Impots de Mme Bettencourt : le compte n’y est pas.

samedi 24 juillet 2010.
 

Par un communiqué à l’AFP, Liliane Bettencourt a tenu à préciser qu’elle était l’une des premières contribuables privées et qu’elle avait versé 400 millions d’euros, sur les dix dernières années, aux services de l’administration fiscale au titre de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur la fortune et de la CSG-CRDS.

De nombreux commentaires ont suivi cette annonce indiquant que 400 millions sur 10 ans représentaient une moyenne de 40 millions par an, somme très inférieure à ce qui devrait être payé compte tenu du niveau de capital et de revenus de cette personne.

A la lecture de toutes ces informations, il semble nécessaire de se livrer à quelques recherches et calculs.

Il apparait dans tous les médias économiques que Mme Bettencourt possède depuis de nombreuses années, une fortune d’environ 15 milliards d’euros qui comprend environ 30% du capital de L’OREAL. Elle n’a jamais démenti ces informations, sachant que l’évaluation de sa fortune est en général établie simplement en calculant la valeur de cette participation.

On peut constater que la société L’OREAL indique officiellement sur son site internet que Mme Bettencourt (et sa famille) détenait 31% de son capital au 31/12/2009. (En réalité, Mme Bettencourt a l’usufruit de cette participation, sa fille en a la nue-propriété, et les dividendes de cette participation sont virés en totalité à une société appelée TETHIS).

Il peut être utile de rappeler qu’en 1974, Liliane Bettencourt avait reçu 4% de la société Nestlé en échange d’une partie de sa participation dans l’Oréal qui s’élevait à cette époque à plus de 50 %. Cette participation vaudrait à fin 2009, 5,3milliards d’euros. Il n’y a pas d’informations sur ce qu’est devenue cette participation.

Afin de calculer l’impôt minimum dont devrait s’acquitter Mme Bettencourt chaque année, il semble donc raisonnable de se référer à ces deux données que sont une fortune de 15 milliards d’euros et 30% du capital de l’Oréal.

Au titre de l’ISF, une fortune de 15 milliards d’euros implique de payer un impôt d’environ 270 millions d’euros tous les ans. (219.635 euros jusqu’à 16.540.000 euros et 1,8% pour tout ce qui est supérieur, soit dans notre cas, 269.702.280 millions d’euros).

Au titre de l’impôt sur le revenu et de la CSG-CRDS et autres, la somme à payer est au minimum de 83,4 millions d’euros quand on reçoit 1,5 euros de dividendes par action (montant du dividende de la société L’Oréal en 2009), et que l’on en détient 185.000.000. ( L’impôt est de 30,1% du montant des dividendes reçus).

Le résultat est donc que Mme Bettencourt devrait payer un minimum de 353 millions d’euros d’impôts par an actuellement. Si elle en a payé 400 millions depuis 10 ans, LE MOINS QUE L’ON PUISSE DIRE EST QUE LE COMPTE N’Y EST PAS.

Face à cet énorme écart au détriment de l’état français, soit il existe des montages légaux qui permettent d’échapper à l’impôt, soit il s’agit de fraude fiscale.

Dans le premier cas, il serait souhaitable que le ministère du budget en informe les français car ceci permettrait à de nombreux contribuables de payer nettement moins d’impôts en toute légalité.

Dans le second cas, il y a lieu de s’en préoccuper.

L’étude des bilans des sociétés TETHYS (rcs 409030053), et de sa filiale CLYMENE (rcs 431977 693), appartenant à Mme Bettencourt, est très instructive.

La société TETHYS « possède » les actions détenues chez l’Oréal et en reçoit les dividendes. Le terme « possède » est entre guillemets car leur inscription dans les comptes procède d’un montage très particulier.

La société CLYMENE reçoit en prêt des centaines de millions d’euros de TETHIS et est chargée de les faire fructifier.

Je ne saurais trop conseiller de se pencher sur la publication de ces bilans depuis la création de ces sociétés. Cela nécessite un investissement de 11 euros par bilan sur Infogreffe.

Par exemple, sur le dernier bilan de 2008, on constate que l’actif de la société TETHYS est de 1,74 milliards d’euros à fin 2008 alors que cette société a reçu 256.203.670 euros de dividendes de la société L’OREAL( 1,38 euros par action en 2007), qui correspondent à la détention de 185.654.833 actions de cette société, soit 30,8% de L’OREAL.

La société TETHYS est donc bien considérée par L’OREAL comme la propriétaire d’une participation de 30,8%. La valorisation réelle de cette participation était au 31/12/2007 de 17,8 milliards d’euros qui se retrouve dans le bilan de TETHIS valorisée au total à moins d’1,5 Milliards d’euros.

Une partie de cette participation, 11,6% de L’OREAL, se trouve comptabilisée depuis 2005 sous forme d’actions d’usufruit au poste des « autres immobilisations incorporelles » pour un montant de 548.990.000 euros et fait l’objet d’un amortissement de plus de 70 millions d’euros chaque année. Faut-il indiquer qu’une jurisprudence constante du Conseil d’Etat indique qu’une entreprise ne peut pas pratiquer d’amortissements sur des actions données en usufruit et que la valeur de cette participation était en 2005 de plus de 4 milliards d’euros ?

Il semble donc que l’existence de ces sociétés et la manière dont elles sont gérées, évitent à Mme Bettencourt de payer l’ISF correspondant à la réelle valeur de sa participation au capital de l’Oréal.

De plus, on peut se demander si la société TETHYS est considérée par les services fiscaux comme l’outil de travail de Mme Bettencourt et quelle est l’évaluation de ses actions dans la société TETHYS ?

Ces questions méritent d’être posées car pour un contribuable normal, la propriété de plus de 185 millions d’actions de L’OREAL au 01/01/2008 aurait eu pour résultat le paiement d’un ISF de 320 millions d’euros en 2008, sous réserves que ce contribuable n’exerce pas effectivement une fonction de dirigeant.

La documentation fiscale 7 S 3322-11 précise que le dirigeant doit consacrer à ses fonctions une activité et des diligences constantes et réelles (animation effective de l’activité des directeurs fonctionnels salariés, signature des pièces essentielles, contacts avec les représentants du personnel, les principaux clients et fournisseurs, etc.).

Peut-on raisonnablement penser que Mme Bettencourt a satisfait à ces critères pendant ces dix dernières années ?

Certains pourront dire que si l’on avait demandé à Mme Bettencourt de payer au minimum 350 millions d’euros d’impôts tous les ans, il est fort possible qu’elle aurait quitté la France et ses maigres 40 millions d’impôts par an seraient perdus.

La question qui se pose est de savoir s’il faut garder l’ISF et ne pas trop regarder les montages qui permettent aux plus grandes fortunes de le réduire fortement, tout en imposant aux plus petites une application stricte de la loi ? Cette situation n’est pas tenable car elle est totalement contraire aux principes d’égalité devant la loi et à ce titre difficilement supportable.

Il faut assumer les choix politiques qui se trouvent dans la fiscalité ou avoir le courage de les changer. En aucun cas la situation actuelle ne peut être acceptable.

Le ministre du budget, François Baroin a indiqué à l’Assemblée Nationale que :

« Le secret fiscal est la protection d’une liberté publique individuelle. »

Certes, mais l’on peut se poser la question de la nécessité de le graver dans le marbre. A partir du moment où l’on oblige à publier, par souci de transparence, les salaires des « grands patrons », les détenteurs des participations les plus importantes dans les sociétés cotées, les bilans et comptes de résultat des sociétés, le patrimoine des dirigeants politiques, il n’est pas interdit de se demander comment fait Mme Bettencourt pour payer aussi peu d’impôts, surtout si c’est elle qui a indiqué leur montant depuis 10 ans.

Dans cette histoire, on peut noter que, par son communiqué, Mme Bettencourt estime que les impôts qu’elle acquitte sont importants pour ne pas dire suffisants et il semble que nombre de nos politiques pensent la même chose. Ont-ils pour autant raison d’accepter que la règlementation ne soit pas appliquée ?

Il est un moment où les privilèges de certains deviennent insupportables à l’ensemble d’une population, d’autant plus quand on veut lui faire croire qu’il n’y en a pas. J’ose espérer que nos dirigeants vont enfin penser que les scandales actuels ne viennent pas du fait de la divulgation de certaines pratiques mais bien de leur existence.


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