Iran « Le mouvement étudiant, cauchemar du régime »

samedi 2 janvier 2010.
 

Saeed Peyvandi est sociologue de l’éducation à l’université de Paris-VIII et auteur de « Religion et Éducation en Iran. L’échec de l’islamisation de l’école ».

Pourquoi la jeunesse iranienne est-elle si mobilisée  ?

Saeed Peyvandi. La jeunesse iranienne avait placé un grand espoir dans les élections de juin 2009, en pensant pouvoir changer la situation  : réduire 
la répression, les interdits. Elle 
s’est trouvée devant des résultats très surprenants. On a eu une révolte contre la fraude massive constatée lors des élections. La jeunesse est pour une ouverture sur le monde, alors qu’elle observe une société iranienne qui se ferme de plus 
en plus.

Pourtant, il y a eu des tentatives grâce au système éducatif d’intégrer la jeunesse au régime.

Saeed Peyvandi. Lors de la révolution culturelle en 1980, le régime 
voulait changer le système éducatif, endiguer l’influence de la « culture occidentale » et promouvoir 
la culture islamique. Cela n’a pas véritablement marché. Ce modèle éducatif est très idéologique, endoctriné, répressif. La jeunesse 
n’a pas accepté ce système 
de valeurs, cette culture. Pendant des années, les jeunes ont lancé une révolte silencieuse, en créant une culture souterraine. Progressivement, cette révolte silencieuse est devenue réelle. C’est ce que l’on voit actuellement. 
La jeunesse s’est formée au sein 
d’un système idéologique, endoctriné. Elle se révolte contre 
ce système.

Quel est le rapport des milieux conservateurs au système éducatif  ?

Saeed Peyvandi. Le système a connu un succès important. Le système éducatif s’est étendu pendant ces trois dernières décennies. Nous avons aujourd’hui trente fois plus de filles à l’université qu’il y a trente ans lors de la révolution. La proportion de filles était alors de 26-27 %. Elle est de 52-53 % aujourd’hui. Qu’est-ce qui explique ce succès dans les milieux traditionnels  ? Je pense que ces milieux qui n’allaient pas vraiment à l’école ont mieux accepté ce système islamisé que le système précédent, considéré comme occidentalisé. En même temps, cette jeunesse se transforme à travers l’école. Elle apprend à lire, à écrire, à voir et à réfléchir. Mais elle n’apprend pas uniquement à l’école. Elle apprend avec la famille, avec Internet, avec d’autres moyens. Il y a beaucoup de fenêtres sur le monde. Trois millions d’Iraniens vivent à l’étranger.

Les révoltes se concentrent-elles essentiellement dans les villes universitaires  ?

Saeed Peyvandi. Si vous regardez bien, les révoltes se concentrent dans les villes universitaires. Mais il y en a deux cents dans le pays. L’université accueille aujourd’hui 3 millions d’étudiants en Iran, contre 2,4 millions en France. Même si l’Iran compte 10 millions d’habitants de plus que la France, cela reste un chiffre très important. C’est pour cela que l’université est devenue un cauchemar pour le système. À l’université, la jeunesse n’accepte plus les valeurs et le modèle islamiques. Mais il est vrai que cela reste une révolte très urbaine, de la classe moyenne et d’une partie des classes populaires. Au niveau des zones rurales, on a beaucoup moins de mécontentement et d’actes de révolte.

Comment les mouvements en cours pourraient-ils réagir aux récentes arrestations d’opposants  ?

Saeed Peyvandi. C’est pour l’opinion publique un acte scandaleux. Au début des révoltes, des personnalités ont été arrêtées, mais sans que cela fonctionne. Ces gens-là n’ont pas grand-chose à voir avec cette révolte. Cette révolte n’a pas de centre, de leadership. Elle est plurielle, à plusieurs voix. Il y a plusieurs discours, mais qui sont acceptés mutuellement. C’est pourquoi je ne pense pas que les arrestations changent quelque chose. Elles vont créer plus de méfiance contre un État qui ment sans arrêt. Pendant toute la journée de dimanche, ils ont démenti qu’il y ait eu des morts avant de le reconnaître en soirée.

Entretien réalisé par Gaël de Santis


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