Projet du Parti Socialiste : tout est dans l’affiche

vendredi 8 avril 2011.
 

Du programme socialiste le Parti de gauche a dit qu’il n’était « ni socialiste, ni réaliste ». Mais le journal « les Echos » et la presse économique sans compter « Le Monde » et « Libération », ont souligné qu’il s’agit d’un programme bien « ancré à gauche ». A la précédente étape de la rédaction du projet socialiste, la droite n’avait pas hésité à dire qu’il s’agissait d’un « retour à 1981 ». Cette fois-ci ne peut-on dire qu’il s’agit d’un retour à la révolution bolchévique ? Il le faudrait pour que chacun tienne sa place dans le jeu de rôle. De toute façon personne ne risque rien à raconter n’importe quoi. Car personne n’a de mémoire, personne ne compare à rien, personne ne tient compte d’aucun évènement récent. Tout est dans l’affiche. Quelques exemples.

Mémoire ? Allons bon, quoi encore ? Question : pourquoi faire moins qu’hier quand on veut faire plus ? C’est ce qu’explique un des rédacteurs du projet socialiste, le secrétaire national à l’économie du PS Michel Sapin, cité par l’Humanité : "les Français savent très bien qu’on ne peut pas promettre autant aujourd’hui qu’en 2007 et encore moins qu’en 2002." Exemple. Le programme de Jospin prévoyait 700 000 emplois jeunes dont 300 000 dans le privé. Il n’en réalisa « que » 350 000 dans le public. Dès lors, comment une priorité donnée à la jeunesse, à supposer que cette mesure y corresponde, conduit à proposer 50 000 emplois de moins que ce qui fut fait il y a dix ans et 400 000 de moins que ce qui fut promis alors ? Comparaison. Le Parti de Gauche propose le salaire maximum de un à vingt dans toutes les entreprises, depuis deux ans. A toutes les occasions j’en rappelle l’idée dans les médias qui m’accueillent. Le PS la reprend. Fort bien. Du coup toute la presse chiffre la mesure et cherche des exemples. C’est bon pour nous. Le mot d’ordre avancera dans les esprits. Les socialistes ne pourront plus s’en dégager. Et qui boit la mer doit aussi digérer les poissons. Mais pourquoi le PS réserve-t-il cette mesure aux seules entreprises où l’Etat est actionnaire ? Pourquoi pas à toutes les autres ? En quoi le scandale des sur-rémunérations et son impact global sur le partage de la richesse produite en entreprise est-il limité aux seules entreprises semi publiques ?

Pour nous, avec le salaire maximum, la question posée n’est pas de punir ou de stigmatiser en faisant des exemples. Il est question d’organiser un nouveau modèle de partage de la richesse et un nouveau modèle vertueux de ce partage dans chaque entreprise. Cet objectif n’est pas servi avec une mesure qui ne s’appliquerait qu’à 57 entreprises sur les 3 millions que compte le pays et qui n’emploient que 7 % du total des salariés. Comment accepter que sous un gouvernement de gauche 93 % des salariés continuent de travailler dans des entreprises soumises à l’arbitraire patronal en matière de hauts salaires ? En quoi cette discrimination est-elle socialiste ?

Pourquoi le PS renonce-t-il à augmenter le SMIC ? Qu’est-ce que ce simple "rattrapage du SMIC que la droite a déconnecté de la hausse des prix". Il ne s’agit donc pas d’une augmentation véritable du pouvoir d’achat du SMIC au-delà de l’inflation ? C’est un double recul pour le PS. Encore une question de mémoire. D’abord par rapport au texte issu de sa convention thématique de 2010 sur le "nouveau modèle de développement". Celui-ci prévoyait « la revalorisation du SMIC » comme « levier fort ». Le recul est encore plus important par rapport au projet socialiste pour 2007 qui affirmait : « nous porterons le SMIC au moins à 1500 Euros bruts le plus tôt possible dans la législature ». Mais qui se souvient de quoi que ce soit ? Pas les médias qui traitent de ce programme en tous cas. Ils n’ont rien vu, rien comparé.

Pourquoi le texte du programme du PS est-il si timide sur la précarité ? Pourquoi se contente-t-il d’une simple modulation des exonérations de cotisations en cas de "recours abusif aux contrats précaires". C’est combien un recours « abusif » ? Qui l’évalue ? Avec cette mesure les entreprises pourront continuer à développer la précarité en payant un peu plus ! Et rien n’est prévu non plus pour les 800 000 précaires de la fonction publique. Ils ne sont pas abusifs ceux-là ? Là encore le programme du PS est en recul par rapport au projet socialiste pour 2007. Celui-ci affirmait beaucoup plus clairement son opposition à la précarité : « Pour lutter contre la précarité, nous réaffirmerons la primauté du CDI sur toute autre forme de contrat de travail. »

Ca ne s’arrange pas avec la question des licenciements boursiers. Le nouveau programme donne moins que la loi Jospin en 2002 dite de « modernisation sociale ». Le PS propose en effet seulement de "renchérir" les licenciements boursiers. Mais sans les interdire, ni donner aux salariés de nouveaux moyens pour reprendre leur entreprise en coopérative. De même, il n’y a rien sur le temps de travail. Le PS se contente d’annuler la défiscalisation des heures supplémentaires. Mais sans revenir sur les mesures de la droite qui flexibilisent le temps de travail. Le projet PS ne comporte par exemple aucune mesure contre le temps partiel contraint, les horaires fractionnés et autres. Le silence du PS sur la réduction du temps de travail est là encore un double recul. Le texte issu de la convention nationale organisée en 2010 proposait de « revenir sur les dispositifs ayant dégradé les 35h et sur la remise en cause du repos dominical ». Et le projet socialiste pour 2007 prévoyait d’aller plus loin encore : « Nous relancerons la négociation sur le temps de travail, pour étendre le bénéfice des 35 heures, avec création d’emplois, à tous les salariés. Si la négociation n’aboutit pas, la loi interviendra. »

Ce qui ne me parait pas réaliste, c’est que le PS déduise de l’injection de 25 milliards de dépenses nouvelles une croissance de 2,5% de la richesse produite. Comment cela se fera-t-il ? Alors même que le pacte de compétitivité adopté par l’Union Européenne ne donnera aucun entrainement venant de l’extérieur ? Ce qui ne me parait pas réaliste c’est ce que le programme du PS ne dise mot de ce que ferait un gouvernement PS si, au vu de son programme les agences de notations s’attaquaient à notre pays et si le système bancaire l’attaquait ! Nous avons procédé à l’inverse en commençant nos travaux sur notre programme par le forum « gouverner face aux banques ». Croire que la question ne se posera pas dans la nouvelle Europe du pacte de compétitivité et du Fmi est un angélisme au dessus des moyens de notre pays. Surtout quand on annonce une croissance à 2,5% que les narquois diront peu probable dans ce contexte et avec ce programme.

Ce qui n’est pas réaliste non plus c’est de promettre toutes sortes de choses qui ne sont pas autorisées par le traité de Lisbonne. Et comme le programme du PS ne propose aucune remise en cause du cadre actuel de l’Union européenne ces propositions sur l’Europe n’ont donc aucune crédibilité. Humour de situation, le PS propose de "changer d’Europe". Sympa. C’était le titre des listes du Front de Gauche pour les élections européennes de 2009 … Récapitulons ces impossibilités : Il y a d’abord cet "emprunts européens pour financer les investissements du futur". Une idée nouvelle proposée par Jacques Delors il y a quinze ans. Mais le traité impose au budget européen d’être équilibré (article 310 TFUE). La création de nouvelles ressources propres de l’Union serait soumise à l’unanimité à 27 du Conseil puis à la ratification dans chaque Etat (article 311 TFUE) ! On a vu comment cela s’est passé pour mettre en place le fond de stabilisation financière face à la crise. Aucun gouvernement social démocrate n’en a profité pour proposer un tel emprunt.

Le programme du PS propose également une "taxation des transactions financières au sein de l’Union". Bon pourquoi pas. Mais cette proposition est contradictoire avec l’article 63 TFUE qui dit : « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites. » Une taxation étant clairement considérée par l’UE comme une restriction, elle est impossible sans remettre en cause les traités. Même situation pour cette "augmentation des droits de douane au niveau européen sur les produits ne respectant pas les normes internationales en matière sociale, sanitaire ou environnementale." Le traité de Lisbonne ne permet aucune restriction au libre échange et prône « la suppression des obstacles au commerce international » (article 21 TUE et 206 TFUE). Le Traité affirme même que l’Europe doit non seulement contribuer à la « suppression des restrictions aux échanges » mais aussi « aux investissements directs étrangers, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres ». « Et autres » : cela veut dire qu’il est impossible d’imposer des règles sociales ou écologiques aux importations et aux investissements étrangers. Cette proposition du PS est d’autant plus impraticable à mettre en œuvre sans changement institutionnel que la politique commerciale est une politique exclusive de l’Union sur laquelle la Commission a la haute main. Et que penser de cette idée de l’"adoption d’une assiette commune et d’un taux minimal de l’impôt sur les sociétés". Qu’est ce que ce taux minimal ? Ce n’est pas le même pour tous ? C’est juste un seuil en dessous duquel on ne pourrait aller ? Donc le dumping continuerait au-delà ? Comment cette mesure s’articule-t-elle avec la différenciation des taux prévue par ailleurs selon qu’une entreprise réinvestit ou distribue ses bénéfices ? Quoiqu’il en soit, rapportée a l’échelle de l’Europe, cette idée d’un tel taux commun est rendue impossible par le traité de Lisbonne, aux articles 113 et 114 TFUE qui exigent l’unanimité des 27 pour toute mesure dans ce domaine et rendent impraticable l’harmonisation fiscale.

Je me suis arrêté sur une mesure particulière. Celle qui concerne l’énergie. Certes il n’est rien dit à ce sujet sur la place du nucléaire en Europe. Pourtant nous sommes la région la plus nucléarisée du monde avec cinquante huit réacteurs. Sans doute ce silence est-il à mettre en rapport avec la timidité du programme sur ce sujet en France même. Elevé au niveau européen cela donne la rédaction suivante. "Donnons vie aux coopérations renforcées, proposons les contours d’un groupe pionnier adossé à la France et à l’Allemagne, autour d’objectifs précis"" … construction avec les pays qui le voudront, dons le cadre d’une coopération renforcée permise par les traités actuels d’une communauté européenne des énergies ". Donc il s’agit bien d’agir dans le cadre du traité existant. C’est écrit en toutes lettres. Mais alors le texte du PS ignore visiblement le contenu précis de ce traité. Il fait comme s’il suffisait de le décider pour que cela se fasse. Ce n’est pas du tout le cas. En effet celui-ci conditionne le lancement d’une coopération renforcée à l’accord de la Commission européenne. Celle-ci est libre de l’accepter ou pas. Puis après cela il faut encore réunir l’unanimité des 27 pays au Conseil pour l’autoriser. C’est l’article 329 TFUE. Une coopération renforcée n’est enfin possible qu’avec au moins 9 Etats participants. Et encore tout ceci n’est-il possible que dans le mandat explicite de « réaliser des objectifs de l’Union ». Il se trouve que développer un service public de l’énergie n’en fait pas partie. Ajoutons que ces coopérations renforcées ne doivent créer aucune distorsion de concurrence. C’est l’article 20 TUE. Toutes ces conditions rendent donc d’un intérêt très limité et d’une faisabilité encore plus aléatoire une coopération renforcée dans ce domaine de l’énergie. Et tout autant pour "poursuivre des objectifs pionniers" par rapport à ce que fait aujourd’hui l’Union Européenne ! Bref ce survol permet de comprendre que dans le domaine même qu’évoque le texte du programme du PS, c’est-à-dire l’action au niveau européen, les propositions ne sont tout simplement pas réalisables. A moins de remettre en cause le carcan du traité et de réclamer des mesures d’opt-out pour la France. Mais là, c’est ce que réclame le programme partagé du Front de Gauche. La cohérence est de son côté.

Le sentiment de travail vite et mal bouclé que laissent de telles approximations se confirme quand on découvre quelques bourdes particulièrement mal venues. Ainsi de cette étrange référence au "pays millénaire" que serait la France. Ce vocabulaire est étranger à la culture républicaine du socialisme français. Il correspond au contraire à la conception sarkozyste d’une continuité française remontant à Clovis. La France de l’an 1010 ! Ca va pas la tête ? Pour la gauche au contraire, c’est la rupture révolutionnaire qui fait sens et pas une continuité mythique et millénaire depuis l’ancien régime. Mais ce n’est pas le pire. C’est à propos d’immigration que le PS déraille totalement. Il n’hésite pas à proposer pour les immigrés "un contrat d’accueil et d’intégration, en faisant porter un effort majeur sur la maîtrise de la langue et la compréhension des droits et devoirs républicains". On se pince ! Cauchemar ! En effet ce contrat existe déjà. Et il porte d’ailleurs très exactement le même nom de "contrat d’accueil et d’intégration" ! Il a été créé par la loi Sarkozy sur l’immigration du 24 juillet 2006. Son objet est d’ailleurs aussi le même puisqu’il porte principalement sur l’apprentissage de la langue et le respect de droits et devoirs. Pour savoir ce qu’il faut en penser je renvoie notamment à la critique qu’avait alors exprimée les groupes parlementaires socialistes notamment celui du Sénat où je me trouvais alors.

N’empêche, il me faut le temps d’arpenter tout le texte du PS et celui de lire ce que les commissions et groupes du Parti de gauche analyseront. Car ce n’est pas rien que ce document. C’est à partir de lui que nous pouvons commencer le débat public à gauche. Un débat sans procès d’intention et sans a priori. Une discussion rationnelle qui s’appuie sur des faits et des comparaisons de programme à programme. De telle sorte que le suffrage populaire fixe le centre de gravité de l’action de gauche. A condition bien sûr que le texte soit stable et non remis en cause sans cesse. Ainsi la présentation par Jérome Cahuzac d’un autre plan de réforme des finances publiques le jour de l’annonce du programme du PS lui-même n’augure guère de cette stabilité. Ni l’information selon laquelle ce serait là une "boite à outils" dans laquelle chaque candidat à la primaire viendrait « prendre selon ses besoins » et « fixer ses priorités ».

Jean-Luc Mélenchon le 8 avril 2011

5 avril 2011 Le PS présente un projet pour 2012 (4 articles)


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