Exister, méthodes de Spinoza, de Maxime Rovere, CNRS Editions 2010 388 pages 25 eurs
« Apprendre à vivre enfin ? », lançait Jacques Derrida en 1993, en ouverture de Spectres de Marx. Nous permettre de vivre plus intensément, lui répond, comme en écho, cette lecture renouvelée de l’Éthique, le grand texte de Spinoza que propose le philosophe et spécialiste d’esthétique Maxime Rovere. Car tel était le but assigné à la philosophie par le prince des philosophes : « nous conduire comme par la main à la connaissance de l’esprit humain et sa suprême béatitude ».
L’originalité et la force de cette étude sont d’adopter une approche dite infratextuelle, c’est-à-dire une navigation permise par les versions numérisées du texte, lecture qui consiste à suivre les occurrences des concepts majeurs d’une partie du texte de l’Éthique à l’autre. À la différence d’un travail d’histoire de la philosophie tourné vers les origines ou les prolongements d’une philosophie majeure, il s’agit d’être au plus près d’un texte considéré comme un réseau multiple d’interactions avec lui-même et de faire de cette lecture une expérience pratique de la pensée, au plus près des bouleversements permis par l’œuvre elle-même. « Comme par la main » donc, le lecteur sera avant tout conduit à repenser les rapports entre liberté et nécessité, considérant avec Spinoza combien il nous faudra sans cesse remonter aux causes de nos actions pour en augmenter les effets, jusqu’à en venir à se représenter la « libre nécessité ». Si tout est déterminé, l’homme est lui-même principe de causalité et de détermination.
« C’est donc sur la nécessité du monde que s’appuie celle d’agir, parce que nous sommes les agents de cette nécessité. » Dans le cadre de cette éthique de la liberté, souligne Maxime Rovere, être libre revient à s’approprier les causes les plus efficaces sur sa propre existence, liberté par nature collective en tant que réunion d’êtres raisonnables. L’Éthique pour apprendre enfin à vivre ? Mieux comprendre la liberté n’est pas se libérer. En dépit des incontestables effets pratiques induits par les lectures répétées et réfléchies de l’Éthique, « les réussites et les manques de la philosophie de Spinoza ne mesurent rien d’autre que l’écart entre le texte et son lecteur », écart toujours mouvant en fonction des désirs changeants dudit lecteur.
« Le travail de lecture de l’Éthique comme autre chose qu’une fiction hypothético-déductive est ardu. Chacun doit, pour lui-même, découvrir les raisons qui, ressenties comme des causes, pourront faire leur effet », conclut Maxime Rovere. L’ouvrage revisite au plus près l’Éthique à la façon d’une entreprise de libération et d’émancipation, offrant par là même une première initiation possible à la pensée de Spinoza.
Nicolas Mathey
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