Montesquieu et l’universel humain (par CLAUDE MAZAURIC, historien)

dimanche 31 janvier 2010.
 

LE DESSEIN POLITIQUE DE MONTESQUIEU, de Guillaume Barrera. Éditions Gallimard, 2009, 504 pages, 29 euros.

On ne peut rien saisir du mouvement des Lumières, de leur diversité et de leur imprégnation dans la culture européenne de la seconde du XVIIIe siècle, si l’on ignore Montesquieu. La fréquentation de l’oeuvre du seigneur de La Brède, grand magistrat au Parlement de Bordeaux, non seulement éclaire les grandes interrogations qui ont partagé philosophes et théoriciens de ce grand siècle de la pensée critique, mais elle contribue à ce que nous mesurions à quel point les débats les plus abstraits pouvaient contribuer à magnifier les enjeux sociaux sous-jacents et à féconder les luttes politiques d’un siècle qui s’achève avec la Révolution française.

Le gros ouvrage de Guillaume Barrera ne vise pas à nous présenter un Montesquieu penseur monolithique et cohérent. Mais à partir d’une lecture, semble-t-il exhaustive, de l’oeuvre si diverse, apparemment papillonnante, toujours en mouvement, il nous suggère de concevoir Montesquieu comme un penseur de la, ou du politique, d’abord attaché à créer les conditions politiques et institutionnelles du bonheur en société et de la « prospérité » du genre humain : ce qui serait son « vrai dessein ». Cette hypothèse, au demeurant exposée avec talent, est fondée sur une argumentation solide et érudite. Néanmoins, toute la démarche intellectuelle, à la fois critique et empirique, de Montesquieu ne saurait se réduire à cette visée pratique dont la recherche d’une « prospérité », d’abord matérielle, constituerait le coeur.

Par la mise en question qu’il opère de la notion contraignante de « pacte », comme l’avait exposée Hobbes, par le regard distancié qu’il jette sur les théories contractualistes au nom de la fidélité qu’il affiche à l’égard des propositions des penseurs « anciens », par la relativisation généralisée de tous les dogmes sociaux auquel un scepticisme de bon aloi le prédispose, Montesquieu introduit, peut-être sans le vouloir mais souvent malicieusement, un principe de subversion de la culture classique à un fondement théologique.

Tous les penseurs du siècle venus après lui, Jean-Jacques Rousseau notamment, mais aussi Mably, s’en sont nourris. L’idéal politique de modération et de recherche de la temporisation systématique, résultant peut-être de son origine « féodiste » comme le pensait Holbach et comme l’avait théorisé Althusser, n’épuise ni le dessein de Montesquieu ni la portée de son apport théorique à la construction d’un monde de l’homme qui, certes, ne serait pas parfait mais perfectible, et qui surtout serait établi pour le bien de tous les humains, femmes et hommes, dominés et gouvernants. Au risque pour Montesquieu de passer pour candide. Mais avec le souci d’être utile à tous. Il faut évidemment lire Montesquieu : l’enquête de Guillaume Barrera nous y invite et c’est là l’un de ses grands mérites.


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