La psychanalyse, antidote des passions tristes

mardi 18 janvier 2011.
 

Le psychanalyste Roland Gori décortique « la civilisation de l’intérêt », montrant comment le capitalisme contemporain soumet le sujet à la norme et au conformisme médiatique.

De quoi la psychanalyse est-elle le nom ? Démocratie et subjectivité, de Roland Gori.Editions Denoel, 2010, 300 pages, 16 euros.

Comment peut-on encore être humain ? Humain : autrement dit cet être pas-complètement-animal doté d’une histoire, d’une vie intime, bref d’ une certaine épaisseur. Face aux logiques de l’efficacité et de la rentabilité, jouer encore à l’humain est proprement irresponsable. Comme si notre époque avait le temps de s’occuper de votre subjectivité, de gérer vos oublis. Humains, il faut vous mettre à la page, notre civilisation est celle de la transparence, du calcul, du programme. Votre subjectivité lestée d’histoires individuelles et collectives n’est qu’obscurité inutile et ses défenseurs des êtres dangereux pour la transparente démocratie.

Défenseur de cet homme complexe et imprévisible, le psychanalyste serait donc le symbole d’un obscurantisme chronique et persistant ? Face à cette lecture organiciste et sécuritaire qui s’installe progressivement – mais sûrement – dans tous les domaines de la vie sociale, une riposte était attendue, celles de psychanalystes notamment.

En psychanalyste et co-initiateur d’un mouvement citoyen, Roland Gori répond. Son ouvrage analyse avec force et précision cette sournoise évolution qui veut que l’on parle davantage d’«  entrepreneur de soi  »  ; plutôt que de «  sujet  ». Dépassant le simple constat catastrophé, ce livre important, enrichi de nombreuses analyses philosophiques, anthropologiques et sociologiques, propose une compréhension critique globale de ce qu’il nomme une « civilisation de l’intérêt ».

Ses valeurs ? La rationalité, l’objectivité, l’instantanéité, le mesurable, l’évidence...Ses instruments de soumission ? La fabrique médiatique, l’expertise, l’évaluation, l’éloge de la norme. Mais si nul pouvoir technique et économique ne pourra véritablement supprimer le sujet, il peut néanmoins engendrer son quota de souffrance et de révolte.

La souffrance ? Dans le milieu de la santé mentale, les conséquences de cette logique normative sont désastreuses. Comme l’écrit l’auteur  : « le fou, le bizarre, l’anomalique, le délirant travaillent contre leur intérêt, incarnent la tyrannie des passions et deviennent les emblèmes d’un chaos que le commerce n’aurait pas réussi à polir, à adoucir et à réguler ». En effet, quelle place accorder dans cette civilisation à celui qui s’entête à être souffrant  ? Bien souvent celle d’homme dangereux, de l’anomalie sociale.

L’insoumission ? C’est ce que ce livre soutient. Sa thèse est la suivante  : face à cette société où règne la tyrannie de la norme, à tous ces dispositifs de chosification, la psychanalyse est un site de résistance du contingent, du hasard et de l’inattendu.

Mais elle est également un antidote à la servitude volontaire, puisqu’il n’appartient qu’à nous de quitter notre soumission aux passions tristes du conformisme et du ressentiment. Résistante aux dispositifs de subjectivation du capitalisme, rebelle, la psychanalyse permet l’instauration d’un véritable conflit démocratique.

Catherine Jourdan


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