Philippines : Le pouvoir, une affaire de famille(s)

jeudi 24 septembre 2009.
 

L’annonce, le 9 septembre, de la candidature du sé­nateur philippin Benigno “Noynoy” Aquino III à l’élection présidentielle de l’an prochain n’avait rien de surprenant, et pourtant elle m’a laissé perplexe. Les dynasties politiques sont l’une des raisons pour lesquelles les Philippines se traînent en queue de peloton des pays asiatiques en termes de développement. Elles sont à l’origine de la corruption endémique, concentrent le pouvoir dans les mains de quelques-uns, maintiennent la majorité de la population dans la pauvreté et empêchent l’arrivée de nouveaux talents sur la scène politique. En bref, elles sont antidémocratiques. Et voilà que le fils d’une farouche avocate des valeurs démocratiques, l’ancienne présidente défunte Corazón Aquino, cherche ap­paremment à perpétuer ce fléau.

Le décès de Corazón Aquino, en août dernier, a ranimé l’esprit de la révolution du pouvoir du peuple, qui, en 1986, avait renversé le dictateur Ferdinand Marcos et propulsé “Cory” à la présidence. Beaucoup craignent que l’actuelle présidente, Gloria Macapagal-Arroyo – qui est la fille d’un ancien chef de l’Etat [Diosdado Macapagal, au pouvoir de 1961 à 1965] et dont deux fils, un beau-frère et une belle-sœur siègent au Congrès –, ne cherche à imposer une réforme de la Constitution afin de se maintenir au pouvoir après la fin de son mandat. Tandis que le pays pleurait Corazón Aquino et faisait son éloge, des appels se sont fait entendre pour que son fils brigue la présidence, malgré le médiocre bilan de ses onze ans au Congrès, puis au Sénat. M. Aquino doit moins sa carrière politique à ses compétences qu’à la notoriété de sa mère et de son père, tout aussi vénéré : Benigno Aquino Jr était sénateur et chef de l’opposition quand il fut assassiné par des hommes de main de Marcos, en 1983.

Une disposition antidynasties restée lettre morte

Si Mme Arroyo ne parvient pas à ses fins, la coalition qu’elle dirige dispose d’une autre carte dynastique dans sa manche. On prédit qu’elle proposera la candidature du cousin germain de M. Aquino, l’actuel ministre de la Défense Gilberto Teodoro. Les deux hommes font partie d’un clan qui domine le pays depuis des décennies. [La famille Marcos envisagerait elle aussi de se lancer dans la course avec Ferdinand “Bong-Bong”, fils du dictateur.] Les dynasties politiques sont monnaie courante en Asie, et particulièrement en Asie du Sud-Est. Mais la pratique se répand sur tout le continent : les Premiers ministres de Malaisie et de Singapour sont fils d’anciens Premiers ministres, et le nouveau chef du gouvernement japonais, Yukio Hatoyama, avait un grand-père Premier ministre. Mais nulle part les clans politiques et économiques ne sont aussi enracinés qu’aux Philippines.

Les colonisateurs espagnols, puis américains ont favorisé l’élite des propriétaires terriens philippins. Ce système en grande partie féodal a perduré après l’indépendance du pays, en 1946, une poignée de privilégiés accédant au pouvoir pour préserver leurs intérêts. Avec le temps, ces dynasties ont fini par se convaincre que le pouvoir leur revenait de droit. Aujourd’hui encore, elles utilisent leur fortune pour s’y maintenir, et les Philippins ordinaires acceptent cette situation avec résignation.

Le Centre pour l’implication du peuple dans la vie politique, une organisation qui milite pour une participation politique accrue de la population, estime que, dans ce pays de 92 millions d’habitants, 250 familles monopolisent le pouvoir aux niveaux national et local. Ces familles ne représentent que 0,00001667 % des 15 millions de ménages philippins. Sur les 265 membres du Congrès, les deux tiers environ sont issus de ces clans.

Un si petit nombre de familles détenant le pouvoir, il n’est pas étonnant que celles-ci répugnent à voter des lois susceptibles de remettre en cause leur position confortable. La réforme agraire est une nécessité urgente, mais la plupart des terres sont toujours entre les mains de l’élite. La Cons­titution de 1987 contient une disposition interdisant les dynasties [politiques], mais les tentatives visant à la faire appliquer ont été contrecarrées à plusieurs reprises par le Congrès.

Les Philippins affirment que leur pays est une démocratie, mais la nature dynastique du pouvoir les contredit. L’éducation est le meilleur moyen de faire changer les choses, même si c’est une tâche de longue haleine. Une solution plus rapide serait d’élire un prési­dent résolu à briser l’emprise des dynasties. Si M. Aquino est sincère dans sa volonté de mettre la démocratie en état de marche, il ferait bien de placer la mise en application de la loi antidynasties en tête de son programme électoral.

Peter Kammerer,

  South China Morning Post


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