Lettre ouverte à Marc Dolez, par Robert Duguet

mercredi 16 janvier 2013.
 

Marc Dolez, bonjour,

Tu viens par un carton de l’Assemblée Nationale de m’envoyer tes bons vœux pour 2013. J’y répondrai par cette lettre ouverte.

Tu as annoncé, par le biais du journal Libération et non par les structures de ton parti, que tu démissionnais du PG. Je n’interviens pas dans cette discussion en tant que membre du Parti de Gauche, pour la bonne raison que, comme tu le sais, je n’en suis plus membre. Militant sous l’étiquette Front de Gauche, j’ai fait avec enthousiasme la campagne de Jean Luc Mélenchon lors de l’élection présidentielle passée, aux termes de laquelle nous avons pu, sur la base des principes défendus, virer Sarkozy et sa majorité. J’interviens sur la base des positions très succinctes, elliptiques et non développées que tu avances, en tant qu’elles concernent l’avenir du Front de Gauche. Comme telles je ne les accepte pas.

En 2004, lors de la campagne référendaire pour le non au TCE, j’ai rejoint le courant que tu avais construit au sein du PS, Forces Militantes. J’y ai milité jusqu’en 2008. A l’époque, on ne pouvait que se féliciter que tu sois un des seuls parlementaires socialistes à te mouiller pour le non à l’Europe néo-libérale, à laquelle la « social-démocratie » européenne et le PS français, se ralliaient. Suivront entre 2004 et la naissance du PG une série de manœuvres et contre-manœuvres, les militants de ton propre courant étant pour l’essentiel exclus des décisions prises. Un jour l’interdit était prononcé par quelques éléments cooptés autour de Marc Dolez et nommés « délégation nationale de Forces Militantes » contre un accord avec l’association des amis politiques de Jean Luc Mélenchon, l’association pour la République Sociale (PRS), excommunication majeure qui a par ailleurs duré 3 ans, et un beau matin d’été, un accord intervenait sans que tout cela ne soit discuté dans quelque structure de direction démocratique que ce soit. Lorsque le PG est né, les militants ont reçu une circulaire expliquant que le courant Forces Militantes était dissous sur ordre du mufti et que dorénavant plus personne ne pouvait se prévaloir de l’étiquette Forces Militantes… Amen ! On entrait au PG, point barre !

A l’époque nous avons été un certain nombre, dans ton propre réseau, à expliquer qu’une gauche renouant avec l’anticapitalisme, le mouvement ouvrier, ne se construirait pas en dehors de la démocratie la plus large : donner aux hommes et aux femmes qui nous rejoignaient les outils de la démocratie politique. J’observe qu’aujourd’hui cette question se pose et se résout partiellement au sein du Front de Gauche, le développement des assemblées citoyennes, des associations locales sont des réponses positives. Lors de ma participation cet été aux estivales du Front de Gauche, j’ai pu tester, combien cette aspiration à une construction démocratique, maitrisée par les militants eux-mêmes, devenait une exigence fondamentale. L’ouverture des unités du front de gauche à tous ceux qui veulent y militer devient une réalité, sans que pour autant adhérer à une organisation politique soit une obligation et tout en reconnaissant l’apport des militants d’organisations, sans lesquels le Front de Gauche n’aurait pas existé. Le Front de Gauche, de cartel électoral peut et doit devenir un véritable front politique de masse, intervenant aussi bien dans le mouvement social que dans les élections. C’est l’enjeu de la période actuelle : construire des unités politiques du front de gauche larges et démocratiques. Sur cette question qui me semble décisive tu ne dis mot. Certes on ne peut pas te reprocher de ne pas être égal à toi-même. Quant à publier ta prose dans Libération, panel d’anciens gauchistes convertis au social-libéralisme, on peut faire moins pire…

Venons-en maintenant aux quelques positions succinctes ébauchées.

Tu déclares :

« L’acquis de la belle campagne présidentielle a été dilapidée dès les législatives avec la catastrophique campagne d’Hénin-Baumont. La stratégie "Front contre Front" nous a "cornérisé" à l’extrême gauche. »

Excuse-moi de te le dire, ton propos est intolérable. Jean Luc Mélenchon, comme toi, comme nous tous, est le produit d’une histoire, on peut lui reprocher des prises de positions passées, après Maastricht par exemple et quelques années inutiles passées au sein du PS. Mais passer à la trappe qu’il ait été le seul homme politique et leader de masse, ayant choisi de casser la tête à la dirigeante du FN, Marine Le Pen, dans une région dévastée par le chômage et la désindustrialisation, dans laquelle le mouvement ouvrier connaît une crise sans précédent, avec une social-démocratie locale pourrie jusqu’à la moelle, c’est un acte de courage politique que je salue. Qui dit mieux ! J’ai du mal à accepter les voix qui s’élèvent ici et là, y compris dans le front de gauche, pour contester le choix qui a été fait d’affronter Marine Le Pen. Je ne suis pas militant du PG et c’est le fils de déporté-résistant qui te parle !

En politique on est comptable des batailles que l’on mène, et on n’est jamais sûr d’obtenir la victoire. Lorsque les militants révolutionnaires dans l’Allemagne de la fin de la République de Weimar ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour opposer à Hitler et au parti national-socialiste l’unité de front de la social-démocratie, de la gauche social-démocrate et du KPD et contrecarrer la ligne désastreuse imposée au KPD par la direction stalinienne de la 3ème internationale, avaient-ils tort parce qu’ils ont perdu une bataille ? Toutes proportions gardées, et tu n’es pas le seul à dire cette sottise, la ligne défendue à Hénin-Beaumont par les nôtres et par Jean Luc serait fausse parce ce qu’il n’y a pas eu de victoire ?

Ce n’est pas anodin. Cette affaire pose une nouvelle fois la question de la nature et de la place politique occupée par le FN. Il y a un vieux serpent de mer qui resurgit périodiquement à propos du FN, dans l’extrême gauche et dans la gauche, ce serait un parti comme un autre… Je viens de lire l’ouvrage de Pierre Péan sur Le Pen et je dois dire qu’au milieu d’une documentation, il est vrai formellement fort riche, il y a néanmoins une ligne idéologique sous-jacente qui présente le parti de Jean Marie Le Pen comme un parti populiste classique, et souligne le fait que son dirigeant historique n’a jamais mis en cause les libertés républicaines. Evidemment, il n’a pas été en position de pouvoir le faire… Et Pierre Péan n’oublie pas, par trois fois, d’égratigner les positions de Jean Luc Mélenchon sur le FN. Tiens donc ! Comme par hasard !

Tu déclares ensuite :

« Beaucoup de ses propos (Jean Luc Mélenchon) brouillent notre message. Je ne crois pas à la thèse des deux gauches irréconciliables ni au mythe du recours. Je veux que la gauche réussisse. Je ne me résoudrai jamais à considérer que le gouvernement va échouer et que nous serons là à ramasser les morceaux. Si la social-démocratie devait s’effondrer ; je crains que ce ne soit au profit de la droite extrême. »

On peut se demander dans quel monde vit Marc Dolez et s’il sort quelquefois des frontières de sa circonscription électorale : l’Espagne, la Grèce, le Portugal, ces pays que le néo-libéralisme est en train de ramener au XIXème siècle, cela existe. La social-démocratie n’a pas besoin des coups de gueule de Jean Luc pour s’effondrer, elle s’effondre toute seule notamment en Grèce et en Espagne. Est-ce que Marc Dolez va voler au secours du PASOK, sous prétexte que l’effondrement du parti social-démocrate grec conduirait à la victoire d’Aube Dorée ? Pour ce qui concerne la France, la crise est encore devant nous. Le résultat des trois élections législatives partielles qui viennent de se dérouler est tout à fait clair : abstention massive à gauche. Si le Front de Gauche maintient ses positions, l’abstention néanmoins nous pénalise et ne nous permet pas encore d’être « le recours », tout à fait « le recours » à gauche. Bien sûr les nôtres s’abstiennent, non parce que les positions de notre porte-parole seraient « inaudibles », mais parce que les salariés, tous les laissés pour compte, ne voient pas encore comment lever l’obstacle et sortir politiquement par le haut. Pourquoi aussi ne pas rendre Jean Luc responsable de l’abstention populaire pendant que tu y est ! C’est une constante dans les élections, l’abstention populaire pénalise toujours la gauche du mouvement ouvrier.

Dans une polémique célèbre contre Dühring qui incarnait un courant liquidateur des positions ouvrières de la 2ème internationale naissante, un dénommé Engels polémiquait en disant : si Dühring nie la dialectique, la dialectique exerce son influence jusqu’à lui. La fracture entre les deux gauches, elle est une réalité objective, un quart de siècle de capitulations incessantes et de gestion des institutions de la Vème république, cela existe. Et les gesticulations de Gérard Filoche, les manœuvres récentes du club Gauche Avenir et de Marie Noëlle Lienneman sur la ligne de réconciliation des deux gauches, n’a aucune réalité. Rideau de fumée. La gauche ne peut se reconstruire et s’unifier que sur un programme de rupture avec le social-libéralisme. Quand nous avons constitué le Front de Gauche, ceux et celles qui nous ont rejoint par vagues successives, ne l’ont pas fait pour devenir le poil à gratter du PS. Nous voulons tourner la page de la « social-démocratie ». Elle n’est plus utile à rien, sinon à aider le capitalisme financier à détricoter tout ce que le mouvement ouvrier avait acquis, à travers notamment le programme du CNR, à l’issue de la seconde guerre mondiale.

Sur la politique du gouvernement Hollande, pour que le gouvernement « n’échoue pas », encore une fois faudrait-il qu’il mène une politique de rupture conforme aux attentes de sa majorité sociologique. Jamais gouvernement « social-démocrate », je te laisse la responsabilité de le caractériser comme tel, pour moi le PS est aujourd’hui un parti social-libéral, n’est allé aussi loin dans la voie de la collaboration avec le capitalisme néo-libéral. Là encore notre porte-parole n’y est pour rien !

Tu conclus l’interview de la manière suivante :

« Le PG connait une dérive un peu gauchisante. Je conçois que cela puisse séduire et je respecte les militants qui y adhèrent. Mais l’objectif est d’ouvrir une alternative. Pas de créer une organisation condamnée à la minorité."

« …Je reste un militant actif du Front de gauche, qui m’apparait plus indispensable que jamais. J’entends participer à son expression à l’Assemblée nationale. Je n’ai pas quitté le Parti socialiste pour y revenir. »

Je ne vois pas comment, étant sur la ligne de réconciliation des deux gauches, tu peux justifier le projet du Front de Gauche, de reconstruire la gauche sur un axe de rupture majoritaire avec le social-libéralisme, ou alors je ne comprends rien à ce que nous faisons depuis maintenant plusieurs années. Le fait que de nombreux militants, et jeunes gens enthousiasmés par la fenêtre de tir ouverte par la campagne présidentielle, nous rejoigne, est pour moi un fait politique d’une très grande importance. La valse-hésitation de certains élus nous regardant, formés à la vieille école du PS d’Epinay, où l’on regarde d’abord comment assurer le renouvellement de son mandat d’élu, c’est les restes d’un passé ennuyeux et sans intérêt pour l’avenir. On voit même certains élus, comme le maire de la ville de Crosne, adhérant du PG en 2008, retourner au PS quelques mois après, et aujourd’hui défendre les positions de Manuel Valls ; demander aux salariés, aux retraités de payer la crise, c’est devenu pour lui assurer « une gestion de bon père de famille ». Dans la période ouverte par la grande crise de l’automne 2008, la gauche va avoir besoin de dirigeants courageux, qui se forgent une pensée et une pratique ailleurs que sous les lambris de la République. « Chercher la vérité, et la dire », selon la belle formule de Jaurès, ce n’est pas se condamner « à la minorité ». Pour le reste, l’unité elle se fait sur un programme, et tactiquement sur la logique de front politique de rassemblement. Ta position est sur une ligne de rétropédalage.

L’ébauche de ligne que tu esquisses dans ton interview ne mène nulle part, plus exactement c’est le retour à la case Filoche et la case Filoche c’est le PS.

Salutations militantes


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message