Un an avant l’élection présidentielle, le pire n’est pas sûr, mais nous nous dirigeons imperturbablement vers lui. Dans quelle situation nous trouvons-nous ? À gauche, le Parti socialiste (PS) vient de rendre public un programme qui – même dans l’hypothèse où le PS une fois au pouvoir l’appliquerait – ne correspond absolument pas à l’urgence de la situation. Loin de rompre avec la domination du capital financier, il l’accompagne et le PS fait entendre une petite musique de fond sur l’air « il faudra faire des efforts nécessaires mais partagés », dans la continuité des plans d’austérité comme l’ont fait d’autres gouvernements sociaux-démocrates en Europe. Entre des candidats d’accord sur l’essentiel, la primaire du PS s’apparente à un concours de beauté qui sera tranché par les sondages.
Or, pour l’instant, les forces situées à gauche du PS pèsent malheureusement peu et ne seront probablement pas une alternative à sa domination en 2012. Tout laisse croire que la focalisation des grands médias sur la primaire socialiste empêchera, de surcroît, que soient entendus les contenus programmatiques qui contestent les orientations du PS. La progression électorale du Front national ne cessera pas comme par enchantement. Car, en l’absence de cette alternative, alors que ses thèmes sont banalisés par le discours sarkozyste et la politique gouvernementale, le FN relooké surfe sur la désespérance sociale.
Les forces de transformation sociale sont donc prises dans un étau. Soit, ce qui est le plus probable, il y a un vote utile massif pour le PS au premier tour de l’élection présidentielle. Son hégémonie en sera renforcée et il aura totalement les mains libres, les forces le contestant à gauche risquant d’être laminées. Il serait alors probable que les échéances électorales qui suivront soient encore plus favorables au FN parce que le PS aura refusé de répondre aux attentes sociales. Soit le réflexe vote utile ne l’emporte pas et la possibilité d’un second tour Sarkozy-Le Pen est tout à fait possible. Dans ce cadre, la situation serait pire qu’en 2002 car Marine Le Pen risque de faire un bon score au second tour. Le FN s’affirmerait alors comme une force politique crédible, sans même parler des conséquences de la réélection de Nicolas Sarkozy.
Comment écarter les pinces de la tenaille ? C’est l’objet de l’appel « Pour une insurrection civique et démocratique » (Libération du 20 avril et Politis du 28 avril). Il refuse de se focaliser sur la question du candidat, mais vise à faire en sorte que le débat se déplace sur le terrain du contenu des politiques à mener : « Le problème est moins la désignation d’un candidat que l’élaboration d’un vrai programme répondant aux besoins sociaux et écologiques, préparé et débattu par les citoyens. » Il s’agit donc de mettre en œuvre un processus démocratique qui pourrait se conclure par une votation citoyenne sur des priorités économiques, sociales et écologiques. Il s’agit d’essayer de faire vivre un débat politique qui, mobilisant l’électorat populaire, pourrait redonner des marges de manœuvre à tous ceux qui contestent la domination du social-libéralisme sur la gauche française, l’exemple à suivre étant celui de la campagne contre le TCE.
Une votation citoyenne massive sur des orientations de rupture avec le néolibéralisme transformera la donne politique et rouvrira le jeu politique. Cela ne résout certes pas la question du candidat à l’élection présidentielle mais peut transformer les conditions dans lesquelles elle se pose. Un tel processus, en faisant participer le « peuple de gauche » à l’élaboration du programme présenté à nos concitoyens, constituerait une avancée démocratique majeure. Il montrerait que la politique n’est pas l’affaire de professionnels ou d’experts censés être seuls capables d’appréhender la complexité du monde, mais que les citoyen(ne)s sont aussi qualifiées pour débattre et choisir entre des orientations politiques. L’image de la politique en serait transformée.
Par Jean-Marie Harribey (économiste), Pierre Khalfa (syndicaliste), et Willy Pelletier (sociologue).
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