Le déficit public, la dette de l’État sont élevés par le gouvernement au rang de préoccupation numéro un. Est-ce véritablement le problème, selon vous ?
Jean-Christophe Le Duigou. La maîtrise de la dette publique est un objectif légitime. Mais comment y parvient-on ? Voilà le véritable débat. Que constatons-nous ? Depuis vingt-cinq ans, les gouvernements successifs se sont mis la tête dans le nœud coulant de la finance. Cette situation remonte aux réformes bancaires des années 1984-1986, à l’internationalisation de la dette publique décidée par Pierre Bérégovoy à la fin des années 1980, à la privatisation des banques décidée par Édouard Balladur. La France s’est ficelée aux marchés financiers. Conséquence : pour faire face à la première phase de la crise, on a massivement transformé des dettes privées (entreprises, ménages, banques) en dettes publiques, l’État ayant dû soit prendre en charge un certain nombre d’endettements soit augmenter le déficit pour éviter un effondrement de l’activité économique. La réponse apportée à la première phase de la crise n’était pas une réelle réponse, et n’a fait que nous enchaîner un peu plus aux marchés financiers.
Ne faut-il pas rappeler ce qui était, fondamentalement, à l’origine de la première phase de crise, en 2008 ?
Jean-Christophe Le Duigou. L’endettement privé, puis public, résulte largement de la place réduite qui a été faite à l’emploi et à la rémunération du travail pendant ces vingt et quelques années où on a accepté de s’enchaîner aux marchés financiers. Les acteurs privés et publics se sont endettés pour remplacer les débouchés. Il faut insister sur le fait que cette crise est certes financière mais qu’elle a une dimension fondamentale, économique et sociale.
L’austérité pour les dépenses publiques nous est présentée comme le moyen incontournable d’en sortir, au risque, pourtant, de peser ainsi sur la croissance, et donc, au final, d’aggraver le déséquilibre budgétaire…
Jean-Christophe Le Duigou. Il y a un cercle vicieux, en effet. Le plan gouvernemental annoncé mercredi est à mettre dans la perspective de la logique lourde d’austérité qui est déjà installée. Rappelons que l’impact de la réforme des retraites de 2010 est chiffré par le Trésor public à 20 milliards d’euros, soit 1 point de PIB. La révision générale des politiques publiques représente 10 milliards d’euros. Et à l’avenir, le pacte euro plus, c’est plus de TVA, de restrictions sur les dépenses de santé, sur celles des collectivités locales. Autrement dit, austérité à tous les étages. Ce qui guette la France, c’est d’être entraînée dans la même logique que la Grèce, l’Italie ou l’Espagne, qui n’en sont pas à 1, mais à 2, 3, 4, 5 étapes dans l’austérité. Ces plans pèsent sur la croissance, et plus la croissance reculera, plus le problème de la dette se posera.
Comment briser ce cercle infernal ?
Jean-Christophe Le Duigou. Par la relance d’une politique de développement, de croissance de l’industrie et de l’emploi. Pour cela, il faut traiter différents problèmes. La question des dépenses publiques n’est pas taboue. Il y a des dépenses utiles qu’il faut préserver et même développer : formation, éducation, recherche, santé… D’autres sont de véritables gâchis, à l’image de la loi Tepa (12 milliards d’euros), sur laquelle le gouvernement revient très partiellement, la niche Copé (22 milliards), le crédit d’impôt-recherche (4 milliards), la réforme de l’ISF. Ensuite, il y a le volet impôts. Il faut des moyens pour moderniser et développer les services publics, et mieux inciter à développer l’emploi. Tout le débat engagé sur la réforme de l’impôt sur le revenu et sur l’impôt sur les sociétés est bien justifié. Mais c’est insuffisant. Il ne s’agit pas simplement de trouver un peu plus de justice dans l’austérité, il faut avoir une politique qui affronte les marchés financiers. Et ça, on ne peut l’envisager sans de nouvelles sources de financement. Aujourd’hui, l’essentiel des financements va à la Bourse, au développement des actifs financiers. La création d’un pôle financier et bancaire en France, avec des prolongements à l’échelon européen, et la reprise de positions publiques dans le capital des banques françaises sont donc une absolue nécessité. C’est un moyen de reprendre le contrôle sur le système bancaire et financier. D’autre part, la Banque centrale européenne, qui est aujourd’hui en train d’acheter à tour de bras de la dette publique pour garantir les créances des banques, devrait consacrer ce pouvoir de création monétaire au développement de l’emploi et de l’activité économique.
Entretien réalisé par Yves Housson
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