27 mai : Anniversaire de la grande grève de 1941 Hommage aux mineurs et leurs compagnes

jeudi 30 mai 2013.
 

La grève de Mai-Juin entraîna, à son apogée, 100 000 mineurs et leur compagne dans la lutte. Pour du pain, du savon noir, de l’huile, de meilleures conditions de ravitaillement et de travail et forcément l’indépendance nationale… La répression fut impitoyable.

Elle restera dans l’histoire comme l’une des plus importantes mobilisations de masse en Europe occupée par les nazis.

« Seule la classe ouvrière dans sa masse aura été fidèle à la France profanée »

Ce mouvement, il est vrai circonscrit au Nord-Pas-de-Calais, tarde à gagner sa place dans les manuels scolaires. Il y a vingt ans, l’association « Mai-Juin 1941 » joua un rôle considérable dans la reconnaissance tardive de son caractère patriotique par l’Etat.

Mai 1940. La France capitule. Le Nord-Pas-de-Calais passe sous la botte allemande. Il est rattaché au commandement militaire de Bruxelles en qualité de « zone interdite ». Le patronat des Mines s’apprête à savourer sa revanche sur 1936. Dans un contexte de pénurie alimentaire et pire de difficulté d’accès au marché noir, il renforce sa pression sur les « gueules noires » : allongement de la durée du travail, blocage des salaires, augmentation des cadences et multiplication des brimades ! La surexploitation physique dont sont victimes les travailleurs est un sujet d’étonnement chez les… Allemands même. Dans les mines, le malaise s’exprime par des arrêts de travail dès l’automne 1940. Le 11 novembre, 40.000 mineurs boudent le fond. La grève de l’Escarpelle rythme le mois de janvier 1941… Le 1er mai suivant offre l’occasion au Parti communiste français clandestin d’une démonstration de force. Dans L’Enchaîné du Pas-de-Calais, Auguste Lecoeur, l’un de ses animateurs, appelle à en faire une « journée de lutte contre le double joug de la domination capitaliste et étrangère ». Des « Thorez au pouvoir » ornent les murs des cités où fleurissent les drapeaux rouges…

Le 27 mai au puits Dahomey

Lorsque la compagnie des Mines de Dourges prétend réintroduire « le paiement des ouvriers à l’abattage par équipes », c’est le déclic. De la fosse 7 de Montigny-en-Gohelle, les premiers mineurs cessent le travail à l’appel des communistes et plus particulièrement de Michel Brulé, l’animateur local du Comité d’Union syndicale et d’Action (CUSA), organisation clandestine qui défie la logique chartiste de collaboration de classe voulue par Vichy. Nous sommes le 27 mai. Le mouvement se répand alors très vite à l’ensemble de la concession de Dourges puis au bassin en même temps que les revendications s’élargissent. Les grévistes réclament du pain, du savon. Et la cessation des brimades ! La CGT interdite par Vichy, la SFIO liquéfiée ; certains de ses membres sombrant dans la collaboration, le PCF apparaît alors comme « le seul à pouvoir mener un combat social », selon l’historien Yves Le Maner. Le parti a l’opportunité de pouvoir s’appuyer sur une corporation minière qui fait bloc, rivée à son poste de travail du fait des mesures de réquisition prises dès 1939.

4 mineurs sur 5 en grève !

En Belgique, un mouvement de contestation similaire avait entraîné 7 000 mineurs du bassin de Liège dans la grève du 17 au 24 mai. Le patronat avait satisfait les revendications des mineurs et tout était rentré dans l’ordre. Ici, il rechigne à y répondre favorablement. Aussi le mouvement s’inscrit-il dans la durée… Les travailleurs immigrés dont les Polonais parfois majoritaires à l’abattage, mais aussi les compagnes des mineurs en sont largement partie prenante. Du 2 au 4 juin, 100 000 travailleurs en grève, dont désormais des gaullistes, mais aussi des socialistes et des chrétiens… « Le chef d’orchestre était communiste, mais tous les musiciens, loin s’en faut, ne l’étaient pas », dira Auguste Lecoeur. 80 % de la corporation a débrayé ! Les femmes entrent dans la danse et défilent dans les corons…

Le Bassin minier en état de siège !

Dans un pays noir encore largement imprégné d’une anglophilie qui date de la Grande Guerre, et marqué par le souvenir des atrocités teutonnes de 1940, à Courrières et Oignies…, le « mouvement de défense sociale est en train de se transformer en pulsion de révolte contre l’occupant. La grève acquiert un caractère de lutte nationale », soutient Yves Le Maner. Le caractère antiallemand des bulletins et tracts communistes le montre. L’ordre public est menacé et surtout l’appareil de production désorganisé. Un moment dans l’expectative, l’occupant avec le soutien de l’administration française réagit, devant l’incurie du patronat. C’est l’état de siège. Lieux publics fermés, salaires non payés, vivres non distribués, premières arrestations au hasard pour accroître l’effet de terreur avec en point d’orgue une vague d’arrestations (dont 47 femmes) à l’aube du 6 juin. Les premières « se font au hasard pour créer un effet de stupeur, puis elles sont plus ciblées sur la base de listes fournies par le patronat », rappelle Alain Durand, animateur de l’antenne du Pas-de-Calais des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. L’armée reçoit le soutien de la Gestapo. Un climat de terreur s’installe. L’effet escompté se produit avec une progressive reprise du travail. Le 10 juin, la grève est terminée.

Une répression à la hauteur des enjeux

Le bilan de la répression est terrible. 450 personnes auront été emprisonnées. 250 mineurs environ sont acheminés vers le camp de concentration d’Oranienburg-Sachsenhausen, au nord de Berlin. Les mineurs nordistes composent ainsi le premier convoi de déportés de la France occupée. 130 y laisseront leur vie. D’autres militants communistes gagneront la clandestinité et alimenteront les premiers bataillons de la lutte armée… qui se développera dans la foulée de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne, le 22 juin 1941. Première mobilisation de masse de cette ampleur et de cette durée en Europe occupée, la grève des mineurs de Mai – Juin 1941 met en lumière le rôle incontournable des communistes du Pas-de-Calais, dans la lutte contre l’occupant et pour l’indépendance nationale. En effet, cette action n’aurait jamais eu ce caractère de masse si elle n’avait été relayée par le PCF clandestin du Pas-de-Calais réorganisé autour d’Auguste Lecoeur et Julien Hapiot, rompus à la lutte antifasciste en Espagne, ou encore de Maurice Deloison, Gustave Lecointe ou Nestor Calonne. Selon Alain Durand, il s’agit « de la spécificité du Pas-de-Calais », à l’heure où la Fédération du Nord restait fidèle à la ligne du Komintern de dénonciation d’une guerre entre puissances impérialistes qu’il s’agissait de renvoyer dos à dos.

Une action finalement récompensée !

Cette action a porté un coup terrible à la machine de guerre allemande en lui faisant perdre 500 000 tonnes de charbon. Elle a mis en lumière la dimension collaborationniste du patronat des Mines et de la police française et le rôle d’avant-garde de la classe ouvrière dans la libération du pays. Comme le soulignera l’écrivain François Mauriac : « Seule la classe ouvrière dans sa masse aura été fidèle à la France profanée. » Les murs de la citadelle d’Arras en témoignent encore aujourd’hui… Le premier convoi de déportés à prendre la direction de l’Allemagne sera ainsi composé d’ouvriers-mineurs. La grève n’aura cependant pas été vaine. Pour améliorer le ravitaillement, les compagnies consentiront à la création du Service d’Approvisionnement des Houillères, l’ancêtre des coopératives « CCPM » bien connues des anciens.

Par Jacques Kmieciak (SNJ – CGT)

B) Le scandale de la grève oubliée des mineurs de mai-juin 1941

par Pierre Outteryck, historien

Au printemps 1941, les mineurs du Nord-Pas-de-Calais se mettent en grève. Un acte de résistance fondateur. Fruit d’une mobilisation animée par les communistes. Avec l’aide de la police française et des compagnies des mines, la Feldgendarmerie mène une répression féroce.

Novembre 2014  : sous l’impulsion de Christiane Taubira, garde des Sceaux, l’Assemblée nationale décide de valoriser les engagements et les valeurs des « gueules noires » lors des grèves de 1941, 1948 et 1952. Une commission est pour cela créée. Présidée par le maire de Grenay (Pas-de-Calais), Christian Champiré, elle prendra le nom de « Norbert Gilmez », héros de la lutte opiniâtre des mineurs, victime de la répression lors des grèves de 1948.

Le 27 mai 1941, au matin, le jeune militant syndicaliste et communiste Michel Brûlé fait stopper les compresseurs à la fosse du Dahomey de Montigny-en-Gohelle. Immédiatement, les marteaux-piqueurs s’arrêtent  ; les abatteurs relèvent la tête… Puis des cris, l’Internationale, chantée au fond de la mine à gorge déployée, brise le silence. La grève vient de commencer  ! Elle durera quinze jours et rassemblera de Bruay-sur-l’Escaut à Bruay-en-Artois, sur les 120 km du sillon minier, plus de 100 000 mineurs. Ce fut la plus importante grève dans l’Europe occupée.

En effet, depuis juin 1940, le nord de la France est occupé par la Wehrmacht. Le Nord-Pas-de-Calais et les Ardennes, devenus Zone interdite, sont directement administrés par les Allemands depuis Bruxelles (Oberfeldkommandantur), même si préfets, sous-préfets et administrations dépendant de Vichy demeurent présents. En juillet 1940, le directeur des mines de Lens est chargé par les Allemands de coordonner l’activité des différentes concessions et d’organiser le pillage du charbon extrait au profit de l’occupant.

En cet été 1940, le chômage est prégnant, la misère est importante, la classe ouvrière est fortement désorganisée après les vagues de répression de l’hiver 1938-1939, puis de septembre et octobre 1939, la mobilisation et l’évacuation devant l’avancée de la Wehrmacht n’ont fait qu’aggraver cette désorganisation. Pourtant, dans le bassin minier, des responsables syndicaux, des délégués mineurs et élus communistes déchus de leurs mandats demeurent sur le terrain. Ils deviendront les pivots d’une Résistance populaire qui, très vite, va naître.

En août 1940, Martha Desrumaux, dirigeante du PCF, réunit clandestinement plusieurs responsables communistes dans le Douaisis. L’objectif est clair  : organiser la lutte des mineurs. En effet, le charbon était le pain de l’industrie. Malgré peurs et répressions, la corporation minière, forte de son expérience revendicative, pouvait être mobilisée. Ainsi, dès ce mois d’août, un cahier de revendications est rédigé, susceptible de remobiliser la corporation minière et les populations du bassin minier. Vingt mille exemplaires seront tirés clandestinement. Quinze mille parviendront dans les corons et les fosses. Le retour fin octobre 1940 du dirigeant Auguste Lecœur dans le Pas-de-Calais va accélérer la mobilisation.

Dès septembre 1940, des débrayages avaient eu lieu à la fosse du Dahomey après la mort d’un galibot  ; le 11 Novembre est fêté dans le Douaisis. En janvier 1941, la compagnie de l’Escarpelle est en grève  : les mineurs refusent l’allongement de la journée de travail sans augmentation de salaire. En février, des débrayages touchent les fosses autour de Lens. Le 1er mai 1941, drapeaux rouges et tricolores pavoisent terrils et chevalements  ; faucilles, marteaux et croix de Lorraine ornent les murs… Le 27 mai 1941, c’est la grève  ! 100 000 mineurs sur les 143 000 recensés arrêtent le travail.

Elle durera quinze jours. « Tout est calme », signalent les directeurs de compagnie. Refusant toute provocation, évitant d’occuper les carreaux et l’entrée des fosses, les mineurs restent dans les corons. Ce sont leurs femmes qui interpellent les « jaunes » à la sortie des cités pour les inciter à refuser le travail. Très vite, la grève est connue dans l’agglomération lilloise, où chaque matin des femmes venues des mines travaillent dans les filatures… Déjà le charbon manque et la production électrique est restreinte.

Le 4 juin, des centaines de femmes manifestent à Liévin, Sallaumines, Lens et Harnes. Police et gendarmeries françaises sont submergées. L’armée allemande doit intervenir. La répression commence. La Feldgendarmerie utilise des listes de « rouges » remises par les commissariats et les compagnies des mines. Plusieurs centaines de mineurs sont arrêtés et emprisonnés à Lille, Béthune, Douai et Valenciennes.

Le 13 juin, 273 mineurs sont déportés à la citadelle de Huy en Belgique. Le 23 juillet, 244 d’entre eux partent pour le sinistre camp de concentration de Sachsenhausen, le camp modèle des nazis. Cent trente-six mineurs n’en reviendront pas.

Cinq cent mille tonnes de charbon ne seront pas extraites durant cette grève. Après la répression, pour calmer les esprits, les autorités d’occupation décident une légère augmentation des salaires, des rations de viande et de savon supplémentaires ainsi que des vêtements de travail.

Mais cette grève du 27 mai au 9 juin 1941 témoigne de la capacité de la classe ouvrière et du peuple à refuser la violence de l’exploitation et la soumission à l’occupant.

Les mineurs à l’honneur !

Henri Martel, un mineur syndicaliste, élu du peuple. Né en 1898, il adhère avant 1914 à la CGT, et dès 1920, au Parti communiste. Il est élu député en 1936 et en 1940. Sénateur-mineur en 1946, responsable de la CGT dans le Douaisis, secrétaire général de la Fédération du sous-sol et de l’Union internationale du syndicat des mineurs (FSM), ce mineur de fond est devenu un véritable homme d’État (16 euros, franco de port). Magazine d’histoire, Mai-juin 1941, 100 000 mineurs en grève, 64 pages, éditorial de Julien Lauprêtre (4,30 euros, franco de port). S’adresser à l’association Cris, 166, avenue de Bretagne 59000 Lille (associationcris@orange.fr)

Repères

1er janvier 1941 L’occupant allemand décide d’allonger d’une demi-heure la journée de travail sans augmentation de salaire.

1er mai Des mouvements sociaux s’organisent autour des comités d’unité syndicale et d’action (Cusa).

3 juin 80 % des mineurs du bassin minier cessent le travail.

5 juin On compte déjà plus de 200 arrestations.


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