Des Tribunaux de commerce « soupçonnables de partialité, de lenteur, de déni de justice »

samedi 20 octobre 2012.
 

La vie ou la mort. C’est le pouvoir que détiennent les tribunaux de commerce sur les entreprises. Chargés de juger les litiges entre commerçants mais aussi les procédures collectives (sauvegarde, redressement ou liquidation), ces juridictions ont donc régulièrement entre leurs mains le sort de milliers de salariés. Crise économique oblige, à l’instar de Petroplus, Fralib ou de Technicolor, les dossiers emblématiques se succèdent actuellement devant ces tribunaux, dont le fonctionnement est pourtant largement remis en cause.

Le cas de Doux, cet été, a ainsi remis en lumière des critiques portées de longue date à l’encontre de ces juridictions bien particulières car composées de dirigeants d’entreprise élus par leurs pairs. Des juges dits consulaires « soupçonnables de partialité, de lenteur, de déni de justice », écrivait déjà Arnaud Montebourg, dans un rapport parlementaire, en 1998. Depuis, rien n’a changé, ou presque. La réforme engagée par le gouvernement Jospin à la suite de ce rapport n’a duré que quelques semaines face à la fronde des juges consulaires. Excepté une modification de la carte de ces tribunaux, la droite au pouvoir n’a pas non plus souhaité mettre en œuvre les changements jugés nécessaires par de nombreux experts du sujet.

Le cas de Doux est emblématique

Car si les juges sont élus pour leurs connaissances du monde économique, nul doute qu’ils disposent aussi d’interconnaissances dans le domaine. Le cas de Doux est à cet égard emblématique. Le Télégramme révélait ainsi, il y a quelques semaines, les liens qu’entretenaient deux des juges du tribunal de commerce de Quimper avec le groupe volailler. Dans la liste des juges, disponible sur le site du tribunal, figuraient ainsi les noms d’un dirigeant et d’un commissaire aux comptes du groupe. Sur les seize membres du tribunal, cinq autres pouvaient, selon le quotidien breton, être soupçonnés de conflit d’intérêts. Pour Raymond Gouiffès, délégué CGT du groupe, Charles Doux ne courait donc pas grand risque devant « son » tribunal de commerce. « Grâce au redressement judiciaire avec cessation de paiement, Charles Doux a obtenu de mettre à la charge de la collectivité le coût de la restructuration qu’il aurait dû faire depuis longtemps. »

Outre leur impartialité, c’est aussi la compétence des juges consulaires qui est régulièrement mise en cause. S’ils reçoivent une petite formation à l’issue de leur élection, le contexte juridique et économique est devenu complexe à appréhender. « Résultat, le tribunal suit l’avis du procureur de la République, devenu l’homme qui compte, alors même qu’il est partie au litige », estime l’avocat Philippe Brun, qui a pu le constater dans l’affaire Sodimedical. « Le tribunal a été une véritable girouette, changeant d’avis à plusieurs reprises, en même temps que le procureur, alors qu’il se prononçait sur le même dossier. »

Encore faut-il que le procureur, qui est lui un magistrat professionnel, puisse assister aux audiences. « Le parquet a déserté le terrain du droit commercial parce qu’il manque de moyens et que ce n’était pas considéré comme une priorité par le gouvernement de droite », déplore Marie-Blanche Régnier, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature.

Enfin, alors que 53 263 procédures collectives se sont ouvertes devant les tribunaux de commerce en 2011 et 34 058 procédures de liquidations directes, beaucoup s’interrogent sur la capacité de ces juridictions à rendre des décisions favorables à l’emploi. « Les juges ont sans doute dans leur approche une vision très économique des choses, mais sont peut-être un peu moins attentifs à la question de l’emploi », souligne Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC. Or, les représentants des salariés ont déjà des droits relativement limités dans le cadre des procédures collectives. «  Le comité d’entreprise (CE) ne peut pas faire appel de toutes les décisions. Il ne peut par exemple pas demander l’extension de la procédure de redressement à l’ensemble du groupe », explique maître Ralph Blindauer. Même les droits qui lui sont reconnus ne sont pas toujours respectés par les tribunaux de commerce. « Ils se fichent que le comité d’entreprise n’ait pas été consulté avant le dépôt de bilan ou qu’il n’ait pas reçu les documents avant le procès », témoigne l’avocat. « Les tribunaux se soucient plus de la liquidation des actifs que des solutions de reprises ou de l’avenir des sites », confirme Mohamed Oussédik, secrétaire confédéral de la CGT, en citant l’exemple de l’usine Prevent Glass, à Bayeux. « Il s’agissait pourtant d’un site flambant neuf, avec des salariés hyperqualifiés et des produits pour lesquels il y avait des débouchés. » Nommés par les tribunaux de commerce, les mandataires et liquidateurs judiciaires sont en effet payés sur l’actif dégagé de l’entreprise. « Cela veut dire que la première chose qu’ils vont faire est de se rémunérer sur une société déjà malade », décrypte Thomas Clay, professeur de droit et président d’honneur du Club Droits, Justice et Sécurités, qui, à l’instar de nombreuses organisations syndicales, appelle à une réforme de la justice consulaire. « On pouvait comprendre que ce ne soit pas la priorité de la droite, souligne Mohamed Oussédik. Aujourd’hui on se demande ce qu’attend le 
gouvernement  ! »

Marion Perrier, L’Humanité


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