Grèves du Nord au Sud pour les salaires et l’emploi (dossier de L’Humanité)

mercredi 31 mars 2010.
 

1) Chez Total  Dunkerque : on attend 
les politiques au tournant

Les salariés de la raffinerie des Flandres, toujours en grève, formaient le gros du cortège, mardi 23 mars, à Dunkerque. Ils se demandent quel rôle les élus peuvent jouer dans leur lutte.

Quand les militants SUD ouvrent le coffre de leur voiture, monte une odeur piquante de revenez-y. Un fumet qui irrite les sinus et leur rappelle le dernier épisode de la lutte. « Cela vient des drapeaux. Ils sont encore imbibés des gaz lacrymos qu’on s’est pris lors de la manif à Paris », explique Philippe Wullens, secrétaire SUD du comité d’entreprise de la raffinerie des Flandres, à Dunkerque. Après le rassemblement, le 8 mars, au pied de la tour Total, à la Défense, les salariés de Total ont donc défilé à domicile, mardi, place Jean-Bart. Pour rappeler qu’ils sont toujours en grève, qu’ils ne lâchent pas, même si les autres raffineries ont depuis longtemps repris le travail. Autour d’eux, un cortège d’environ 1 200 personnes.

À Dunkerque, fief ultra-verrouillé du socialiste Michel Delebarre, la liste d’union de la gauche menée par Daniel Percheron a dépassé le score régional (51,89 %), avec 53,58 %. De la précampagne à l’entre-deux-tours, la raffinerie a été le principal point de chute des candidats. « La gauche nous a soutenus, logistiquement et financièrement. C’est normal, c’est son rôle. Mais est-ce qu’elle va continuer maintenant que le scrutin est fini  ? » s’interroge Matthieu, employé à la prévention du site. Comme beaucoup d’autres, Christophe, opérateur, croit peu à l’impact des élus sur le dossier Total. Pour lui, « l’unique solution pour faire plier la direction, c’est de refaire une grève nationale, jusqu’à ce qu’on assèche les stations-service ».

Jean-Paul, syndiqué CGT et documentariste, se dit « fataliste », car « aujourd’hui, c’est le pognon qui dirige ». Néanmoins, son divorce avec la politique n’est pas consommé. Il le répète à maintes reprises  : il a voté Front de gauche et reste fidèle à son camp. D’autant que l’adversaire absolu, le FN, mené par Marine Le Pen, a fait 22,2 % dans la région, après une campagne très axée sur le social. « À la raffinerie, il y en a qui ont voté FN. C’est normal, il y a un tel niveau de dégoût », estime Hervé, cégétiste et lui aussi électeur du Front de gauche. Sa femme, Laurence, est nettement moins clémente. « Le problème, c’est surtout que les gens ne réfléchissent pas  ! Le FN n’a pas de solution, tout ce qu’il fait c’est désigner des coupables. » Laurence n’a pas voté. Pour elle, le lien entre la politique et la réalité sociale est cassé. « Peut-être pas pour toujours, mais là je ne m’y retrouve pas. »

Mehdi Fikri

2) Renault Cléon Rouen : message de défiance

Les salariés du site Renault de Seine-Maritime sanctionnent la droite et mettent la gauche en garde.

Rouen, correspondance. Les « Renault Cléon », comme on les appelle en Seine-Maritime, sortent d’un conflit long et difficile mais victorieux. Les salariés de Renault viennent en effet d’obtenir de leur direction nationale une prime de 500 euros en sus d’une première prime d’un même montant attribuée en début d’année à tous ses salariés, quand les 2 800 cadres, eux, en obtenaient une comprise entre 10 000 et 15 000 euros. Gonflés par ce succès dans un contexte où la plupart des entreprises gèlent les rémunérations, quelque 200 salariés du site de Renault Cléon, basé dans l’agglomération d’Elbeuf, se sont rendus mardi à Rouen à la manifestation interprofessionnelle, à laquelle ont répondu plus de 10 000 salariés du public mais aussi du privé.

Revigorés par cette victoire, les salariés étaient porteurs d’un message politique fort, dans la continuité du vote de dimanche dernier et de la sanction donnée à la droite, même chez ceux qui, comme Tony, vingt-neuf ans et neuf ans d’usinage dans l’entreprise pour 1 500 euros net avec les primes d’équipe et de panier, portent plus d’espoir dans la lutte sociale dans la rue que dans les élus, quel que soit leur bord politique. Un message que Patrice Lujan, cinquante-six ans, dans l’entreprise depuis 1976, traduit concrètement. « Plus qu’une nouvelle sanction, notre présence aujourd’hui dans la manifestation est un message de défiance vis-à-vis du gouvernement. Mais la gauche n’a pas à crier victoire car nous serons là aussi si elle s’attaque à la retraite. » Message à peine voilé contre les propos ambigus de Martine Aubry, première secrétaire du PS, qui acceptait-il y a peu l’idée de reporter l’âge légal de départ après soixante ans.

Bailaly, vingt-cinq ans et embauché « réellement » depuis 2005, en a, lui « ras le bol de tout, des conditions de travail et du salaire vraiment insuffisant. Je souhaite que cette manifestation amorce quelque chose de beaucoup plus important comme la grève générale », invite le jeune homme, récemment syndiqué à la CGT. « Je sais bien que ce n’est pas cette journée qui va faire tomber le gouvernement, mais cela peut être un bon début », conclut le jeune homme.

Frédéric Seaux

3) SNCF Marseille "Le mécontentement risque d’exploser d’un coup"

À Miramas, près de Marseille, les cheminots en lutte pour préserver le fret aimeraient s’inscrire dans un mouvement plus large.

Pour eux, les coups pleuvent. Et les sujets de mécontentement sont nombreux. En proie à la restructuration du fret ferroviaire, aux suppressions d’emplois, à la dégradation de leurs conditions de travail et du service public, les cheminots ont encore beaucoup de luttes devant eux. Leur délégation était fournie dans la manifestation qui a arpenté mardi les rues de Marseille. Si les résultats électoraux de dimanche ont été un soulagement et une confirmation de la colère qu’ils sentent monter, les cheminots de Paca espèrent dans l’articulation entre ce vote et le mouvement social dont ils sont une nouvelle fois aux avant-postes.

« Notre mouvement a été construit bien avant les élections et il se poursuivra », explique Stéphane Douai, délégué CGT des cheminots de Miramas. Ces derniers se battent en effet pour la préservation du fret dans leur gare, mis en danger par des décisions financières de la direction de la SNCF. « Si on nous supprime le wagon isolé, nous n’avons plus de boulot, et c’est au moins la moitié de nos postes qui sautent, poursuit le délégué. On aimerait que le gouvernement entende le message qui a été exprimé au moment des élections régionales, mais j’y crois peu. Je suis inquiet et j’ai bien peur qu’il faille continuer à se battre et à se mobiliser. »

« Il y a de plus en plus de mécontents, mais les gens sont finalement assez peu dans la rue, déplore à ses côtés Fabrice. Pour certains, leur colère a été exprimée dans les urnes, pour d’autres c’est la résignation qui l’emporte, comme on l’a vu avec le fort taux d’abstention. » « Le mécontentement est très grand », confirme Jean-Pierre, son autocollant « Cheminots CGT » au revers. « Le problème, c’est qu’il n’est pas encore très structuré et qu’il y a un risque qu’il explose d’un seul coup et qu’il soit incontrôlable. »

« Beaucoup de monde a peur, de la crise, du chômage, de la répression comme on l’a vu à ERDF, reprend Gilbert, retraité de la SNCF. Aujourd’hui, nous vivons un début de mobilisation générale, mais il va falloir transformer l’essai que nous avons mis dans les urnes. »

Marc Bussone

4) Chez Thales Cannes et Toulouse, les salariés occupent les locaux

« Nous avons atteint tous les objectifs demandés et l’entreprise a des résultats équivalant à ceux de l’année précédente. En 2009, nous avions eu, selon les catégories entre 3 et 4 % d’augmentation de salaire. Pour cette année, il n’est proposé que la moitié, alors que les actionnaires ont eu les mêmes dividendes. C’est une injustice profonde, du jamais-vu chez nous  ! » Devant les grilles des vastes bâtiments en bord de mer de Thales Aliena Space (TAS) à Cannes, dans les Alpes-Maritimes, où se trouve le siège social du groupe franco-italien filiale de Thales, c’est la tempête sous la casquette « FO métaux » d’Éric Brunet-Marquant. Il ajoute aussitôt fièrement  : « En 2009, nous avons construit 7 satellites et participé à 13 lancements, des efforts ont été demandés, nous avons répondu présent et voilà la récompense  ! » En arrière-plan flottent drapeaux et banderoles qui indiquent une occupation des locaux de la direction. À Cannes (1 800 salariés), mais aussi à Toulouse (2 300 salariés), où la même action se déroule depuis mercredi matin, la contestation est ainsi montée d’un cran.

« Nous avons fait des pétitions et des manifestations de rue, mais cela ne suffit pas. La direction n’a lâché qu’un minimum et de façon discriminatoire », explique Gérard Ré, de la CGT, qui précise que « pour les non-cadres, l’augmentation générale moyenne ne serait que de 30 euros, tandis qu’un tiers des cadres, eux, n’auraient vraiment rien ». Marc Perrin, délégué syndical central de la CFE-CGC, est, à ce sujet, particulièrement remonté  : « TAS, c’est, dans le groupe Thales, la société du moins-disant social pour les cadres. La direction voudrait les rémunérer selon leur docilité. » D’après les syndicalistes, le nouveau management heurte profondément la culture de l’ex-Aérospatiale  : « Fabriquer un satellite, c’est un travail d’équipe, cela ne va pas avec l’individualisation des rémunérations et des primes que la direction veut promouvoir », estime Jérôme Chiocca, délégué syndical CFDT. En réponse, le DRH France, Christophe Bernard-Migeon, a déclaré dans la presse locale que des problèmes de compétitivité, donc d’emploi, se poseraient si on augmentait trop « des techniciens qui gagnent déjà 32 000 euros ».

Philippe Jérome

5) Vallée du Gier. Urnes à moitié vides, colère
à ras bord dans les luttes

Dans ce coin très industrieux de la Loire, les salariés, ouvriers et cadres confondus, ont, semble-t-il, boudé le dernier scrutin. À travers leurs luttes sur les salaires ou pour l’emploi, ils font pourtant le procès de l’impuissance publique du gouvernement.

Le coup est parti tout seul. Quand ils ont appris que la direction d’Industeel, une filiale d’ArcelorMittal qui emploie 320 sidérurgistes à Rive-de-Gier (Loire), ne comptait leur octroyer que 0,8 % d’augmentation salariale pour cette année, ils se sont regardés un bref instant… Et ils ont lâché, d’une seule voix  : « OK, c’est marre, stop, on arrête tout  ! » Depuis jeudi dernier, des dizaines d’entre eux, les plus jeunes, en particulier, au cœur du mouvement, se relaient jour et nuit, plantés au portail du site. Du jamais-vu ici depuis 1984, promettent les anciens de la CGT et de la CFDT qui accompagnent le mouvement. Tout est bloqué en douceur, proprement, sans heurts ni casse, avec, en guise de barricade à la barrière, une simple poignée de cartons peinturlurés. Alors que la direction, refusant obstinément jusqu’ici de rouvrir les négociations, mandate des huissiers tous les jours en vue, sans doute, de faire condamner en référé cette entrave à la « liberté d’entreprendre » et que les cadres dirigeants ont à cœur de livrer les noms des impétrants à l’auxiliaire de justice, les grévistes ont vraiment le sentiment, ils l’ont écrit, qu’on les « prend pour des cons ». « Ce sont vraiment des voleurs, ces mecs-là, s’étrangle un des benjamins de l’aciérie. On nous a foutus au chômage partiel l’année dernière, Arcelor a touché de l’argent de l’État pour ça, ils ont réussi malgré la crise à dégager 42 millions d’euros de profits sur notre site, ils redistribuent leurs 15 % aux actionnaires, et nous, qu’est-ce qu’ils nous donnent  ? Sept euros par mois  ! C’est même pas le prix d’un ticket pour que j’envoie ma fille au cinéma  ! Moi, je ne me crève pas le cul dans la poussière, la chaleur pour les beaux yeux de Mittal, je le fais pour ma famille… » Non loin, un des dirigeants de l’usine se veut compatissant en aparté avec certains des gars  : « Je comprends très bien que vous soyez émus quand vous voyez les profits, jure-t-il, mais on ne peut rien y faire, on doit garder la balance. »

Intarissables sur les raisons de leur colère – répartition des richesses, efforts non reconnus, besoins niés –, les chiens fous d’ArcelorMittal réclament en chœur et à cri 5 % d’augmentation générale pour tous, mais perdent leur langue pour évoquer d’autres pourcentages, ceux dont parlent la télé et la presse en ce début de semaine  : dans la vallée du Gier, au nord-est de Saint-Étienne, l’abstention a dépassé de près de 10 % la moyenne nationale (autour de 64 % au premier tour et 56 % au second)  ; alors que la droite perd plus de la moitié de ses électeurs par rapport aux régionales de 2004 et que le Front national dépasse les 20 % en progressant entre les deux tours, la gauche rose, verte et rouge l’emporte haut la main. Un des jeunes ne voit rien de surprenant dans cette abstention, dans tous les sens du terme. « Pour nous, il y a vraiment d’autres urgences que d’aller voter », lâche-t-il. La formule est lapidaire, elle ouvre sur un gouffre  : dimanche dernier, lui, il n’est allé ni voter ni pêcher à la ligne, il est juste passé à plusieurs reprises autour d’Arcelor pour vérifier que la direction ne tentait pas de coup de force en loucedé…

Éloignement des centres de décisions, présence de directions locales fantoches, pressions des donneurs d’ordres, chantage à la délocalisation, pari sur le pourrissement, etc. Tous les maux du capitalisme financiarisé paraissent s’être donné rendez-vous dans la vallée industrielle du Gier pour organiser une sarabande qui écrase les salariés et a pu aussi, par ricochet, les éloigner des urnes, faute d’y déceler une opportunité de changer la donne.

Non loin de Saint-Chamond, la direction du géant allemand ThyssenKrupp est engagée dans une fermeture totale de l’usine Mavilor de L’Horme (370 salariés), et depuis l’automne, les syndicalistes élaborent un plan alternatif qui permettrait de sauver une centaine d’emplois, mais la multinationale ne veut rien entendre. « Alors que le groupe a déjà supprimé 14 000 emplois dans le monde, on est vraiment considérés comme de la piétaille, regrette Éric Moulin, représentant syndical CGT. Par l’entremise d’IG Metall, on a réussi à rencontrer le haut management du groupe en Allemagne, on a démonté tous leurs arguments et on fait la démonstration que maintenir de l’activité et des emplois à L’Horme, ça coûte moins cher pour eux, mais jusqu’ici ils ne veulent rien entendre  ! C’est une hérésie, mais les grands groupes roulent sur l’or, ils ont de l’argent pour supprimer, et pas pour conserver, les emplois  ! » Chez Siemens à Saint-Chamond, l’intersyndicale CGC-CFDT-CGT a pendant des mois élaboré un contre-plan pour déjouer la délocalisation de leurs activités et la fermeture de leur site. « On s’est retrouvés avec des gens qui faisaient des règles de trois et qui ne voulaient pas en sortir », confirme Jean-Jacques Servanton, délégué CFDT. Pour Marc Lévêques, secrétaire CGC du comité central d’entreprise (CCE), « on a eu des réunions toutes les semaines pendant des mois et, à chaque étape, ils démolissaient notre projet, c’était non négociable, ils ne prennent même pas la peine d’argumenter. Depuis la faillite de Creusot-Loire dont nous sommes issus, au milieu des années 1980, on se fait bouffer dans l’indifférence générale, et ce n’est pas faute d’avoir alerté les députés, les gouvernements, mais on n’a rien pu empêcher. En Allemagne, ils ont réussi à défendre leur sidérurgie, mais pas nous… ». En fin de semaine dernière, les premières lettres avertissant de la suppression de 274 postes à Saint-Chamond ont été envoyées.

Dans son bureau, à la Bourse du travail de Saint-Étienne, Frédéric Sanchez, responsable de la CGT métallurgie dans la Loire, observe le marasme et les luttes qu’il suscite. « La crise n’a fait qu’accélérer les processus de domination des grands groupes sur l’ensemble des sous-traitants, note-t-il. Dans le département, on n’a plus de donneurs d’ordres et la plupart des sous-traitants sont passés sous capitaux étrangers. Donc, on a vraiment du mal à sortir des logiques de pure rentabilité ou même simplement à trouver des gens avec qui on puisse simplement discuter… C’est cela qui crée de la désespérance dans les entreprises et, à mon avis personnel, aussi en dehors dans la société… Mais, en même temps, ce qui se passe dans les boîtes porte aussi de l’espoir car, dans de nombreux cas, les salariés comprennent bien ce qui leur arrive et qui en sont les responsables, et rentrent dans la lutte. Il y a de plus en plus de colère, il nous faut réussir à fédérer les luttes qui partent des entreprises. »

Derrière les conflits sociaux de la vallée du Gier, c’est l’impuissance publique que les salariés, ouvriers et cadres confondus, mettent en procès. Un peu éloignés, peut-être, des urnes électorales, mais si proches, au fond, des grands enjeux politiques.

Thomas Lemahieu.

6) Les enseignants mobilisés contre les réformes Chatel saluent la claque électorale de la droite sans se faire trop d’illusions…

« Je voudrais être optimiste… » Le soleil brille, ce mardi, sur la place de la République. Mais Sandrine, jeune prof d’histoire-géographie, refuse de s’enflammer. Elle résume : « Le résultat des régionales fait du bien, évidemment, mais je ne crois pas que cela va chambouler la politique du gouvernement. Ce n’est pas du fatalisme de dire cela. Je suis juste lucide sur la détermination de nos adversaires. » Lucide. Voire prudente. Ainsi va l’état d’esprit des milliers d’enseignants qui, deux jours après le revers électoral de la droite, sont venus avant-hier à Paris gonfler les rangs de la manifestation interprofessionnelle.

Après parfois des mois de mobilisation, personne, ici, ne boude son plaisir d’avoir vu la majorité se prendre une claque dans les urnes. « Pour nous, c’est un encouragement », convient Benoît, prof de lettres à Saint-Denis. Avis partagé par Thierry Ananou, le secrétaire académique du Snes Paris. « Beaucoup de collègues interprètent ces élections comme l’un des résultats de nos mobilisations. Pour eux, c’est la preuve que ce qu’ils ont fait depuis des mois n’a pas été inutile. »

À ses yeux, le rapport de forces avec le gouvernement, notamment sur les suppressions de postes, la réforme du lycée et de la formation des maîtres, est désormais plus favorable. « Je ne dis pas que ces réformes ne vont pas continuer, précise-t-il. Je dis juste que le gouvernement sera désormais obligé de les faire passer en force. Mais une chose est sûre : si on arrête la mobilisation, on n’aura rien. Les choses se règlent aussi par la confrontation. »

Annick, prof de lettres à Paris et électrice du Front de gauche, partage une part du constat. Et reste mesurée, comme beaucoup d’autres, sur la portée de cette victoire électorale de l’opposition, entachée par un taux d’abstention record. Certains de ses collègues ne sont pas allés voter. De manière assumée. « Il y a aussi chez les profs une certaine défiance vis-à-vis de la politique, assure-t-elle. Et je peux les comprendre : depuis des années, on assiste à un matraquage idéologique sur les questions d’éducation avec des gouvernants qui restent inflexibles à toutes les revendications. Cette situation renforce le fatalisme de nombreux collègues qui se sentent abandonnés à leurs problèmes et pensent que leur vote ne sert à rien puisque, de toute manière, il ne sera pas pris en compte. » Pour elle, la gauche a donc une lourde responsabilité devant elle. « S’ils veulent que les électeurs se remobilisent, y compris chez les profs, les partis doivent mettre en avant des perspectives politiques claires. Et notamment sur les questions d’éducation. Sinon, l’abstention sera encore au rendez-vous. »

L’abstention, c’est le sujet qui inquiète également Karine. « Pourquoi tant de personnes ne vont pas voter alors que ça pète de partout ? » interroge cette jeune professeure des écoles à Sevran. Elle se dit « mitigée » quant au résultat de dimanche dernier. « La réaction de la droite a été de dire ‘‘on continue’’. C’est quand même un peu désespérant… En revanche, on sent que notre bataille pour le service public commence à être entendue. Il faut maintenant la concrétiser au niveau politique avec un projet de gauche qui soit audible et visible. »

À ses côtés, Maryse sourit derrière ses lunettes à verres fumés. Cette professeure des écoles à la retraite habite un quartier populaire de Sevran où l’abstention fait des ravages. « Ici, les gens sont en situation de survie quotidienne, ce qui ne favorise pas la mobilisation. Quant aux enseignants, ils se retrouvent souvent seuls et démunis face à des familles de plus en plus pauvres. Cette urgence, chacun la connaît. Aussi, pour moi, la victoire électorale de la gauche n’en sera vraiment une que si les élus ne referment pas aussitôt le tiroir… »

Laurent Mouloud


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