Femmes du Maghreb  : résister aux différentes versions des codes de la famille

samedi 8 janvier 2011.
 

Par Sana Ben Achour, juriste, présidente de l’association tunisienne des femmes démocrates.

Dans la région arabe et maghrébine, l’initiative de la réforme économique, sociale et culturelle est souvent revenue à des gouvernements autoritaires qui, issus des mouvements de libération nationale, se sont accaparés le champ des relations familiales et en ont fait le levier de leur politique nationale. Les codes du statut personnel et de la famille, produits pourtant de la codification du droit musulman classique, en sont paradoxalement l’expression.

On mesure dans ces conditions ce qui sépare le discours des gouvernants sur la réforme du statut personnel ou sur l’amélioration des droits de la famille et les revendications féministes sur l’autonomie du sujet femme, l’égalité et l’indivisibilité des droits. Contre l’action tutélaire des pouvoirs publics et le retrait des partis et formations politiques de gauche sur la question, des femmes se dressent, mettant au fondement de leur action l’autonomie de leur mouvement. C’est en effet de cette confrontation et des limites imposées au traitement au fond de la question féminine qu’est né dans ces pays le «  mouvement autonome des femmes  ».

En Tunisie, il trouve son sens dans le mot d’ordre «  Nous par nous-mêmes  » que lancent dès 1978 de jeunes femmes réunies en groupe de réflexion et d’étude sur la condition féminine, première expérience, qui marque le moment fondateur d’une dynamique qui se poursuit dans le présent. Pour ces féministes, l’autonomie prendra le sens d’une double rupture  : rupture organique par rapport à l’action et aux structures politiques traditionnelles (État et partis politiques), rupture épistémologique par rapport au traitement du statut inférieur des femmes en société. Voulant témoigner d’elles-mêmes, elles s’organisent, mettent en place des associations, investissent l’espace public et créent un champ nouveau entre la famille et l’État où elles disputent aux gouvernants le monopole du nom collectif et de la citoyenneté. Appréhendant la condition inférieure des femmes à travers les concepts forgés par les théories féministes sur le patriarcat, l’oppression des femmes, la domination sexuelle et l’occultation de la violence, les divisions hiérarchiques verticales hommes-femmes, la séparation du public et du privé, les féministes autonomes se démarquent radicalement du discours officiel tenu sur les acquis juridiques de la femme tunisienne et sur les spécificités culturelles. Pour l’ensemble du Maghreb, le même cheminement est observable. Au Maroc et en Algérie, le besoin de faire de la question des femmes une question prioritaire et de résister aux différentes versions inégalitaires des codes de la famille servis par leurs pouvoirs, les a amenées progressivement à créer des espaces autonomes conçus, selon le témoignage d’une des actrices, comme des lieux «  de renforcement de soi par la sauvegarde de notre identité féministe, par la précision de notre discours et de notre référent qui est l’égalité entre les femmes et les hommes  ». Cette priorité accordée à la cause de l’égalité était chose impossible tant dans les structures de l’État que des partis de l’opposition pour lesquels la libération des femmes viendrait après le développement économique ou l’avènement du socialisme. Au Machrek, le même besoin de se regrouper en autonomie est à l’origine de la création des associations féministes autonomes qui y foisonnent et se multiplient. En Égypte, en Palestine, en Jordanie, au Liban, en Irak, la question de l’indépendance et de l’autonomie est brûlante  : comment partager avec les hommes les luttes pour l’autodétermination des peuples, l’émancipation du joug colonial, contre l’annexion des territoires et ne pas occulter la polygamie, les violences familiales, les assassinats des femmes  ?

Sana Ben Achour


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