Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize (Arthur Rimbaud le 3 septembre 1870)

vendredi 20 octobre 2023.
 

Après la défaite face aux armées allemandes et l’effondrement du régime de Napoléon III, la France connaît un moment de doute que les cléricaux monarchistes utilisent pour tenter d’imposer un retour à la tradition du Roi politiquement absolu et de l’Eglise idéologiquement totalitaire.

Napoléon 3, empereur des crapules autoritaires au service de l’argent roi

19 juillet 1870 Napoléon 3 déclare stupidement la guerre à la Prusse

L’armée française de 1870 était commandée par des branquignoles réactionnaires

6 août 1870 à Forbach Spicheren : Les charlots (maréchaux, généraux) à la guerre

Agé de 15 ans, Arthur Rimbaud suit les évènements, dont le vote des crédits de guerre par les députés français ( 15 juillet 1870). Le lendemain, 16 juillet, Paul de Cassagnac, rédacteur en chef du Pays et conservateur virulent (il a blessé en duel Rochefort, Lissagaray et Flourens) appelle à une réconciliation patriotique nationale pour gagner la guerre « Français de tous les partis, républicains, orléanistes, légitimistes, bonapartistes, écoutez car d’ici peu d’instants le canon étouffera nos voix… » et il achève : « Vous républicains, savez-vous qu’à pareille époque, en 1792, les Prussiens entraient en Lorraine, et la Convention déclarait la France en danger. Vous fûtes grands et nobles ; souvenez-vous. »

Deux jours plus tard, Arthur Rimbaud présente à ses amis, particulièrement son enseignant Isambard, le poème ci-dessous, généralement daté du 3 septembre 1870. Il célèbre, lui, une toute autre tradition, celle de l’épopée révolutionnaire et de l’idéal républicain, celle des soldats de 1792 et 1793 :

- qui moururent "extasiés et grands dans la tourmente" de la première grande période révolutionnaire de l’histoire humaine

- qui moururent en brisant sous leurs "sabots" le joug idéologique et politique étouffant l’humanité

- qui moururent "sous les haillons", porteurs de la liberté et de l’amour mais que la Mort a régénérés dans les vieux sillons (référence à La Marseillaise)

- qui moururent à Valmy, Fleurus ou durant la campagne d’Italie, comme un "million de Christs aux yeux sombres et doux", lavant par leur trépas "toute grandeur salie" de l’humanité

- dont le souvenir et le combat n’ont pas été dignement prolongé par les générations suivantes "courbées sous les rois comme sous une trique" ; souvenir et combat qu’il est l’heure de faire revivre au présent.

Les Parisiens proclament la république, le lendemain, 4 septembre 1870.

Le jeune Rimbaud ou l’exigence d’une vraie vie

Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize,

Qui, pâles du baiser fort de la liberté,

Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse

Sur l’âme et sur le front de toute humanité ;

Hommes extasiés et grands dans la tourmente,

Vous dont les coeurs sautaient d’amour sous les haillons,(s)

O Soldats que la Mort a semés, noble Amante,

Pour les régénérer, dans tous les vieux sillons ;

Vous dont le sang lavait toute grandeur salie,

Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d’Italie,

O million de Christs aux yeux sombres et doux ;

|

Nous vous laissions dormir avec la République,(p)

Nous, courbés sous les rois comme sous une trique.

- Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous !

Arthur Rimbaud

Fait à Mazas le 3 septembre

Ce poème présente indiscutablement une dimension mystique :

- par la personnification déification de la liberté qui embrasse les soldats

- par la personnification déification de la Mort, leur amante qui les régénère dans les vieux sillons

- par la déification en un "million de Christs aux yeux sombres et doux"

- par la souillure humaine lavée dans le sang versé

Il présente cependant un intérêt bien plus fort que tous les colloques universitaires réunis lors du bicentenaire et dont il n’est sorti aucun élan républicain, aucun élan progressiste.

Pourquoi ?

Parce que l’aspiration du jeune Rimbaud à la liberté, au progrès, au bonheur est à la hauteur des aïeux des années 1792 et 1793, ce qui fut très rarement le cas lors du bicentenaire pour des républicains qui ne se voulaient pas jumeaux de la révolution. Rimbaud ravive une espérance alors que les commémorateurs l’enterraient. Rimbaud porte cette espérance pour demain alors que les commémorateurs enfouissaient sous leurs savoirs un moment d’histoire lointain. Rimbaud fait revivre le désir du peuple alors que les commémorateurs pérorent sur des institutions.

En raison aussi de la qualité esthétique du poème, à la hauteur de l’importance historique des années 1792 et 1793. Il s’agit d’un sonnet très classique par ses alexandrins (vers de 12 syllabes), par sa construction en deux strophes de 4 vers, deux de 3 vers, par ses rimes croisées, par ses puissantes figures de style (métaphores, allégories, personnification...).


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