13 septembre 2018 Emmanuel Macron a reconnu au nom de la République française la responsabilité de l’Etat
A) Oui, nous voulons la vérité sur la mort de Maurice Audin (Jacques Serieys)
B) Affaire Audin : le long cheminement d’une affaire d’État
C) Maurice Audin, la torture et les deux rives, par Sadek Hadjerès (membre de la direction du PCA de 1952 à 1965)
D) Michèle Audin, fille de Maurice Audin refuse le grade de chevalier de la Légion d’honneur
"On a tué Audin", confesse, le souffle court, le général Paul Aussaresses dans un document inédit diffusé en exclusivité dans le Grand Soir 3 du mercredi 8 janvier. "On l’a tué au couteau pour faire croire que c’était les Arabes qui l’avaient tué"
1) 21 juin 1957 : Assassinat de Maurice Audin, comment ?
Le 21 juin 1957, des parachutistes français font irruption dans l’appartement occupé à Alger par Maurice Audin (mathématicien et universitaire de 25 ans), sa femme Colette et leurs trois enfants (Michèle 3 ans, Louis 18 mois et Pierre 1 mois).
Ces parachutistes font partie de l’escadron de la mort constitué par le général Massu pour assassiner des Algériens anticolonialistes mais aussi des Français opposés à la très sale guerre menée par l’armée et couverte par les gouvernements de 1957 dans lesquels nous pouvons noter les noms de Guy Mollet (SFIO), Robert Lacoste (SFIO), Max Lejeune (SFIO), Maurice Bourgès-Maunoury (radical), André Morice (radical), Jacques Chaban-Delmas (gaulliste, ministre d’Etat puis ministre des armées et de la défense nationale), François Mitterrand (ministre d’Etat, ministre de la Justice), Alain Poher (MRP)...
Quels sont précisément les parachutistes impliqués dans le meurtre politique de Maurice Audin ?
En mars 2012, la journaliste Nathalie Funès révèle l’existence d’un manuscrit du colonel Yves Godard (chargé du "renseignement" dans l’Etat-major de Massu), conservé aux USA, affirmant qu’il a été tué par les hommes d’Aussaresses, sur ordre de Massu. Dans ce document, il mentionne même le nom du sous-lieutenant Garcet, aide de camp de Massu, qui aurait poignardé Audin.
En janvier 2013, le journaliste Jean-Charles Deniau publie un livre enquête Vérité sur la mort de Maurice Audin comprenant une confession du général Aussaresses. Maurice Audin a bien été torturé puis poignardé par le sous-lieutenant Garcet avant d’être jeté dans une fosse. L’ordre aurait bien été donné par le général Massu, qui le tenait du Gouvernement général, des autorités politiques administrant la colonie. En 2007, Aussaresses avait déjà indiqué que ce Garcet faisait partie de l’état-major de la main gauche chargé des basses besognes en Algérie, c’est à dire un escadron de la mort, trouvaille militaire française que nos officiers apprendront plus tard avec succès aux militaires fascistes d’Amérique du Sud (Argentine, Chili...). A Alger, cet escadron de la mort occupait la Villa des Tourelles sur les hauteurs de la ville.
2) 21 juin 1957 : Assassinat de Maurice Audin Pourquoi ?
William Sportisse, ancien dirigeant du Parti Communiste Algérien, rappelle à juste titre dans L’Humanité du 9 janvier 2014, que :
le PCA était "très influent dans la minorité européenne". Or, le projet Algérie française nécessitait le soutien de celle-ci.
le PCA était "implanté tant dans la classe ouvrière d’origine européenne que dans celle autochtone".
La force et l’audience du PCA ne font aucun doute. En 1955, un accord PCA-FLN est négocié par Bachir Hadj Ali et Sadek Hadjerès, afin de maintenir l’autonomie politique du PCA, sans que celui-ci puisse participer au FLN en tant que groupe.
Ce parti n’était pas indépendantiste mais demandait l’égalité des droits entre européens et autochtones. L’historien Alain Ruscio, spécialiste de la guerre d’Algérie, écrit « Même si le projet du PCA a échoué, ce parti a eu le grand mérite d’être le seul parti de l’histoire à réunir les Européens et les colonisés dans une même structure. »
Dès septembre 1955, le gouvernement Edgar Faure (comprenant Robert Schuman, Antoine Pinay, Jean Lecanuet, André Morice...) interdit le PCA puis le réprime violemment. Le documentaire "Fernand Iveton, guillotiné pour l’exemple" en rend bien compte.
Fernand Iveton, guillotiné pour l’exemple le 11 février 1957
Notons la bêtise incommensurable de telles décisions qui ont laissé le champ libre aux nationalistes du FLN et à l’OAS.
Pourquoi Maurice Audin a-t-il été assassiné par les parachutistes ? "Pour l’exemple" aurait répondu Massu d’après Aussaresses. L’historienne Sylvie Thénaut en doute pour plusieurs raisons, en particulier « A l’époque, les militaires n’ont pas même fait courir la rumeur de l’éxécution ».
Pour approcher la vérité, il faudrait que la Justice ouvre une enquête, Gérard Garcet et Pierre Misiri étant toujours en vie.
3) PCF et guerre d’Algérie
Agé de 5 à 12 ans durant la guerre d’Algérie, je me souviens de cet épisode vu de France comme si c’était hier.
Le climat politique des années 1956 à 1958 correspondait à une conjoncture de glissement politique vers la droite sur une crispation nationaliste comprenant le progrès de courants racistes et colonialistes d’extrême droite. La politique des gouvernements socialistes radicaux le reflétait (leurs élus ont tendance à suivre les oscillations de l’électorat) et l’aggravait.
Des historiens font valoir des critiques de la torture provenant d’intellectuels catholiques. Je m’en réjouis mais je ne l’avais pas remarqué à l’époque, l’Eglise pesant globalement en France profonde dans le sens nationaliste, militariste et colonialiste. Dans mon département de l’Aveyron, la ligne éditoriale des trois quotidiens (Centre Presse, Midi Libre, La Dépêche) allait en gros dans le même sens.
Que l’on ne me raconte pas d’histoire ; la guerre d’Algérie a généré dans la population française un racisme horrible. Je me rappelle par exemple d’un épisode : un brave vendeur de cacahuètes s’était vu jeter par les gens d’un village du Cantal dans une fontaine aménagée assez profonde. Il portait au col l’insigne des anciens combattants de la Première armée française ; aussi, mon père avait pris son courage à deux mains pour intervenir.
La seule force porteuse d’idées progressistes concernant l’Algérie dans la France profonde des années 1950, c’était le Parti Communiste Français. Défendre publiquement ses positions pour une paix juste en Algérie, contre la guerre sale et la torture, signifiait se marginaliser dans son entreprise et son quartier. A plusieurs reprises, j’ai craint que mon grand père maternel ne se fasse battre tant son abonnement à L’Humanité et sa défense des positions du PCF provoquaient de haine.
Reconnaître ce rôle du PCF n’implique pas de refuser d’analyser précisément son orientation politique au fil des mois. Sa principale erreur est liée à l’éternel problème de l’unité avec le Parti Socialiste. Ayant participé au Front républicain de janvier 1956 qui a remporté les élections législatives, le PCF n’a pas su garder l’autonomie nécessaire pour refuser à l’Assemblée les pouvoirs spéciaux en Algérie, pouvoirs spéciaux qui vont permettre d’en faire une zone de non-droits avec les innombrables assassinats que nous connaissons.
Reconnaître ce rôle du PCF n’implique pas, non plus, de taire l’attitude exemplaire des peu nombreux trotskistes français.
4) Le chef de l’Etat doit peser pour que nous connaissions enfin la vérité sur la mort de Maurice Audin
En effet, la responsabilité de l’Etat dans ce crime ne fait pas de doute.
Je livre ci-dessous pour nos lecteurs trois textes meilleurs que ce que je pourrais rédiger, l’un publié par L’Humanité signé de Patrick Appel-Muller, l’autre du Quotidien d’Oran.
Jacques Serieys le 23 juin 2007
Même la Grande Muette ne peut plus taire l’irrépressible tragédie. Le nom de Maurice Audin continue à hanter les consciences comme un crime d’État, pas seulement celui de parachutistes ivres de sang et de vengeance qui voulaient faire place nette à Alger, mais comme un acte, décidé par les centurions qui régnaient dans la Ville blanche et commandé par les responsables politiques de l’époque. En cette année 1957, on relevait parmi les ministres les noms de Guy Mollet, François Mitterrand, Jacques Chaban-Delmas, Alain Poher, Antoine Pinay… Après avoir brisé l’organisation du FLN – pour un temps seulement –, le pouvoir avait lancé la chasse aux communistes français et algériens qui agissaient pour l’indépendance de l’Algérie. Henri Alleg et bien d’autres militants ont alors connu la question. Treize ans à peine, après la libération de Paris, des soldats français se muaient en bourreaux et en tortionnaires. Le colonialisme et l’anticommunisme étaient leur idéologie ; le crime leur chemin. Pourtant, les noms de Bigeard et de Massu sont encore hissés, sanglants, sur le pavois de cérémonies militaires.
Le général Aussaresses aura beaucoup menti, puis lâché des vérités par bribes, jusqu’à sa dernière confession. Sans doute ne sommes-nous pas si loin de la vérité désormais, celle que Pierre Vidal-Naquet, lors de sa célèbre, enquête avait dessinée, celle que des intellectuels de renom avaient proclamée à la face d’une justice couchée, celle qui se rappelle au souvenir d’un président de la République lorsqu’il franchit la Méditerranée. On attendait alors de François Hollande qu’il ouvre un nouveau chemin, non pas d’une repentance comme s’il n’existait pas en France un courant héritier du combat de Maurice Audin, mais celui de la lucidité et de la fraternité.
L’Algérie reste prisonnière des douleurs immenses, des crimes non reconnus, des brûlantes humiliations coloniales. Notre pays n’est pas non plus libéré des crimes commis par ses représentants, de la flétrissure de la torture, d’une histoire mutilée. Des traumatismes individuels perdurent, mais aussi collectifs. Dans les blancs de la mémoire, se nichent les ferments du racisme. Ils alimentent aussi des ressentiments au long cours qu’un Dieudonné exploite. Un geste magistral reste à accomplir pour que l’affaire Maurice Audin soit un révélateur et, aussi douloureuse soit-elle, le terrain de nouvelles rencontres. Son dénouement et sa vérité nue pourraient être fondateurs. L’Humanité était le journal de ce jeune et brillant mathématicien ; censuré et saisi pendant la guerre d’Algérie, il portait son combat ; cette cause est toujours la sienne.
Le Quotidien d’Oran du 22.06.2007
Ce 21 juin marque le 54e anniversaire de la disparition de Maurice Audin, soit dix jours après son arrestation le 11 juin 1957 par des parachutistes français. Ce jeune mathématicien et militant anticolonialiste n’avait que 25 ans. « Depuis plus rien. Maurice Audin s’est volatilisé. Son corps n’a jamais été retrouvé. Et la version officielle donnée par l’armée (française) n’a jamais été rectifiée, même s’il est aujourd’hui admis que Maurice Audin est mort sous la torture », écrit le quotidien Le Monde qui a réservé une page entière dans son édition datée de jeudi, à cette affaire. [1]
Est-il enfin venu le temps pour la France, celle de Nicolas Sarkozy, de faire son mea culpa sur le cas Maurice Audin ? Nombreux sont ceux qui en doutent, même si cela ne semble pas du tout décourager la veuve de Maurice Audin, dont le combat pour la vérité dure depuis 50 ans aujourd’hui. Dans une lettre ouverte adressée à Nicolas Sarkozy, publiée jeudi par le quotidien L’Humanité, Mme Josette Audin demande au président français « de reconnaître les faits ». Elle lui demande « d’obtenir que ceux qui détiennent le secret, dont certains sont toujours vivants, disent enfin la vérité, de faire en sorte que s’ouvrent sans restriction les archives concernant cet événement ». « Je ne demande pas, Monsieur le Président, dans le cadre de cette démarche, que s’ouvre un procès des tortionnaires meurtriers de mon mari, sachant que des lois d’amnistie les couvrent, même si je pense que la justice française se grandirait en appliquant une jurisprudence internationale pour laquelle aucune affaire criminelle ne peut être éteinte tant que le corps reste disparu », précise-t-elle dans cette lettre, insistant sur la « vérité pour Maurice Audin ». Elle interpelle M. Sarkozy pour ne pas laisser « enfoui dans la fosse commune de l’histoire, sans lui rendre au moins son identité et sa vérité, à un homme comme son mari qui avait tellement l’Algérie au coeur, et dont les convictions de jeune mathématicien et de militant communiste étaient si pures, qu’il s’est dressé contre des méthodes barbares ».
« On dit que tout homme a droit à une sépulture. C’est même ce que l’on s’efforce d’accorder, aujourd’hui, pour leur rendre un minimum de dignité, aux morts de la rue. La France va-t-elle se refuser encore à accorder ce droit à mon mari et la possibilité pour ma famille, mes enfants, mes petits-enfants, de faire le travail de deuil dont personne, dit-on, ne doit être privé ? », s’interroge-t-elle. Soulignant l’engagement de Maurice Audin en faveur de l’indépendance de l’Algérie, elle relève qu’il « n’est pas le seul crime de cette guerre qui n’aurait jamais dû avoir lieu ». « La torture à laquelle n’a pas survécu mon mari n’était pas un accident, elle avait été, selon les propos du général Massu lui-même, chef des parachutistes à Alger, institutionnalisée », écrit-elle. « Pour moi, il est insupportable de ne pas connaître cette vérité », insiste Mme Josette Audin, ajoutant qu’elle attend cette vérité « depuis cinquante ans, chaque jour de sa vie ». « Le 11 juin 1957, j’avais vingt-six ans, j’habitais à Alger, rue Gustave Flaubert, avec mon mari, 25 ans, et mes trois enfants, Michèle, 3 ans, Louis, dix-huit mois, et Pierre un mois. Des parachutistes de l’armée française ont fait irruption et ont emmené mon mari. Depuis cette date, je ne l’ai jamais revu. A mes questions, il m’a été répondu qu’il s’était évadé », rappelle Mme Audin au début de sa lettre ouverte pour situer le contexte dans lequel son époux fut arrêté. Elle souligne que nombre d’historiens, parmi lesquels « un homme connu pour sa rigueur scientifique et morale, Pierre Vidal-Naquet (décédé le 29 juillet 2006) », ont établi que Maurice Audin « était mort sous la torture, le 21 juin de cette année 1957 ». « Mon mari s’appelait Maurice Audin. Pour moi, il s’appelle toujours ainsi, au présent, puisqu’il reste entre la vie et la mort qui ne m’a jamais été signifiée ».
Le 50e anniversaire de la disparition de Maurice Audin a donné lieu à une rencontre organisée jeudi soir à Paris, à l’issue de la cérémonie de remise du Prix « Maurice Audin » de mathématique à trois chercheurs algériens et trois de leurs homologues français. Cette rencontre, qui a eu lieu à la Bibliothèque nationale de France (BNF), a permis à des témoins, dont Henri Alleg, militant anticolonialiste, journaliste et écrivain, Jean-Jacques De Félice et Roland Rapaport, avocats, d’évoquer la mémoire de Maurice Audin et celle de millions d’Algériens ayant lutté pour l’indépendance de leur pays. « Certains qui ne savent rien ou prétendent ne rien savoir de ce que fut le système colonial, s’étonnent et vont même parfois jusqu’à s’indigner que, des deux côtés de la Méditerranée, on refuse d’oublier et on continue d’exiger qu’enfin la vérité, toute la vérité, soit dite sur une guerre dont on refusait, jusqu’il y a peu de temps, de dire même le nom et sur les crimes et les moyens épouvantables utilisés pour la mener », a souligné Henri Alleg. Il a dénoncé « ceux qui faisaient exécuter sommairement des centaines de prisonniers algériens et camouflaient en + évasion + leur assassinat, comme ils le firent pour Maurice Audin ou en suicide comme ce fut le cas pour Larbi Ben M’hidi et Ali Boumendjel ».
BARTI H.
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