Fouriéristes, saint-simoniens, communistes néobabouvistes, chrétiens autour de Lamennais, l’auteur nous invite à revisiter le socle de la science sociale originelle du socialisme français.
"Les Hiéroglyphes de la nature, le socialisme scientifique en France dans le premier XIXe siècle", de Loïc Rignol.
Il faut féliciter les Éditions des Presses du réel de publier un livre aussi important : important par la taille du livre bien sûr qui, publié en un seul volume, garde son unité, mais important surtout par le contenu qu’il porte. Le lecteur y trouvera, ce qui est déjà beaucoup, le résumé des doctrines socialistes en France avant la progressive influence en Europe de Marx et du marxisme. Ce livre est loin de n’être qu’un résumé, il montre le contexte logique dans lequel ces doctrines se sont élaborées. Ce socialisme s’est constitué dans des écoles différentes, écoles qui ont échappé plus ou moins à leur fondateur et sont devenues le lieu d’expression d’auteurs divers aujourd’hui méconnus. Loïc Rignol leur redonne la parole. Fouriéristes, saint-simoniens, communistes néobabouvistes, chrétiens autour de Lamennais sont les principaux tenants de l’élaboration d’un socialisme dont le principe n’est pas toujours l’égalité. Engels et Marx nous ont appris à voir dans ces écoles des constructions d’utopies, l’imagination des auteurs servant de critique d’un capitalisme violent dont la maturité était loin d’être assez grande pour que soit envisagée une analyse réelle ouvrant la porte à un changement véritable : au socialisme utopique devait succéder le socialisme scientifique ! Dire cela n’est-ce pas cependant plaquer sur ces auteurs une grille de lecture dans laquelle ils ne se reconnaîtraient nullement ? Sait-on que Fourier, tenu souvent pour l’utopiste par excellence, vilipendait l’utopie ? Ce qu’il voulait faire, et les autres avec lui, était une science, et Proudhon, tenant de l’élaboration de cette science, usa le premier de l’expression : « socialisme scientifique » !
Pour les uns et les autres, le socialisme, c’est d’abord la science sociale elle-même. Elle a pour objet de découvrir, et non pas d’inventer, les lois par lesquelles Dieu a construit la nature. Cette science sera donc, pour presque tous, proche de la religion, voire la vraie religion elle-même, se donnant pour tâche de dévoiler ce qui a été caché par l’ignorance des hommes, qui toujours a été soutenue d’une volonté mauvaise de ne pas voir le vrai. Cette science mise au jour, alors quelques expérimentations suffiront, elles montreront la bonne voie à tous ! Que nous révèle donc l’archéologie de cette science sociale ? Percer la vérité de l’homme
Un socle commun à partir duquel les différentes écoles prennent leurs différentes positions politiques, socle qui s’enracine dans les sciences balbutiantes ou sans lendemain du temps. Il ne tient pas en des savoirs surgissant au XIXe siècle : il n’est ni une économie politique, science de la richesse passant à côté de la pauvreté qui pourtant la construit, ni des enquêtes sociales voulant connaître le peuple pour lui faire charité, ni une statistique voulant produire un homme moyen qu’il sera facile de manipuler, il est un savoir des déchiffrements de la nature cachée derrière le voile dont une fausse civilisation l’a recouverte. Quels sont les fonctions et les besoins vrais que l’organisation sociale doit satisfaire ? La phrénologie décryptant les intelligences sous les crânes, la physiognomonie décryptant les caractères sous les visages vont percer la vérité de l’homme, elles vont faire voir les passions et les capacités qui doivent être reconnues et satisfaites dans une nouvelle forme d’association. Marx appartient-il à ce champ contextuel ? Il est ailleurs, mais ne l’est peut-être pas complètement !
Hervé Touboul
Les Hiéroglyphes de la nature, le socialisme scientifique en France dans le premier XIXe siècle, de Loïc Rignol. Les Presses du réel, 1 144 pages, 42 euros.
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