Le club des Cordeliers, aile populaire, militante et démocratique des années 1790 à 1792

samedi 28 janvier 2023.
 

1) Origine et particularités du club des Cordeliers

Lorsqu’éclate la Révolution française, la ville de Paris est divisée en 60 district. Ces circonscriptions territoriales deviennent immédiatement un cadre d’auto-organisation populaire ; leurs élus (3 par district) forment le Comité permanent qui siège en permanence à l’Hôtel de Ville les 13 et 14 juillet 1789 jouant un rôle de direction de l’insurrection.

14 juillet 1789 : la prise de la Bastille symbolise la fin définitive de la monarchie "absolue" et l’accélération du processus populaire révolutionnaire

Le 14 juillet 1789 vu par l’avocat Duveyrier

Parmi ces districts, celui des Cordeliers se fait remarquer par son enthousiasme et sa radicalité. Il faut dire qu’il compte plusieurs fortes personnalités comme son président Georges Danton mais aussi Jean-Paul Marat, Camille Desmoulins, Antoine François Momoro, Léonard Bourdon...

Au printemps 1790, les 60 districts sont répartis entre 48 "sections". Cette nouvelle division territoriale casse la centralisation parisienne des formes d’auto-organisation des quartiers. Le district des Cordeliers est intégré dans la 41ème section dite du "Théâtre français" qui se positionnera à gauche du processus révolutionnaire. Deux de ses élus seront guillotinés au lendemain du 9 thermidor.

Ce printemps 1790 est également marqué par les premiers échecs de l’alliance formée par la haute bourgeoisie et la partie libérale de la noblesse et du haut clergé en vue d’orienter la Révolution dans le sens d’une monarchie tempérée à l’anglaise ou de la démocratie à l’américaine.

Le 13 avril 1790, l’Assemblée refuse de reconnaître le catholicisme comme religion d’Etat. Cette décision de grande importance est utilisée par les partisans de l’Ancien régime pour développer une propagande contre-révolutionnaire de plus en plus virulente.

Dans le même temps éclatent un peu partout des jacqueries contre la cherté du pain. Des municipalités se voient obligées d’imposer des prix maxima. L’aspiration de la paysannerie à disposer de plus de terres ne trouve pas non plus de débouché.

Ces tensions sociales se reflètent au sein du Club des Jacobins dont l’aile droite scissionne pour créer le club des Feuillants et dont l’aile radicale fonde le Club des Cordeliers. Cette appellation vient du fait que ce dernier se réunit dans un ancien couvent des Franciscains, aussi appelé Cordeliers en raison de la corde qui leur servait de ceinture.

Alors que l’adhésion au Club des Feuillants est très élevée, que l’adhésion aux Jacobins est trop chère pour des gens de milieu populaire, les Cordeliers n’imposent pas de cotisation pour l’adhésion et placent seulement un drapeau à l’entrée de leurs réunions pour récolter des dons. Les Cordeliers admettent donc dans leur club et pour ses actions, des citoyens passifs (ne payant pas d’impôt) et des femmes.

Alors que l’ordre du jour des Feuillants et des Jacobins est essentiellement construit autour des débats de l’Assemblée constituante, l’action des Cordeliers est orientée vers la surveillance des autorités constituées et parfois la pression populaire sur elles. Aussi, le grand historien Albert Mathiez a analysé ce club comme "un groupe d’action et de combat".

2) Les Cordeliers, un groupe d’action et de combat en 1791

Le véritable nom du club des Cordeliers, c’est "Société des Amis des droits de l’homme et du Citoyen". Le 20ème et le 21ème siècles ont tellement vu de prétendus défenseurs des droits de l’homme comme Nixon, Bush et Trump aux USA ou Sarkozy, Hollande et Macron en France que notre lecteur sous-estime probablement sa portée révolutionnaire.

En ce début de Révolution française, la papauté et l’Eglise catholique comme institution se battent idéologiquement de façon systématique contre la fameuse Déclaration d’août 1789.

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (votée le 26 août 1789)

En ce début de Révolution française, la société est encore imprégnée de traditions féodales marquées par l’injustice et sujétion hiérarchique féodales.

Les "Amis des droits de l’homme et du Citoyen" ont donc du travail pour défendre ce fond théorique contre ses nombreux opposants, du travail surtout pour "réagir aux manquements aux droits de l’homme" (Albert Soboul).

Au printemps 1791, ils sont au coeur d’un réseau de Sociétés fraternelles qui ont en commun une base sociale populaire et une démarche démocratique radicale. Plusieurs rédacteurs de journaux influents participent également au lieu d’échange et d’action commune des Cordeliers (L’Ami du Peuple de Marat ; Le Père Duchesne de Hébert...

Cela les conduit à agir en faveur des ouvriers charpentiers contre leurs employeurs dans le long affrontement social qui va conduire à la loi Le Chapelier.

La loi Le Chapelier du 14 juin 1791, symbole de répression bourgeoise et non de république progressiste

Cela les conduit aussi à une attitude de plus en plus critique du Roi et de l’Assemblée constituante qui temporise sans cesse face à la contre-révolution.

Dès ce printemps 1791, plusieurs membres des Cordeliers défendent l’abolition de la royauté au profit d’une République. Ceci dit, le fond de l’orientation collective dépasse déjà cet objectif au travers de débats constitutionnels sur la souveraineté populaire.

Constatant qu’il perd de plus en plus son prestige et son autorité, le roi Louis XVI décide de quitter Paris sous un déguisement pour se rapprocher du marquis de Bouillé, général en chef de l’armée de Meuse, Sarre-et-Moselle, avec un but clair ainsi libellé "s’entourer de troupes fidèles... mettre fin aux entreprises criminelles de l’Assemblée nationale..."

21 juin 1791 La fuite de Louis XVI s’arrête à Varennes

Tous les partisans d’un compromis entre la royauté et la révolution s’entendent pour présenter cette tentative d’écrasement militaire des forces populaires et progressistes comme une tentative d’enlèvement du Roi qui est rétabli dans ses pouvoirs.

Les acteurs de la Révolution estiment, eux, qu’il serait dangereux pour la nouvelle France de conserver à la tête du pays un Roi allié aux armées ennemies.

Le Club des Cordeliers se réunit dans une ambiance survoltée le 15 juillet 1791. Une pétition est rédigée en opposition aux décrets rétablissant Louis XVI dans ses pouvoirs royaux.

Le 16 juillet, un appel est lancé demandant « un nouveau pouvoir constituant » pour « procéder d’une manière vraiment nationale au jugement du coupable et surtout au remplacement et à l’organisation d’un nouveau pouvoir exécutif »

Le 17 juillet, des milliers de Parisiens, probablement des dizaines de milliers, se rassemblent au Champ de Mars conformément à l’appel de la veille. Le marquis de Lafayette survient alors à la tête d’une forte troupe de la Garde nationale ; ayant pour but de disperser ce rassemblement qu’il juge séditieux, il fait tirer sur la foule. Le Champ de Mars se couvre rapidement de sang. Des dizaines de citoyens déterminés se groupent autour de la cinquantaine de morts et surtout des centaines de blessés. Les "bourgeois modérés" comme le maire de Paris, Jean Sylvain Bailly, ayant décrété la loi martiale pour écraser militairement le mouvement populaire, une violente charge de cavalerie finit de dégager le Champ de Mars.

17 juillet 1791 Fusillade du Champ de Mars

Le soir même du massacre, la municipalité bourgeoise de Paris décide le fermeture du local où se réunissait le Club des Cordeliers. Deux canons sont placés devant la porte avec leurs servants pour bien marquer la fin de cette expérience.

3) Même administrativement défunt, le club reste influent

La preuve d’une certaine cohérence de ce club, c’est qu’il va continuer à agir malgré la répression.

Durant l’été 1791, plusieurs de ses animateurs luttent contre la constitution de 1791, en particulier son refus du suffrage universel.

Son réseau d’acteurs des Sociétés fraternelles joue un rôle majeur dans l’auto-organisation du peuple parisien qui se développe au travers des districts.

Ses liens avec de nombreuses sociétés de province lui assurent l’écho maintenu de ses idées alors que la bourgeoisie libérale se coupe de plus en plus des aspirations populaires.

C’est la menace d’invasion par les armées des royautés européennes qui va donner aux acteurs de l’ancien club des Cordeliers un rôle central dans la Révolution.

27 août 1791 La Déclaration de Pillnitz marque l’engagement des royautés européennes contre la Révolution française

Une fois la guerre commencée, les armées françaises sont décimées et mises en déroute sur tous les théâtres d’opérations. Il faut dire que deux tiers des gradés (nobles opposés au nouveau régime) ont déjà quitté leurs unités ou même ont rallié les armées ennemies ; l’attitude des autres officiers s’avère souvent douteuse. comme Lafayette,

C’est la détermination et l’auto-organisation du peuple parisien au travers des sections et de la Commune qui va sauver la révolution. Plusieurs anciens membres du club des Cordeliers pèsent lourd dans les permanences de quartier qui siègent jour et nuit et dans le Quartier général sectionnaire siégeant à l’Hôtel de Ville.

Début juin 1792, l’épreuve de force paraît engagée par le Roi qui renvoie les ministres girondins, refuse sa signature aux décrets de mobilisation des fédérés face aux armées étrangères et de lutte contre les prêtres réfractaires. Lafayette, général en chef de la meilleure armée, battu suite à ses propres erreurs, écrit à l’Assemblée une lettre de menace contre les "factieux de l’intérieur" qui sont pour lui les militants de la mobilisation populaire.

Quelques personnalités du courant issu des Cordeliers prennent alors l’initiative d’une manifestation le 20 juin 1792. contre l’avis de plusieurs personnalités de la gauche des députés comme Robespierre qui estiment cette initiative prématurée. A l’heure prévue 20000 manifestants marchent des faubourgs vers le centre de Paris. Là, ils envahissent le Palais des Tuileries puis entrent à l’Assemblée où le Roi s’est réfugié. Legendre, ex-Cordelier typique, lance publiquement au souverain qui laisse passer l’offense « Monsieur, vous êtes un perfide, vous nous avez toujours trompés, vous nous trompez encore »

Le 26 juin, Lafayette qui quitte son poste au combat pour tenter un coup d’état sur la capitale.

La mobilisation populaire redouble d’intensité. Sa pression est telle que l’Assemblée législative :

- vote les 5 et 6 juillet l’appel à des volontaires

5 et 6 juillet 1792 Appel à des Volontaires pour sauver la Révolution française

- déclare les 11 et 12 juillet la patrie en danger

11 et 12 juillet 1792 La patrie en danger ! Aux armes citoyens !

Ce processus de radicalisation va mener à la journée du 10août qui marque l’entrée de la Révolution dans sa phase plébéienne.

10 août 1792 La prise des Tuileries engage la 2ème phase de la Révolution française, portée par le peuple

4) L’explosion du courant des Cordeliers

Plusieurs dirigeants des Cordeliers vont suivre Danton pour constituer le groupe nommé des Indulgents.

Par contre, la majorité des animateurs populaires du club vont participer au courant hébertiste de 1793 sur lequel nous reviendrons.

Jacques Serieys, le 24 janvier 2011

Paris au printemps 1791

https://www.persee.fr/doc/ahrf_0003...

http://www.montesquieuvolvestre.com...


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