L’Europe dans la spirale des plans de rigueur, par Pascal Canfin, Liêm Hoang Ngoc et Jean-Luc Mélenchon

mercredi 17 juin 2015.
 

A présent, je vais revenir sur l’analyse d’ensemble du pacte "euro plus" qui est dorénavant la table de la loi en Europe. Pour le faire je reproduis ici le texte de la tribune que j’ai signée, avec Liem Hoang Ngoc du PS et Pascal Canfin des Verts Europe écologie. Le journal « Libération » l’a publiée. Les trois, nous nous retrouvons pour donner nos arguments et mettre en garde solennellement. Il est possible que l’on trouve ça dérisoire. Mais ce travail d’alerte me parait au contraire fondamental. Les élus sont aussi des sentinelles. Et de toute façon, tant que tient le consensus des partisans du oui, une chape de plomb pèse sur l’information européenne qui est quasi totalement embrigadée. Au moment où nous avons signé ce texte, nous ne savions pas encore que nous n’avions pas fini d’en voir. En effet au moment où les textes sont arrivés devant le parlement, celui-ci a décidé de reporter son vote final à la session de juillet pour pouvoir encore négocier avec la Commission Barroso et le Conseil des gouvernements le contenu du texte. Ne rêvez pas. La majorité estime que ce texte est insuffisamment contraignant ! Donc, à l’issue d’un cycle de négociations avec le Conseil et la Commission, le Parlement européen devait adopter le 23 juin le durcissement du Pacte de Stabilité. Voici notre analyse parue dans Libération. Elle vous annonce que l’Union Européenne a fixé à 27 milliards d’Euros la charge qui pèsera sur la France de la prochaine législature.

« Cette réforme organise une austérité généralisée en Europe qui portera des coups terribles à nos acquis sociaux. Le texte précise tout d’abord le contenu du volet « préventif » du Pacte de Stabilité en indiquant le rythme de réduction des déficits publics que chaque Etat membre devra respecter, fixé à 0,5 point de PIB par an. Ce document définit ensuite le volet « correctif » du Pacte, dictant le rythme de la réduction de l’endettement d’un pays. Chaque Etat membre devra réduire de un vingtième l’écart entre l’endettement observé et l’endettement correspondant aux 60% du PIB autorisés par le Traité de Lisbonne. Dés lors, au total, ce sont donc quelques 27 milliards qu’il faudrait affecter en France à la baisse des déficits et de l’endettement au cours la première année de la prochaine législature ! Pire, les pays qui n’atteindraient pas les objectifs fixés sous la surveillance de la Commission dans le cadre des programmes nationaux de réforme se verraient infliger des amendes ! Leur montant sera compris entre 0,2 et 0,5% de leur PIB. Il est certes précisé : « sauf si le Conseil s’y opposait à la majorité qualifiée des Etats membres de l’Eurogroupe ». Mais c’est dire par là même que la sanction deviendrait quasiment automatique, tant une telle majorité est difficile à obtenir. Surtout sans le consentement de l’Allemagne.

Pour atteindre ces objectifs, la nouvelle gouvernance économique de l’Europe impose à tous les Etats membres des politiques d’austérité. En l’absence de coopération fiscale permettant de générer des recettes nouvelles et compte tenu de l’idéologie libérale de la majorité des gouvernements en Europe, cette austérité réduira à nouveau le périmètre des services publics, le champ de la protection sociale et le pouvoir d’achat des plus modestes. Les marchés financiers l’exigent, nous dit-on ? Mais à aucun moment, le rachat des dettes souveraines par la banque centrale, comme arme de dissuasion face à la pression des marchés (massivement utilisée par les banques centrales américaine et britannique), n’est évoqué.

Les députés libéraux, conservateurs et souverainistes au Parlement européen ont refusé les amendements que nous avons déposé qui visaient à sortir du calcul des déficits les dépenses préparant l’avenir, telles que les investissements verts et les investissements dans le domaine de l’éducation. Ils se sont également opposés à l’intégration, dans les comptes nationaux, de nouveaux indicateurs de richesse non monétaire, nécessaires pour tenir compte des impératifs sociaux et environnementaux. Conservateurs et libéraux ont même proposé de durcir le texte de la Commission en soutenant la suppression de la notion de « circonstances exceptionnelles », telles que la survenue d’une nouvelle crise, susceptible de justifier des dépenses publiques supplémentaires. Ils invitent les Etats membres à inscrire dans leur constitution une règle d’équilibre budgétaire absurde parce qu’elle ne tiendrait plus compte des cycles économiques. Ils entendent punir les Etats « hérétiques ». Au-delà de la réduction des déficits budgétaires, conservateurs et libéraux se sont entendus pour faire de la modération salariale – entendez la baisse des salaires - le levier principal du retour à la compétitivité des pays aujourd’hui en difficulté dans la zone euro.

La droite libérale et conservatrice soutient que les déficits sont avant tout le fruit de la mauvaise volonté des Etats et de manipulations comptables malintentionnés de leur part. Certes, les problèmes de recouvrement fiscal et les erreurs de prévisions plus ou moins volontaires existent. Mais, alors que dans tous les Etats, la compression drastique des effectifs des services publics (pudiquement appelée en France Revue Générale des Politiques Publiques) sévit, on fait comme si les baisses d’impôts massives réalisées dans tous les pays au cours de la dernière décennie au bénéfice des créanciers de l’Etat étaient étrangères à la montée des déficits. On oublie que le capitalisme subit sa plus grave crise depuis 1929 et qu’il engendre plus que jamais une répartition inégalitaire des richesses ; la pression incessante qu’il exerce sur les salaires et la bulle immobilière qu’il nourrit est la cause profonde des défauts de paiement des plus modestes, que l’industrie financière encourage encore à s’endetter. Jamais, nos apprentis sorciers n’ont tenu compte de l’impact récessif et régressif qu’auront inévitablement vingt-sept plans de rigueur. Loin d’atteindre leurs cibles, ces politiques accroîtront le chômage et entretiendront les déficits, attisant par la même la spéculation des marchés sur les dettes souveraines. Ce n’est pas pour cette politique que nous voulons construire l’europe. »


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