6 juin 1941 : Fascisme français et fascisme allemand, ensemble pour écraser la grève des mineurs du Nord

mardi 8 juin 2021.
 

Mai-juin 1941. Dans le Nord,
100 000 mineurs défient l’occupant

Il s’agit de la plus importante mobilisation de masse en France occupée. Du 27 mai au 10 juin 1941, les gueules noires du Nord-Pas-de-Calais bloquent la production de charbon. Impulsé par le Parti communiste clandestin, le mouvement revêt aussi une indéniable dimension patriotique.

Mai 1940. La France capitule.

Le Nord-Pas-de-Calais devient « zone interdite » directement rattachée au commandement militaire allemand de Bruxelles. Dans un contexte de pénurie alimentaire et aussi de difficulté d’accès au marché noir, les compagnies minières renforcent leur pression sur leurs salariés  : allongement de la durée du travail, blocage des salaires, augmentation des cadences et multiplication des vexations  ! Le patronat savoure sa revanche sur 1936. Dans les mines, le malaise s’exprime, dès l’automne 1940, par des arrêts de travail pourtant interdits. Le 11 novembre, 40 000 mineurs célèbrent, par un débrayage, le 22e anniversaire de l’armistice de 1918. La grève de l’Escarpelle, dans le Douaisis, rythme le mois de janvier 1941. Dans l’Enchaîné du Pas-de-Calais, le PCF appelle à faire du 1er mai une « journée de lutte contre le double joug de la domination capitaliste et étrangère ». Des « Vive Thorez » ornent les murs des cités où flottent des drapeaux rouges. Le ton est donné.

La situation est donc explosive lorsque la prétention de la Compagnie des mines de Dourges de réintroduire le paiement des ouvriers à l’abattage par équipes met le feu aux poudres. De la fosse 7 de Montigny-en-Gohelle, les premiers mineurs cessent le travail à l’appel de Michel Brulé, un jeune communiste à la tête du Comité d’union syndicale et d’action (Cusa), organisation clandestine qui brave la logique chartiste de collaboration de classes voulue par Vichy. Nous sommes le 27 mai. Le mouvement se répand alors très vite à la concession de Dourges puis à l’ensemble du bassin, en même temps que les revendications s’élargissent. Les grévistes réclament de l’huile, du pain, du savon noir pour pouvoir simplement se laver à la remonte. Et la cessation des brimades  ! La CGT dissoute, la SFIO liquéfiée (bon nombre de ses représentants s’accommodant du nouveau régime), le Parti communiste, pourtant illégal depuis septembre 1939, apparaît alors comme « le seul à pouvoir mener un combat social », selon l’historien Yves Le Maner. Réorganisé autour d’Auguste Lecœur et Julien Hapiot, rompus à la lutte antifasciste en Espagne, ou de figures du syndicalisme minier comme Nestor Calonne, le PCF s’appuie sur une corporation minière rivée à son poste de travail du fait des mesures de réquisition.

Les Houillères rechignent à satisfaire les revendications. Aussi le mouvement s’inscrit-il dans la durée… Début juin, 100 000 travailleurs sont en grève, soit 80% de la corporation  ! Cette action n’aurait jamais eu ce caractère de masse sans l’appui des travailleurs étrangers et notamment des Polonais, parfois majoritaires à l’abattage. Les femmes des mineurs jouent un rôle tout autant déterminant en bloquant l’accès aux puits ou manifestant… Le 4 juin, des centaines de ménagères se rendent ainsi en cortège devant les grands bureaux de Billy-Montigny. Dans un « pays noir » largement anglophile et marqué par le souvenir des atrocités de l’armée allemande commises en mai 1940 à Courrières et Oignies, le « mouvement de défense sociale est en train de se transformer en pulsion de révolte contre l’occupant. La grève acquiert un caractère de lutte nationale », soutient Yves Le Maner. Une dimension patriotique, et bien sûr antifasciste et internationaliste, qui lui sera longtemps déniée. Chaque jour, elle « coûte 93 000 tonnes de charbon qui font défaut au Reich », précise Laurent Thiery, un autre chercheur. Un moment dans l’expectative, l’occupant réagit. C’est l’état de siège  ! Lieux publics fermés, salaires non payés, vivres non distribués… Un climat de terreur s’installe avec en point d’orgue, le 6 juin à l’aube, une vague massive d’arrestations, de présumés agitateurs, sur la base de listes fournies par les ingénieurs des mines ou la gendarmerie… française  ! L’effet escompté se produit avec une progressive reprise du travail. Le 10 juin, la grève est terminée.

Le bilan de la répression est terrible. 450 personnes sont emprisonnées. Les 11 juin et 2 juillet, deux convois acheminent 273 mineurs vers la citadelle d’Huy, près de Liège, en Belgique. 244 d’entre eux seront transférés ensuite l’Allemagne. 130 y périront. Les mineurs composeront ainsi « le premier convoi massif de déportation vers un camp de concentration au départ de la France », commente Laurent Thiery. La grève n’aura cependant pas été vaine. Les compagnies consentiront à des augmentations de salaire et à la création d’un service d’approvisionnement. Des militants communistes qui avaient réussi à échapper aux arrestations alimenteront les rangs de la lutte armée qui se développera dans la foulée de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne, le 22 juin 1941.

La répression

Au début, les Allemands « considèrent ce conflit comme une affaire franco-française », estime Laurent Thiery, dans la thèse qu’il soutiendra prochainement à Lille-III. Selon lui, c’est devant l’incurie du patronat qu’ils décident de prendre les choses en main, mais n’auraient jamais « prémédité de se débarrasser de ces mineurs en les déportant en Allemagne ». L’occupant envisage plutôt leur incarcération dans un camp d’internement français. Mais « prétextant un manque de places, Vichy refuse. Les prisonniers sont alors dirigés, dans un souci de rééducation, vers la citadelle d’Huy, au cœur d’une zone également placée sous le commandement militaire de Bruxelles ». La rupture du pacte germano-soviétique précipite l’arrestation de communistes belges. Désormais, la surpopulation affecte la citadelle. Le transfert des mineurs du Nord vers Sachsenhausen, au nord de Berlin, est alors décidé. Ils seront ensuite « dispersés dans différents camps au gré de l’évolution des besoins du système concentrationnaire ».

Jacques Kmieciak


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