Charles Tillon L’insoumis qui « chantait rouge »

lundi 27 septembre 2010.
 

Il dirigea la fédération CGT des ports 
et docks avant d’être élu à Aubervilliers dans la foulée 
du Front populaire. 
La débâcle le voit réfugié à Bordeaux, d’où il lance, 
le 17 juin 1940, un appel à la résistance avant de se lancer dans l’organisation clandestine 
du PCF et des FTP.

Charles Tillon fait partie de cette génération qui entre dans le XXe siècle avec l’horreur de la guerre. Engagé dans la marine, il embarque en 1916 sur le Guichen comme mécanicien. Au cœur des événements de 1919, il fait signer une pétition à ses compagnons de l’équipage exigeant leur retour en métropole. Face au refus du commandement éclate une « grève mutinerie ». Charles Tillon est alors arrêté avec d’autres « meneurs », jugé et emprisonné. Il n’est relâché qu’un an plus tard.

Cet épisode renforce ses convictions  ; au caractère bien trempé, il adhère à la Sfic et à la CGTU et devient responsable de l’Union départementale CGTU d’Ille-et-Vilaine en 1923. Commence une carrière de permanent syndical, puis politique. En 1928, Tillon est secrétaire de l’Union régionale CGTU de Nantes, un an plus tard secrétaire régional du PC. Très vite repéré pour son travail accompli comme syndicaliste, il devient un cadre de la direction thorézienne du PCF. Au cours de l’hiver 1933, il organise la marche des chômeurs de Dunkerque à Paris et prend la direction de la fédération CGTU des ports et docks. Dans l’élan du Front populaire, il est élu conseiller général d’Aubervilliers en 1935, puis député en 1936. Il est alors chargé par son parti de lutter contre Jacques Doriot. En 1939, il est choqué par le sort réservé aux réfugiés républicains espagnols et interpelle le gouvernement. Il est même arrêté à Alicante, puis libéré. Comme ses camarades députés communistes, il vote les crédits de guerre le 2 septembre 1939. Toutefois, dans l’atmosphère ambiguë du pacte germano-soviétique, il entre en clandestinité après la dissolution du PCF.

Caché, il n’est pas arrêté comme la plupart des députés communistes, mais il n’échappe pas au procès d’avril 1940 où il est condamné par contumace à cinq ans de prison ferme et 5 000 francs d’amende. Entre-temps, il est devenu l’un des responsables qui réorganisent le Parti, ayant en charge le sud-ouest du pays. Le 17 juin 1940, en pleine débâcle, il appelle depuis Bordeaux à la constitution d’un nouveau gouvernement  : « Les gouvernements bourgeois ont livré à Hitler et à Mussolini l’Espagne, l’Autriche, l’Albanie et la Tchécoslovaquie… Et maintenant, ils livrent la France. Ils ont tout trahi », et d’ajouter  : « Pour un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, établissant la légalité du Parti communiste, luttant contre le fascisme hitlérien et les 200 familles, s’entendant avec l’URSS pour une paix équitable, luttant pour l’indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes. » Cet appel est prolongé après la mise en place du régime de Vichy et de la Révolution nationale par son manifeste du 18 juillet.

Manifeste explicitement résistant, qui souligne les paradoxes du PCF lors de cette période trouble, alors que certains négocient avec l’occupant pour faire reparaître légalement l’Humanité, Charles Tillon déclare  : « L’ordre nouveau du gouvernement de la 5e colonne, c’est le fascisme hitlérien  ! Une terrible tragédie vient de se jouer, qui précipite les travailleurs de France dans de nouvelles souffrances et de redoutables épreuves. Dans le désarroi et le bouleversement où la trahison de classe la plus formidable de son histoire l’a plongé, notre pays entièrement subjugué quoique partagé en deux zones (celle de la France occupée par Hitler, celle de la France occupée par le gouvernement de la 5e colonne) ne peut entendre qu’une seule voix qui traduise, à la mesure des aspirations de la nation véritable, la vérité, la colère salvatrice contre les traîtres (…). Notre devoir à tous est de nous unir pour conquérir notre patrie, de nous unir pour libérer son territoire de tous les oppresseurs et exploiteurs, pour en chasser à la fois les capitalistes, leur tourbe de valets et de traîtres et les envahisseurs  !  »

Dans ce manifeste qui appelle à lutter contre la tyrannie, pour la liberté, on retrouve la ligne antifasciste du Front populaire, la verve patriotique qui n’a rien à voir avec la dénonciation d’une guerre impérialiste. Il décide également de cacher des armes pour les combats futurs. Charles Tillon l’insoumis est un des premiers résistants.

Il organise l’activité clandestine du PCF et met sur pied, en 1942, les FTP, éléments de la lutte armée contre l’occupant et les forces de Vichy, participant aux combats de la Libération.

Auréolé de ce passé résistant, il devient maire d’Aubervilliers en 1945. Réélu en 1947, il est élu député aux deux Assemblées nationales constituantes, puis député de la IVe République.

Entre-temps, il entre au gouvernement du général de Gaulle comme ministre de l’Air (du 10 septembre 1944 au 21 novembre 1945), puis ministre de l’Armement, le 21 novembre 1945. Après le départ du général de Gaulle, il garde son poste au sein du tripartisme et s’occupe de la lourde tâche du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme du 22 janvier au 4 mai 1947 (date du renvoi des ministres communistes). En guerre froide, il dirige le Mouvement de la paix, met sur pied l’Anacr (Association nationale des anciens combattants de la Résistance). Mais le député maire d’Aubervilliers est victime, en 1952, comme André Marty, d’un véritable procès stalinien à Paris. Écarté, il décide de partir à Montjustin, dans le Lubéron, avec sa femme et son fidèle garde du corps, Armand Simonnot, ancien chef du maquis FTP Vauban dans le Morvan, qui l’avait rejoint à Aubervilliers en 1945.

Il publie une histoire des FTP en 1962. Restant communiste, il dénonce le coup de Prague et la normalisation qui s’abat en Tchécoslovaquie. En 1970, il cosigne avec Garaudy, Pronteau et Kriegel-Valrimont, un manifeste appelé Il n’est plus possible de se taire, critiquant la politique stalinienne du PC. Il engage une bataille pour la vérité sur le passé de Georges Marchais, parti travailler en Allemagne. Exclu par sa cellule d’Aix-en-Provence, il se retire dans sa Bretagne natale et publie On chantait rouge. Il meurt le 13 janvier 1993.

Par Jean Vigreux, 
historien


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