une main d’œuvre à bas coup concurrençant les ouest-allemands et pouvant faire pression sur les salaires conditions de travail de ces derniers. Les dirigeants est-allemands s’étaient mis d’accord avec les patrons ouest-allemands pour organiser l’implantation de firmes comme Siemens et Volkswagen. Egon Krenz et ses acolytes ne sentaient plus capables de maintenir la RDA en pratiquant des baisses de salaires, la dégradation des conditions de travail et la destruction des acquis sociaux alors que les revendications de la rue allaient dans le sens contraire. La RDA, alors terriblement affaiblie, risquait d’être balayé par une révolution et avec elle ses dirigeants. La réunification pouvait fournir le cadre d’un Etat puissant à même de mener des politiques anti-sociales. Ce fut d’abord l’idée d’une union économique qui émergea mais elle fut rapidement dépassée par l’idée de réunification totale. Le Kremlin donna d’ailleurs son feu vert en ce mois de janvier 1990 en échange d’un engagement des Etats-Unis, de la Grande Bretagne, de la France et de la RFA à ne pas étendre l’OTAN à l’est. Engagement qui n’aura pas été de très longue durée…

En février les manifestations diminuèrent et les partis politiques ouest-allemands en profitèrent pour organiser des meetings à l’est. Les élections qui se tinrent en mars donnèrent la victoire à la CDU d’Helmut Kohl notamment sous la promesse fallacieuse de faire profiter à tous de la croissance l’économie libéralisée. Les groupes d’oppositions civiques ont réalisé de très faibles scores avec environ 5% des voix. Cela est du à leur décalage avec le gros du mouvement, leur manque de racines populaires et aussi le fait qu’il s’étaient posés en interlocuteurs du régime n’étant pas prêt à le combattre jusqu’au bout laissant un vide pour la direction du mouvement. Les partis ouest-allemands, CDU en tête, ont saisi cette fenêtre pour se renforcer.

Dans cette période les dirigeants staliniens ont adoptés diverses postures afin de conserver les fondements de leur pouvoir ou d’en créer de nouveaux. Certains ont négocié leur intégration dans les nouveaux régimes, d’autres ont utilisés à leur profit les fonds d’entreprises d’Etats et d’autres sont entrés en collusion avec la mafia comme en Russie. Ainsi il n’y a pas eu de réel changement des élites dirigeantes. Un certain nombre de cadres du SED sont tout simplement passés à la CDU ou au SPD. Les cadres dirigeants de la RDA ont usé de leur position et de leurs connaissances pour bénéficier des privatisations des entreprises étatiques.

Conclusion

Les espoirs portés par le mouvement de 1989 furent de courte durée, car la réunification avec la RFA signifia la libéralisation totale de l’économie. Nombre d’entreprises furent délocalisées et le taux de chômage en RDA explosa. Le système de protection sociale fut progressivement mis en pièce. La chute du bloc de l’est signifia ni plus ni moins une transition du capitalisme d’Etat vers un capitalisme libéral. La crise économique des années 70 entraîna une série de changement et une remise en cause du pacte social issu de la seconde guerre mondiale. L’Etat social fut attaqué dans les deux blocs et les dirigeants de l’est n’eurent aucune peine a troquer leur socialisme de façade pour une libéralisation sauvage de l’économie.

Les Etats du bloc de l’est comme la RDA n’avaient de communistes que le nom, de la même façon que la France de Sarkozy se prétend être une terre de liberté d’égalité et de fraternité. Le socialisme c’est le pouvoir des travailleurs et non pas celui d’une classe dirigeante minoritaire et exploiteuse. Le stalinisme hors jeu, le communisme dans le véritable sens du terme peut donc revenir sur la scène du débat anticapitaliste. La chute de l’URSS et de ses satellites a marquer la crise de la version étatisé du capitalisme, aujourd’hui depuis 2008 nous assistons à la crise du capitalisme dans son ensemble qu’il soit étatique ou libéral. Il est encore plus temps de se battre pour le pouvoir des travailleurs, le communisme par en bas seule alternative face à la crise économique et écologique.

Laurent Bauer

Notes : 1 - »Nieder wieder Krieg, nie wieder Faschismus« 2 - Zerstörte Hoffnung, Olaf Klenke, Marx21 n°11 juin 2009 3 - ibid 4 - Volkserhebung gegen den SED-Staat – Eine Bestandsaufnahme zum 17. Juni 1953, Roger Engelmann 5 - Zerstörte Hoffnung, Olaf Klenke, Marx21 n°11 juin 2009 6 - A short autumn of utopia : The East German revolution of 1989, Gareth Dale, International Socialism Journal, n°124, septembre 2009 7 - Soviet action during the recent oil crisis (S-6486), 23/09/1974, archives en ligne de la CIA, http://www.foia.cia.gov/ 8 - Poland : Crisis of State Capitalism, Chris Harman, International Socialism Journal n°93 et 94, first series (Novembre 1976 et Janvier 1977) 9 - Die heile Welt der Diktatur, Stefan Wolle, 1998 10 - Democracy and the Market, Adam Przeworski, Cambridge University Press, 1991 11 - Tribüne, 7 décembre 1989

PS : Le présent article est basé pour une bonne partie sur les articles Zerstörte Hoffnung de Olaf Klenke (Marx 21 n°11, juin 2009) et A short autumn of utopia : The East German revolution of 1989 de Gareth Dale (International Socialist Journal n°124, septembre 2009).


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